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Pouvoir de licencier : absence de mandat et conséquences

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 5 mars 2021, R.G. 19/473/A

Mis en ligne le vendredi 29 octobre 2021


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 5 mars 2021, R.G. 19/473/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 5 mars 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) examine les effets d’un congé donné par un représentant de la société sans pouvoir de licencier : le congé est nul et non avenu.

Les faits

Une société relevant de la sous-commission paritaire n° 140.03 (transport routier et logistique) a engagé une ouvrière (technicienne de surface) en mai 2015. Celle-ci s’est présentée aux élections sociales de 2016 mais n’a pas été élue. Elle est licenciée en août 2019, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

L’organisation syndicale intervient, réclamant une indemnité de protection équivalente à deux années de rémunération. Le courrier n’est pas envoyé au siège social. Il le sera dans un deuxième temps, cependant.

Via son conseil, la société conteste devoir cette indemnité. Elle fait d’abord valoir la nullité du licenciement notifié, le signataire de la lettre n’ayant pas la compétence statutaire pour licencier et n’ayant par ailleurs pas été mandaté à cette fin. La société considère que le licenciement est nul et non avenu, ce qui entraîne la persistance du contrat. La travailleuse est en conséquence invitée à réintégrer ses fonctions dans l’entreprise, la société précisant que sa rémunération lui sera versée, l’indemnité compensatoire de préavis payée constituant quant à elle un indu. Elle précise encore qu’à défaut pour la travailleuse de reprendre ses fonctions, elle considérera qu’il y a rupture du contrat dans son chef.

L’organisation syndicale conteste que l’auteur de la lettre de licenciement ait été sans pouvoir, s’agissant du DRH, qui est également membre du personnel de direction. L’intéressée ne souhaitant pas être réintégrée et demandant paiement de l’indemnité de protection, l’employeur acte la rupture du contrat.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail. L’employeur maintient que l’auteur du congé était sans compétence pour ce faire. Reconventionnellement, il réclame la restitution de l’indemnité compensatoire de préavis versée et la condamnation de la travailleuse au paiement d’une indemnité.

La décision du tribunal

Le tribunal se penche longuement sur la question de la compétence pour licencier. La partie qui donne congé doit être l’employeur ou une personne mandatée par lui. A défaut, il rappelle qu’aucun congé n’est donné, sauf si l’employeur ratifie par la suite l’acte posé par la personne sans mandat.

Il rappelle la controverse existant en doctrine et en jurisprudence, controverse approfondie dans un arrêt de la Cour du travail de Liège, que le tribunal reprend et dont il rappelle que, malgré les différents arrêts rendus par la Cour de cassation, il n’y a pas de « paix judiciaire ». Il s’agit en effet d’articuler le droit économique déterminant les compétences respectives des organes statutaires ainsi que le Code civil dans ses dispositions relatives au mandat d’une part, avec, de l’autre, les dispositions doublement impératives qui régissent la notification de la rupture du contrat de travail (la cour se prononçant dans une hypothèse de motif grave).

Après le renvoi à la disposition légale dans le cadre de la loi du 3 juillet 1978, le tribunal examine le mandat tel qu’organisé par l’article 1998 du Code civil. En matière de licenciement, le mandat doit être spécial et exprès, du fait que le congé ne constitue pas un acte d’administration pouvant faire l’objet d’un mandat général.

Un rappel est fait de diverses décisions de la Cour de cassation quant à ce mandat, ainsi que sur la ratification de celui-ci et ses effets. La question de la ratification de l’acte posé sans mandat ou par une personne ayant outrepassé celui-ci continue à faire débat. Si la ratification peut être faite expressément ou tacitement, elle a un effet rétroactif, à la condition de ne pas préjudicier aux droits des tiers.

Dans un arrêt du 13 janvier 2003 (Cass., 13 janvier 2003, n° S.02.0025.F), la Cour de cassation a jugé que l’acte posé en violation des pouvoirs que détenait le mandataire n’avait créé aucun droit dans le chef du travailleur et qu’en conséquence, un acte de congé avec préavis était, dans une telle hypothèse, implicitement considéré comme inexistant. Le travailleur peut, comme elle l’a ensuite jugé dans un arrêt ultérieur (Cass., 6 février 2006, n° S.05.0030.N), remettre en question le mandat de l’auteur du congé, mais ceci doit intervenir dans un délai raisonnable. Cet arrêt n’a cependant pas clarifié la règle des limites de l’effet rétroactif de la ratification d’un congé donné sans mandat ou lorsque le mandataire a outrepassé un mandat existant.

Dans la jurisprudence récente, la controverse persiste quant à l’étendue de l’effet rétroactif de cette ratification. Si certaines décisions ont considéré que la ratification rétroagit à la date du licenciement ou ont tiré argument du constat de l’absence de contestation par le travailleur, qui, notamment, ne s’est plus présenté au travail, d’autres décisions ont maintenu que le caractère rétroactif de la ratification ne pouvait porter préjudice aux droits acquis avant celle-ci, de telle sorte qu’en matière de motif grave, elle devait intervenir dans le délai de trois jours ouvrables, même en l’absence de contestation immédiate du travailleur.

