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Exposition au risque professionnel : débat autour du Code 1.605.01 de la liste des maladies professionnelles

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 20 avril 2021, R.G. 2020/AL/89

Mis en ligne le lundi 15 novembre 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 20 avril 2021, R.G. 2020/AL/89

Terra Laboris

Par arrêt du 20 avril 2021, la Cour du travail de Liège (div. Liège), examine une demande nouvelle formée en degré d’appel par FEDRIS tendant à supprimer la reconnaissance d’une maladie reprise sous le code 1.605.01 (maladie ostéo-articulaire due aux vibrations mécaniques) au motif de l’absence de lien entre les vibrations causées par la manipulation d’engins vibrants et les affections des membres supérieurs.

Les faits

FEDRIS a dans un premier temps rejeté une demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle hors liste, s’agissant d’une lombo-discarthrose. Le demandeur a, dès lors, introduit une action devant le Tribunal du travail de Liège (div. Huy). Cette action date du 12 septembre 2014.

Par la suite, une seconde décision est intervenue le 6 juillet 2015, reconnaissant une incapacité permanente partielle de 7% (4+3) pour une maladie de la liste (Code 1.605.01). Cette décision a également été contestée, par requête introduite le 1er mars 2016, l’intéressé sollicitant que le taux d’IPP soit fixé à 12% pour le taux d’incapacité physiologique, celui-ci devant être majoré des facteurs socio-économiques.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 8 juin 2016, le tribunal du travail a ordonné une expertise, dont le rapport a été déposé le 29 juin 2018.

Les conclusions de l’expert ont été entérinées par jugement du 25 septembre 2019, le tribunal admettant pour le premier recours l’existence de la lombo-discarthrose (dans le système hors liste) entrainant un taux d’incapacité physique de 8% et admettant également une incapacité physique de 6%, portée à 10% à une date ultérieure, pour la maladie de la liste, objet du second recours. En ce qui concerne les facteurs socio-économiques, ceux-ci ont été fixés à 6% pour la maladie hors liste et à 8%, taux porté à 10% ultérieurement pour la maladie de la liste.

Le tribunal a ainsi condamné FEDRIS pour l’affection lombaire à un taux de 14% (8+6) et pour la maladie de la liste à un taux de 11% (6+5) taux porté à 18% (10+8) à partir d’une date ultérieure.

FEDRIS interjette appel.

Moyens des parties devant la cour

FEDRIS conteste, pour la pathologie lombaire, l’exposition au risque professionnel et le lien causal. Elle considère qu’existent d’autres facteurs pouvant expliquer la maladie, à savoir un facteur génétique et un facteur constitutionnel.

Pour la pathologie de la liste, une demande nouvelle est introduite en degré d’appel, étant que l’Agence sollicite qu’il soit mis fin à l’indemnisation de la maladie professionnelle reconnue par elle, et ce en application de l’article 18, 2°, de la Charte de l’Assuré social. Elle demande également qu’une mission complémentaire soit confiée à l’expert, en vue de ventiler l’incapacité entre les différentes localisations retenues (épaules, coudes et poignets).

La partie intimée conteste la demande nouvelle et forme appel incident en ce qui concerne le taux des incapacités.

La décision de la cour

La cour entreprend un très long examen du mécanisme de réparation de la maladie professionnelle dans le secteur privé.

Une attention particulière est réservée à la question de la pluricausalité, la cour rappelant l’arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2020 (Cass., 22 juin 2020, S.18.0009.F), qui a consacré le principe de la coexistence possible du facteur professionnel et d’autres facteurs, dont les prédispositions pathologiques, arrêt qui venu confirmer la jurisprudence de la Cour (Cass., 2 février 1998, S.97.0109.N), selon laquelle d’une part l’exercice de la profession ne doit pas être la cause unique ou prépondérante de la maladie et de l’autre l’ayant droit n’est pas tenu d’établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition ou par toute autre cause potentielle étrangère à l’exercice de la profession.

Pour la cour du travail, il s’agit d’une conception de la causalité issue de la théorie de l’équivalence des conditions. Au contraire de l’exposition au risque professionnel, qui vise une potentialité, le lien de causalité prévu par l’article 30bis doit être réel, plus que probable, en excluant tout doute raisonnable.

Après avoir rappelé que la cause est directe et déterminante s’il est médicalement reconnu que la maladie ne se serait pas déclarée ou qu’elle se serait déclarée dans d’autres conditions et, notamment, ne se serait pas déclarée au moment où elle est apparue ou se serait déclarée moins gravement sans le facteur professionnel, la cour en vient à la notion d’incapacité permanente de travail, rappelant qu’au sens des lois coordonnées du 3 juin 1970 applicables dans le secteur privé, cette notion est similaire à celle reconnue par la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

Il s’agit d’évaluer l’inaptitude à gagner sa vie par son travail, la cour rappelant qu’il ne faut pas apprécier ici une invalidité physiologique, soit l’atteinte à l’intégrité physique qui n’est pas nécessairement le facteur déterminant. L’incapacité au sens légal recouvre la répercussion de l’invalidité physiologique sur la capacité concurrentielle de la victime compte tenu de sa situation socio-économique. Parmi ces facteurs socio-économiques propres à la victime, il ne peut être tenu compte des possibilités d’adaptation du poste de travail en fonction de son handicap.

