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Subrogation légale de l’organisme assureur

Commentaire de Cass., 18 janvier 2021, n° C.18.0417.F

Mis en ligne le vendredi 24 septembre 2021


Cour de cassation, 18 janvier 2021, n° C.18.0417.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 18 janvier 2021, la Cour de cassation accueille un pourvoi contre un arrêt de la Cour d’appel de Liège, qui avait admis que l’action de l’organisme assureur en récupération de prestations avancées par lui pouvait avoir comme fondement l’article 1382 du Code civil. La Cour suprême rappelle qu’il s’agit de l’action-même de son assuré exercée par une demande distincte et que l’organisme assureur n’a pas, quant à lui, subi de dommage, ayant fait les avances légales dans le cadre de la subrogation de l’article 136, § 2, de la loi du 14 juillet 1994.

La Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi contre un arrêt rendu le 2 février 2018 par la Cour d’appel de Liège (R.G. 2016/RG/1.000).

Rétroactes

Suite à un accident de pédalo survenu sur l’Ourthe en juillet 2007, un des trois occupants décéda et les deux autres furent blessés. Une action fut introduite contre la Région wallonne et la Commune de la Roche-en-Ardenne.

Le Tribunal de première instance de Marche-en-Famenne statua par jugement du 13 octobre 2011, disant pour droit que la Ville de la Roche-en-Ardenne était seule responsable de l’accident. L’A.N.M.C. avait déposé une requête en intervention volontaire.

Par un second jugement rendu le 26 mai 2016, le Tribunal de première instance de Marche-en-Famenne (actuellement Tribunal de première instance du Luxembourg, division Marche-en-Famenne) a notamment dit les demandes de l’A.N.M.C. non fondées au motif de prescription. Appel a été interjeté.

La motivation de la cour d’appel

La Cour d’appel de Liège a dès lors statué par arrêt du 2 février 2018 et a confirmé la prescription de l’action formée par l’organisme assureur contre la Commune de la Roche-en-Ardenne, action mue en sa qualité de subrogée dans les droits de son assuré. La cour a cependant considéré recevable et fondée l’action formée par l’A.N.M.C. sur la base d’un droit propre et a condamné la commune au paiement des sommes réclamées.

Elle a admis qu’au cas où l’action de l’organisme assureur ne serait pas accueillie en tant que subrogée légalement dans les droits du bénéficiaire, elle pouvait agir sur la base d’un droit propre en se prévalant de la faute commise par la commune en lien causal avec le dommage personnel qui lui a été causé. L’existence d’une obligation légale ou réglementaire n’exclut pas un dommage au sens de l’article 1382 du Code civil, sauf lorsqu’en fonction des termes ou de la portée de la loi ou du règlement, la dépense ou la prestation doit rester définitivement à charge de celui qui est tenu de l’exposer par l’effet de cette loi ou de ce règlement.

Pour la cour, tel n’est pas le cas de l’assureur maladie-invalidité qui accorde des prestations dans le cadre de la loi du 14 juillet 1994, puisque l’article 136, § 2, prévoit en sa faveur un droit de subrogation légale. Ceci démontre que le législateur n’a pas voulu laisser à sa charge le poids définitif de la dépense en cause. La cour a dès lors accueilli la thèse de l’A.N.M.C. selon laquelle elle peut exercer un recours direct sur la base de l’article 1382 du Code civil pour autant qu’elle démontre que les conditions d’application de cette disposition sont remplies.

Le pourvoi

Le pourvoi présente trois moyens, dont seul le deuxième sera examiné par la Cour. Ce deuxième moyen est fondé sur les articles 1382 et 1383 du Code civil ainsi que 136, § 2, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994.

Ce deuxième moyen fait notamment valoir que l’organisme assureur n’a à octroyer ses prestations que dans la mesure où le dommage n’est pas déjà réparé en vertu d’une autre législation ou du droit commun et dans les conditions prescrites par le Roi. Cette disposition prévoit en son 4e alinéa que l’organisme assureur est subrogé de plein droit au bénéficiaire et que cette subrogation vaut à concurrence du montant des prestations octroyées pour la totalité des sommes dues en vertu de la législation ci-dessus ou du droit commun et qui réparent partiellement ou totalement le dommage visé par la disposition. Lorsque l’organisme assureur accorde à quelqu’un qui a souffert d’un dommage causé par la faute d’un tiers des prestations de l’assurance maladie-invalidité, il ne subit pas un dommage propre causé par cette faute. Il exécute une obligation légale, qui est d’avancer les sommes que son assuré pourra réclamer ultérieurement à l’auteur du dommage. L’organisme assureur pourra récupérer ces sommes auprès du responsable, étant subrogé de plein droit dans les droits de son assuré.