L’arrêt de la Cour du travail de Liège, dont de très larges extraits sont repris dans le jugement annoté (et que celui-ci fait dès lors siens), précise que, dans son arrêt du 6 février 2006, la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence antérieure selon laquelle l’effet rétroactif ne peut préjudicier aux droits acquis par les tiers, mais a précisé que la contestation de la validité du mandat devait être soulevée par le travailleur non pas « immédiatement » ou « à bref délai » mais « dans un délai raisonnable ». La solution qu’elle retient est qu’une ratification opérée en-dehors du délai de trois jours ouvrables à dater de la connaissance du fait prive le destinataire du congé donné pour motif grave du droit qu’il puise dans l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978. Il s’agit d’un droit qui découle du formalisme protecteur consacré, selon la Cour de cassation, de manière – doublement – impérative par la loi, droit qui consiste en ce qu’une partie au contrat de travail ne peut plus se voir reprocher, plus de trois jours ouvrables après la connaissance certaine des faits acquise par l’autre partie, un motif grave qui, notifié dans ce délai, eût, à le supposer établi, justifié la rupture immédiate et définitive du contrat sans indemnité.

Le tribunal en vient ensuite aux conditions qui doivent être réunies pour que le mandat apparent soit générateur d’obligations. Il faut (i) une situation apparente qui ne corresponde pas à la situation réelle, (ii) une apparence imputable au mandat, (iii) la croyance légitime du tiers à l’étendue du mandat apparent et (iv) un préjudice dans le chef du tiers dans l’hypothèse où l’on n’accorderait pas d’effet à la situation apparente.

En l’espèce, le tribunal recherche si l’auteur du congé disposait d’un pouvoir statutaire ou d’un mandat. Le tribunal ne voit pas, dans les éléments du dossier (informations à la BCE, etc.), d’éléments permettant de retenir un pouvoir de licenciement. Il n’avait par ailleurs pas de mandat apparent, le tribunal relevant que l’organisation syndicale, qui a été consultée par son affiliée très rapidement, pouvait effectuer toutes les démarches utiles, notamment via la BCE. En outre, le tribunal constate qu’il n’y a pas eu de ratification du congé, même tacitement. L’employeur a en effet réagi rapidement dès qu’il a été informé du courrier de l’organisation syndicale et a immédiatement invoqué la nullité du licenciement, proposant en outre la rémunération des jours d’absence.

Le licenciement est dès lors considéré comme nul et non avenu, l’auteur de la rupture étant la travailleuse elle-même.

Intérêt de la décision

Le tribunal du travail est ici saisi de la question de la validité d’une lettre de licenciement, s’agissant de déterminer si l’auteur du congé avait le pouvoir (statutaire ou par mandat) de mettre un terme au contrat de travail.

L’on notera que, malgré la finalisation immédiate des effets de la rupture (paiement de l’indemnité compensatoire, délivrance des documents sociaux, etc.), l’employeur a lui-même contesté la validité du licenciement, dès lors qu’il a été informé de la revendication de la travailleuse.

Ceci amène le débat sur l’articulation des dispositions légales, étant d’une part celles relatives au pouvoir statutaire des représentants d’une société commerciale et d’autre part celles concernant le mandat exprès ou tacite. Les deux situations doivent être mises en conformité avec les exigences des dispositions impératives relatives à la rupture prévues par la loi du 3 juillet 1978.

Le tribunal a fait, dans son jugement, un très long détour par les règles du mandat en matière de licenciement pour motif grave. La question y est particulièrement importante eu égard au délai de trois jours, puisque, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans divers arrêts, si la ratification d’un mandat peut intervenir de manière rétroactive, elle ne peut avoir pour effet de préjudicier les droits des tiers. Or, si, dans les trois jours ouvrables, le mandat n’est pas ratifié – mais qu’il l’est ultérieurement –, se pose la question de savoir si le motif grave ainsi notifié est régulier ou non.

La controverse nourrie concernant les hypothèses de ratification en cas de motif grave est utile en ce qu’elle déborde sur les effets généraux de la ratification d’un mandat avec effet rétroactif, puisque, dans son arrêt du 6 février 2006, la Cour de cassation a précisé que la contestation de la validité du mandat doit être soulevée par le travailleur non pas « immédiatement » ou « à bref délai », mais « dans un délai raisonnable ». Elle a précisé que tout travailleur licencié par écrit par le mandataire de l’employeur, au nom et pour le compte de celui-ci, a le droit de demander la production de la procuration pour se convaincre de l’existence du mandat, mais qu’il n’est toutefois pas obligé de le faire. S’il s’en abstient et ne se présente plus au travail, comme le ferait toute personne réellement licenciée, il ne peut plus nier ultérieurement l’existence du mandat, sauf dans un délai raisonnable, lorsque ni le mandant ni le mandataire ne contestent celui-ci.


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