Quant au critère de l’âge, celui-ci est pris en compte en ce qu’il a de l’influence sur les capacités concurrentielles et non dans sa dimension d’accès effectif au marché du travail compte tenu de la conjoncture économique. Plus l’âge avance, plus l’incidence de ce critère impactera en principe l’incapacité de travail dès lors que la faculté d’adaptation, de rééducation professionnelle et la faculté de concurrence se réduisent avec l’âge. La cour rappelle ici la doctrine de D.DESAIVE et de M.DUMONT (D.DESAIVE et M.DUMONT, « L’incapacité, l’invalidité et l’appréciation de la perte d’autonomie en sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants ainsi qu’en risque professionnel. Comment évaluer l’aspect médical ? » Regards croisés sur la sécurité sociale, CUP 2012, Anthémis, pages 362 à 365). Par ailleurs les efforts accrus que la victime doit fournir à la suite de sa remise au travail font partie de l’incapacité.

En l’espèce, sur le plan de l’exposition au risque professionnel la cour s’attache à l’examen de la demande de révision formulée par FEDRIS. Elle constate que, la matière étant d’ordre public, la reconnaissance antérieure n’est pas un obstacle à une révision si existe un élément nouveau. Celui-ci serait, pour FEDRIS, la question du lien entre les vibrations suite à la manipulation d’engins vibrants et les affections des membres supérieurs.

La cour mentionne que cette question l’a déjà amenée à ordonner dans d’autres dossiers un complément d’expertise (C. trav. Liège, 19 mars 2021, R.G. 2019/AL/142 et 2020/AL/467) sur le point précis de l’exposition au risque professionnel d’arthrose vibratoire au niveau des épaules.

Avant de recourir à une telle mesure d’instruction en l’espèce, elle demande des explications à FEDRIS, notamment sur sa position qui consiste à reconsidérer les connaissances médicales généralement admises et donc l’élément de causalité théorique potentiel de la notion d’exposition au risque professionnel pour les maladies relevant du code visé. La cour fait grief à l’Agence de ne pas démontrer que sa demande repose sur des éléments nouveaux ou sur la découverte de tels éléments mais sur une nouvelle prise de position scientifique d’ordre général pour ce seul code.

Elle en conclut que l’article 18, 2°, de la Charte ne peut trouver à s’appliquer, non plus que le 18, 1°. Ne pouvant s’agir d’éléments nouveaux, elle s’interroge sur le fondement légal à partir duquel l’Agence fonde sa position.

Une autre question posée est celle de la prise d’effet d’une telle révision. Elle ordonne une réouverture des débats sur ce point.

Sur le lien direct et déterminant, la cour rappelle encore que l’origine d’une pathologie lombaire est multifactorielle et que, en vertu des principes applicables, il suffit de constater un impact de l’exposition sur l’apparition ou le développement de la maladie, qui peut être modeste, sans devoir quantifier l’importance de toutes les autres causes potentielles étrangères à l’exposition au risque professionnel.

Enfin, elle réserve à statuer sur le taux des facteurs socio-économiques.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, qui passe en revue l’ensemble des principes applicables, la cour du travail est amenée à connaître d’une demande – introduite pour la première fois au niveau de l’appel - tendant à mettre un terme à la reconnaissance d’une maladie professionnelle précédemment admise.

FEDRIS se fonde ici sur l’article 18, 2°, de la Charte, qui suppose la survenance (ou la connaissance) d’un fait nouveau. Aucun fait de ce type n’ayant, à ce stade de l’instruction, été soumis à la cour, celle-ci rejette ce fondement.

FEDRIS fait en réalité état de « récentes avancées scientifiques », qui devraient permettre à sa demande de révision d’aboutir. La cour souligne l’ancienneté des éléments à la base de cette thèse médicale et surtout la contradiction apportée par le travailleur, qui met en évidence la difficulté d’isoler un agent nocif professionnel spécifique dans la détermination de la causalité des affections ostéo-articulaires au niveau des épaules.

La cour juge – sans attendre les éléments qui seront apportés dans le cadre de la réouverture des débats – que la position de l’Agence semble reposer sur une nouvelle position générale de son conseil scientifique à propos des conditions d’application du code 1.605.01.

Or, ainsi qu’elle le souligne, l’exigence de la preuve du lien de causalité effectif et individuel entre la maladie au niveau des membres supérieurs et l’exposition au risque professionnel de la contracter ruinerait la présomption de causalité prévue légalement et irréfragablement au départ de la démonstration de l’existence de la maladie et de l’exposition au risque. La limiter ainsi que le souhaite la partie appelante aux seules vibrations mécaniques transmises aux membres supérieurs par les engins vibrants (tenus manuellement) aboutit à réduire le champ d’application du code.

L’issue de la réouverture des débats sera suivie avec beaucoup d’intérêt.


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