L’action en justice mue par l’organisme assureur n’est dès lors pas une action distincte de celle de la victime mais, par une demande distincte, est l’action-même de celle-ci, dans le cadre de la subrogation légale. L’action visée à l’article 136, § 2, 4e alinéa, de la loi est exclusive de l’action fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil.

Le pourvoi rappelle notamment un arrêt de la Cour de cassation du 3 septembre 2003 (Pas., 2003, p. 1346) concernant les mutualités, dans lequel la Cour a décidé que, dans cette hypothèse, l’organisme assureur ne subit pas un dommage causé par une infraction mais exécute une obligation légale. Le pourvoi précise qu’il en va de même de l’assureur-loi, et ce par renvoi à deux arrêts de la Cour de cassation (Cass., 24 avril 2002, Pas., 2002, p. 991 et Cass., 26 mars 2003, Pas., 2003, p. 638).

L’arrêt de la Cour

La Cour accueille le deuxième moyen, rappelant le principe de la responsabilité civile. L’article 1382 suppose une faute qui cause à autrui un dommage, l’auteur étant tenu de réparer celui-ci intégralement, ce qui implique pour la Cour le rétablissement de la personne lésée dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n’avait pas été commise.

Le paiement des prestations dans le cadre de la loi du 14 juillet 1994 ne constitue pas un dommage pour l’organisme assureur. Celui-ci est une union nationale de mutualités instituées pour et chargées de participer à cette assurance en vertu de l’article 3 de la loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités.

La Cour considère que la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision en considérant que l’existence d’une obligation légale ou réglementaire n’exclut pas un dommage au sens de l’article 1382 du Code civil (sauf l’hypothèse où la prestation doit rester définitivement à charge de celui qui est tenu de l’exposer par l’effet de la loi) et que, dans la mesure où l’organisme assureur bénéficie d’une subrogation légale (ce qui démontre que le législateur n’a pas voulu laisser à sa charge le poids définitif de la dépense), ceci ne peut justifier la conclusion de la cour selon laquelle l’organisme assureur peut exercer un recours direct sur pied de l’article 1382 du Code civil.

Intérêt de la décision

En vertu de l’article 136, § 2, de la loi du 14 juillet 1994, l’organisme assureur A.M.I. dispose d’une subrogation légale. Il peut, ainsi, agir pour son assuré et exercer contre l’auteur du dommage un recours en vue de récupérer auprès de celui-ci les sommes dont il aura fait l’avance. Les prestations A.M.I. doivent en effet être octroyées par l’organisme assureur si le dommage n’est pas déjà réparé, et ce en vertu d’une autre législation belge ou étrangère ou du droit commun (et dans les conditions prescrites par le Roi). Il ne subit pas un dommage propre mais exécute une obligation légale.

Dans un arrêt du 3 septembre 2003 (Cass., 3 septembre 2003, n° P.03.0256.F), la Cour de cassation a rappelé qu’il s’agit de l’action même de la victime exercée par l’organisme assureur, dans la mesure où il est subrogé de plein droit. En conséquence, lorsque, devant une juridiction, l’action civile a été régulièrement mise en mouvement par le subrogeant, le subrogé est en droit, dès lors qu’il exerce cette action même du subrogeant, d’intervenir à cette fin pour la première fois en degré d’appel. Il s’agissait de la recevabilité de la procédure eu égard au mécanisme de la subrogation.

L’organisme assureur n’exerce dès lors pas une action distincte de la victime mais l’action-même de celle-ci, et ce par une demande distincte, dans le cadre du mécanisme de la subrogation légale. Le même principe est valable en matière d’accidents du travail.

Le pourvoi vise ici notamment un arrêt du 24 avril 2002 rendu par la Cour de cassation (secteur public) (Cass., 24 avril 2002, n° P.01.1623.F), dans lequel la Cour a considéré que l’assureur couvrant un agent du service public contre les accidents du travail, qui supporte la charge de la rémunération de son assuré victime de cet accident pendant la période d’incapacité temporaire, est subrogé de plein droit dans les droits de celle-ci contre le tiers responsable de l’accident dans la limite de ses décaissements d’une part et du montant que la victime aurait pu obtenir en droit commun de l’autre. L’assureur n’est pas l’employeur de la victime et ne subit pas de dommage personnel du chef de la perte des prestations de travail de celle-ci.


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