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Indemnité forfaitaire de frais pour travail à domicile : prescription applicable

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 février 2021, R.G. 2015/AB/873

Mis en ligne le vendredi 29 octobre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 9 février 2021, R.G. 2015/AB/873

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 février 2021, la Cour du travail de Bruxelles examine la prescription applicable à une demande d’indemnisation, conformément à l’article 119.6 de la loi du 3 juillet 1978 en cas de travail à domicile, s’agissant d’une demande de paiement de l’indemnité de 10% de la rémunération annuelle nette au titre de frais inhérents au travail à domicile.

Les faits

Une employée a été engagée en 2005 aux fins de recruter, former et gérer une équipe de démonstratrices-vendeuses. Elle exerçait ses activités à son domicile, ne se rendant qu’occasionnellement au siège de la société, où elle ne disposait pas d’espace de travail. Le contrat entre les parties n’a pas fait l’objet d’un écrit.

Les relations de travail se sont dégradées lorsque l’intéressée reprit ses fonctions après une période d’incapacité de travail. Elle fut licenciée en 2011 pour motif grave, au motif qu’elle ne respectait pas les instructions données. La lettre de licenciement contient les griefs qui lui sont adressés, l’employeur déplorant qu’elle n’ait pas fait parvenir son planning quotidien, situation qui aurait engendré des difficultés et des dommages qualifiés d’« inacceptables ».

Une procédure a été introduite par l’intéressée en contestation du motif grave. Elle sollicitait le paiement de diverses sommes suite à la rupture, dont une indemnité de frais de travail à domicile.

Un jugement par défaut a été rendu en 2012 et opposition a été formée devant le tribunal, qui a statué sur celle-ci par un nouveau jugement du 5 mars 2015. Parmi les postes admis (le motif grave ayant été rejeté), figure celui relatif à l’indemnité de frais de travail à domicile.

Appel a été interjeté par la société, qui considère que le tribunal n’a pas correctement apprécié la rupture. L’intéressée, quant à elle, forme un appel incident.

Les arrêts de la cour du travail

La cour du travail a rendu deux arrêts, le premier datant du 20 février 2018.

L’arrêt du 20 février 2018

Dans ce premier arrêt, sur la rupture, la cour a confirmé le jugement.

Elle a en outre considéré que le fait que le licenciement pour motif grave soit invalidé n’implique pas que l’absence d’offre d’outplacement soit automatiquement fautive. Ainsi, si le travailleur n’a pas fait valoir ses droits à l’égard de l’ONEm et n’a pas davantage mis son employeur en demeure de lui faire une offre d’outplacement, comme il en avait la possibilité pendant une période de 9 mois à l’expiration du délai de 15 jours après la fin du contrat.

En outre, elle a ordonné la réouverture des débats sur deux chefs de demande, étant celui relatif à l’indemnité de frais pour travail à domicile et celui portant sur le remboursement de frais (autres montants distincts).

Pour le travail à domicile, la cour a considéré que l’intéressée apportait la preuve de l’existence de celui-ci et a constaté que la société excipait de la prescription pour s’opposer à ses revendications, l’intéressée ayant donné un fondement délictuel à sa demande. La question devait, pour la cour, faire l’objet d’explications complémentaires.

L’arrêt du 9 février 2021

Autrement composée, la cour rend son arrêt, vidant sa saisine.

Il constate, en droit, que l’indemnisation réclamée est celle prévue à l’article 119.6 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Dans la mesure où il a été considéré, dans le premier arrêt rendu, que le contrat de travail avenu entre les parties devait être requalifié en contrat d’occupation de travailleur à domicile, ce point est définitivement tranché.

La question à examiner est, dès lors, dans le prolongement de cette qualification, le droit pour l’intéressée de bénéficier de l’indemnité légale et forfaitaire de 10% de la rémunération au titre de remboursement des frais inhérents au travail à domicile.

Se pose la question du fondement légal eu égard à la règle de prescription de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978. La cour rappelle qu’à côté de ce texte, il y a lieu de tenir compte de la jurisprudence de la Cour de cassation, dont ses arrêts des 23 octobre 2006 et 22 janvier 2007 : le critère déterminant pour l’application de ces règles est la cause de la demande et non plus la combinaison de la cause et de son objet.

Le non-paiement de la rémunération est non seulement un manquement aux obligations contractuelles et légales, mais également une infraction pénale et la cour du travail reprend les règles : la responsabilité pénale en droit social n’est souvent subordonnée qu’à deux conditions, étant la transgression matérielle et l’imputabilité. Les délits y sont généralement des délits réglementaires ne requérant aucun élément moral particulier, sauf exception. En matière de non-paiement de la rémunération, il y a infraction du seul fait de la transgression de la prescription légale, abstraction faite de l’intention de l’auteur ou de sa bonne foi.

