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Etat de santé – trajet de réintégration – licenciement : appréciation des motifs

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 3 février 2021, R.G. 20/78/A

Mis en ligne le jeudi 14 octobre 2021


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 3 février 2021, R.G. 20/78/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 3 février 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) reprend le cadre des règles en matière de discrimination pour état de santé, licenciement manifestement déraisonnable et procédure de trajet de réintégration, examinant pour chacun de ces mécanismes le droit pour le travailleur au bénéfice d’une indemnité suite à la rupture du contrat intervenue.

Les faits

Un employé, au service d’un magasin d’alimentation au détail, tombe en incapacité en 2017. Il est atteint d’un cancer et, près de deux ans plus tard, il sera victime d’un infarctus. Avant la survenance de celui-ci, l’employeur a introduit une demande de trajet de réintégration auprès du conseiller en prévention-médecin du travail. Plusieurs convocations sont intervenues et il est décidé que, pour des raisons médicales, le trajet de réintégration ne doit pas être entamé.

Quelques mois après l’infarctus, le travailleur est considéré apte à la reprise du travail moyennant une adaptation de celui-ci, étant la prestation dans le cadre d’un temps partiel médical à 50%, situation devant être revue par la médecine du travail dix jours après la reprise du travail. L’employeur lui communique en conséquence son nouvel horaire, prévoyant une formation avec horaire adapté pour la première semaine et horaire définitif ensuite. Les nouvelles fonctions sont des activités de réception de marchandises et de réassorts, ce qui amène l’intéressé à rappeler qu’il était « assistant de direction ». Il fait parvenir un certificat d’incapacité de travail pour une période de deux mois environ. En fin de période, il lui est annoncé qu’un rendez-vous est prévu lors de la reprise. Lui est notifiée lors de celui-ci la rupture de son contrat de travail moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Ayant demandé à connaître les motifs du licenciement, il lui est expliqué que, pendant sa période d’incapacité de travail, il y a eu un transfert d’entreprise, qu’il a souhaité réintégrer sa fonction et que, pour des raisons financières, la société repreneuse a pris la décision de réduire le nombre des membres du personnel et de supprimer certains frais. Le motif invoqué est les nécessités du fonctionnement de l’entreprise. Le poste qu’il occupait par le passé est par ailleurs supprimé, vu le changement complet d’organisation au sein de la société et la réorganisation du personnel.

L’employé introduit une procédure, réclamant plusieurs indemnités. Il s’agit essentiellement de l’indemnité prévue à l’article 18 de la loi du 10 mai 2017, d’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable au sens de la C.C.T. n° 109 et, enfin, de dommages et intérêts fixés forfaitairement à 5.000 euros. Il considère en effet que la société ne s’est pas soumise aux obligations relatives au plan de réintégration qu’elle avait initié, étant qu’elle n’a notamment pas rédigé le rapport indiquant la raison objective pour laquelle elle ne pouvait l’établir, le privant ainsi de la chance de conserver son emploi (emploi adapté).

La décision du tribunal

Sur la discrimination, le tribunal fait le rappel du mécanisme légal, constatant qu’en l’espèce, deux critères protégés sont invoqués, étant l’état de santé et le handicap. Il explicite également les contours juridiques de ceux-ci, notamment par la définition du handicap dans la jurisprudence de la Cour de Justice.

Il constate que le licenciement n’est pas motivé par l’état de santé (non plus que par un handicap), mais par le fait que, durant la longue absence pour maladie de l’intéressé, la situation de l’entreprise a changé sur le plan commercial et, surtout, financier et que son poste avait dû être pourvu, même sous une autre forme. Le licenciement n’est dès lors pas intervenu en raison d’un critère protégé, qui soit l’état de santé actuel ou futur. Il n’est pas davantage fondé sur l’état de santé passé. En effet, au moment du licenciement, l’intéressé était déclaré apte à travailler à mi-temps médical tant par son médecin-traitant que par le médecin du travail. Le demandeur est dès lors débouté de ce chef de demande.