Lorsqu’une action en justice est fondée sur une infraction à la loi pénale, c’est le demandeur qui doit prouver l’imputabilité de celle-ci au défendeur ou l’inexistence de la cause de justification alléguée par ce dernier. Le demandeur est placé dans la même situation qu’en matière répressive, où le prévenu n’a aucune preuve à fournir et où il appartient à la partie publique ou à la partie civile d’établir l’inexactitude des allégations de ce dernier si celles-ci ne sont pas dénuées de tout élément de nature à leur donner crédit. Le juge va apprécier en fait et, dès lors, souverainement la valeur probante des éléments de la cause que les parties ont librement pu contredire, pour autant qu’il ne viole pas la foi due aux actes qui lui sont soumis.

L’intéressée peut donner un fondement délictuel à sa demande, sur pied des dispositions de l’article 2262bis du Code civil, de telle sorte que la requête introduite en l’espèce avant l’expiration du délai de prescription de cinq ans débutant à partir du dernier fait infractionnel imputé à la société doit être admise. Celle-ci a commis une infraction pénale, par l’entremise de son représentant. Il s’agit d’une infraction instantanée, étant que le délai de prescription commencera à courir le lendemain du jour où elle a été commise.

La cour reprend ensuite, et avec force renvois à la jurisprudence de la Cour de cassation et à la doctrine, la question du délit continué, pour laquelle elle donne la définition de la notion d’unité d’intention délictueuse. Il faut, pour pouvoir conclure à l’existence d’un délit continué (qui permettra de faire rétroagir la demande ex delicto à partir de la commission du premier fait délictueux) vérifier le but unique poursuivi par l’employeur.

En l’espèce, l’infraction a été commise mais ne peut être qualifiée de « continuée » à défaut de volonté établie dans le chef de la société d’inscrire sa stratégie de non-paiement dans une politique délibérée de délinquance sociale, se traduisant, selon la cour, par un refus systématique de respecter le droit social. L’infraction instantanée ne permet pas à l’intéressée de réclamer le paiement de l’indemnité depuis le premier fait infractionnel mais pendant une période de cinq ans avant l’introduction de la demande. Il est dès lors fait droit à ce chef de demande, le montant étant cependant légèrement corrigé.

Enfin, sur le remboursement de frais, poste relatif au remboursement de frais d’essence et de frais postaux dont l’intéressée faisait l’avance, la cour constate que ce poste est fondé, devant cependant être également limité eu égard à la règle de prescription.

Intérêt de la décision

La question de la qualification du contrat a été tranchée dans l’arrêt du 20 février 2018.

Rappelons sur ce point que la cour avait admis, à partir d’éléments de fait, que le lieu du travail était le domicile de l’intéressée (avis de remise de marchandises, diverses attestations, échange de courriers et de mails). La circonstance que l’intéressée séjournait deux jours par semaine à Paris (étant française) a été considérée comme sans pertinence, vu que l’article 119 de la loi du 3 juillet 1978 définit le travail à domicile comme celui qui est fourni par les travailleurs « à leur domicile ou à tout autre endroit choisi par eux ».

La cour avait également tranché la question de dommages et intérêts réclamés pour le préjudice subi du fait que la travailleuse n’avait pas pu bénéficier d’une procédure de reclassement professionnel. Elle y avait conclu que le fait que le licenciement pour motif grave soit invalidé n’implique pas que l’absence d’offre d’outplacement soit automatiquement fautive, l’intéressée n’ayant pas mis son employeur en demeure de lui faire une telle offre, comme elle en avait la possibilité durant une période de neuf mois à l’expiration du délai de quinze jours après la fin du contrat (article 7 de la C.C.T. n° 82). La cour avait confirmé sur ce point le jugement, qui avait refusé l’octroi de dommages et intérêts.

Relevons enfin que, dans son arrêt du 9 février 2021, la cour a principalement développé la question de la prescription de l’action eu égard au fondement contractuel ou délictuel. Reste toujours à déterminer, même si le caractère infractionnel du manquement est établi, si l’on est en présence d’une infraction instantanée ou d’un délit collectif. La cour a renvoyé ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2015 (Cass., 22 juin 2015, n° S.15.0003.F), selon lequel l’infraction déduite du défaut de paiement de la rémunération est une infraction instantanée. Pour que le caractère continué soit admis, une preuve complémentaire doit être apportée par le demandeur, qui est celle d’unité d’intention délictueuse.


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