Il le sera également de sa demande d’indemnité fondée sur la C.C.T. n° 109, le tribunal constatant que sont invoqués des motifs liés aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise (et, dans une moindre mesure, son aptitude à travailler au sein de celle-ci, vu qu’il n’avait pas suivi des formations intervenues entre-temps). La preuve de ces nécessités repose dans un courrier du bureau comptable, dont il ressort de façon incontestable pour le tribunal que la situation financière de l’entreprise était déficitaire et qu’une des causes majeures était les frais de personnel. Le tribunal constate également que d’autres licenciements sont intervenus en 2019 et en 2020, soit un total de huit travailleurs, dont l’intéressé, sur les dix-sept qui étaient encore occupés début 2018.

Quant au choix du demandeur, le tribunal estime celui-ci fondé, vu sa longue absence. Il n’avait en effet jamais travaillé au sein de la nouvelle structure, dont il ne connaissait pas le fonctionnement. Ce choix ne peut être considéré comme manifestement déraisonnable.

Enfin, sur le trajet de réintégration, la chronologie des faits est établie. Lorsqu’intervient le licenciement, le délai de cinquante-cinq jours ouvrables donné à l’employeur par l’article I.4-74 du Code du bien-être au travail en son § 3 pour remettre le plan de réintégration était largement expiré. Le tribunal examine les motifs invoqués par la société (différence de règles de procédure entre les deux sociétés), considérant qu’il ne s’agit pas d’un argument opposable au travailleur et concluant ici à une faute dans le chef de la société. Il constate cependant que ni le Code du bien-être ni le Code pénal social ne prévoient de sanction à l’égard de l’employeur. Si la demande est fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, il appartient à l’intéressé d’établir le dommage et le lien de causalité avec la faute ci-dessus.

Celui-ci faisant valoir, au titre de dommage, la perte d’une chance de conserver son emploi, le tribunal lui fait grief de ne pas établir celle-ci, dans la mesure où la situation financière de l’entreprise était mauvaise et que des licenciements étaient intervenus.

Intérêt de la décision

Les trois points tranchés par le tribunal dans cette espèce rappellent une fois de plus l’articulation entre la législation anti-discrimination, la C.C.T. n° 109 et l’octroi de dommages et intérêts pour faute de l’employeur, celle-ci étant en l’espèce intervenue dans le cadre de la procédure du trajet de réintégration.

Pour ce qui est de la discrimination, une règle de base est que, si la personne qui se considère victime d’une discrimination ne doit pas prouver celle-ci, elle doit en revanche établir l’existence de faits qui peuvent permettre de présumer d’une telle discrimination.

En l’espèce, le tribunal ne retient pas d’éléments susceptibles de constituer de telles présomptions, l’employeur établissant, quant à lui, la très grande plausibilité du motif, puisque les nécessités de fonctionnement de l’entreprise (un des critères de l’ancien article 63 de la loi du 3 juillet 1978) sont avérées et que, vu d’autres licenciements intervenus avant et au moment de celui de l’intéressé, le lien de causalité est retenu avec des motifs liés à l’emploi dans l’entreprise.

La concomitance entre une situation d’incapacité de travail et une rupture de contrat n’est, dès lors, pas nécessairement synonyme de licenciement discriminatoire lié à l’état de santé.

Par ailleurs, le motif licite étant établi, il n’y a pas lieu de faire droit à une demande d’indemnité sur pied de la C.C.T. n° 109.

Enfin, le tribunal rappelle très utilement qu’en cas de faute de l’employeur dans le cadre de la procédure du trajet de réintégration, il n’y a pas de sanction légale, de telle sorte que, si le travailleur entend être indemnisé, il doit, conformément aux articles 1382 et 1383 du Code civil, établir la faute, le dommage et le lien de causalité.

De manière générale (ainsi que dans le cadre de l’obligation existante ou non pour l’employeur d’auditionner le travailleur avant le licenciement), il est régulièrement fait appel à la théorie de la perte d’une chance. Si, dans ce cadre, le travailleur ne doit pas prouver qu’il a perdu une chance concrète, la plausibilité de cette chance doit néanmoins être établie. En l’occurrence, vu la situation économique de l’entreprise, cette plausibilité était inexistante.


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