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Travail à temps partiel : modes de renversement de la présomption d’occupation à temps plein

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 février 2021, R.G. 2019/AB/603

Mis en ligne le vendredi 24 septembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 3 février 2021, R.G. 2019/AB/603

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 février 2021, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles probatoires de l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969 relatif à la présomption d’occupation à temps plein en cas de non-respect des obligations relatives au travail à temps partiel.

Les faits

Lors d’un contrôle dans un établissement Horeca, est constatée la présence de deux travailleurs à temps partiel, occupés alors que la société n’a pas respecté les mesures de publicité des horaires, les personnes intéressées étant par ailleurs présentes en dehors des horaires prévus à leur contrat de travail et aucune feuille de dérogation n’étant établie.

Le rapport d’enquête est transmis à l’O.N.S.S., qui procède à la régularisation des cotisations de sécurité sociale, sur la base d’un temps plein. L’Office fait application de l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969. Sont notamment examinées les heures d’activité de l’établissement. Par ailleurs, aucun des travailleurs occupés n’a d’autre emploi. Les cotisations, recalculées sur la différence entre les rémunérations déclarées et les rémunérations dues sur la base d’un temps plein, sont réclamées. Il s’agit d’un montant de près de 19.000 euros.

La société conteste devant le tribunal du travail. Dans le cadre de la procédure, l’O.N.S.S. introduit une demande reconventionnelle, portant sa réclamation à plus de 23.000 euros. Le recours est rejeté, confirmant l’obligation pour la société de payer le montant réclamé par l’O.N.S.S.

La société interjette appel du jugement.

La décision de la cour

La cour rappelle les deux présomptions figurant à l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969, présomptions réfragables. Est présumé à temps plein le travailleur à temps partiel qui preste en dehors de son horaire normal (si les mesures de contrôle des dérogations à l’horaire ne sont pas respectées, soit que le carnet de dérogation n’existe pas ou qu’il est incorrectement complété), de même que le travailleur qui preste sans que soient respectées les mesures de publicité des horaires. La cour rappelle que ces présomptions sont d’ordre public, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2006 (Cass., 24 avril 2006, n° S.04.0121.N). Elles valent non seulement pour le jour du contrôle, mais également pour toute la période de l’occupation lorsque les conditions d’application sont remplies.

La cour rappelle un arrêt rendu le 2 décembre 2020 par la même juridiction mais autrement composée (C. trav. Bruxelles, 2 décembre 2020, R.G. 2018/AB/389), qui a repris les règles de preuve en la matière. Les services d’inspection doivent constater les conditions d’application de l’article 22ter et vérifier le non-respect des mesures de publicité ou de contrôle. En cas de contestation, l’O.N.S.S. a la charge de la preuve de ces conditions. La preuve contraire à apporter consiste à établir que le travailleur n’a pas effectué de prestations à temps plein. Elle ne porte pas sur l’importance des prestations effectives.

En l’espèce, il n’est pas contesté que les travailleurs prestaient en dehors de leur horaire ni qu’au moment du contrôle, les mesures de publicité des horaires ou le carnet de dérogation n’existaient pas.

La société entend cependant renverser la présomption légale – comme elle y est autorisée.

Les attestations d’autres membres du personnel (occasionnels) sont rejetées comme étant non probantes. De même celles des conjointes des travailleurs, vagues et ne correspondant pas aux constatations effectuées lors du contrôle, de même encore que des attestations de clients.

La cour rejette également comme non crédibles les affirmations selon lesquelles le cuisinier et l’aide cuisinier ne seraient présents que pendant le temps de midi et en soirée, ce qui ne correspond pas aux besoins de l’établissement, ceux-ci ayant des responsabilités annexes manifestement effectuées en dehors du temps habituel des repas.

La société présente encore ses comptes d’exploitation pendant quatre ans, aux fins d’asseoir des explications relatives à sa marge brute. Pour la cour, cet élément est également peu signifiant.

Le jugement est en conséquence confirmé, la présomption d’occupation à temps plein n’étant pas renversée.

Intérêt de la décision

Les présomptions de l’article 22ter de la loi ont, comme on le sait, un caractère réfragable et la preuve contraire peut être apportée par l’employeur par toutes voies de droit.

La portée de la présomption d’occupation à temps plein avait été définie dans un arrêt de la Cour de cassation du 29 février 2016 (n° S.15.0052.F – précédemment commenté). La Cour y avait cassé une décision de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 2 juin 2014, R.G. 2013/AM/350 – également précédemment commenté), qui avait admis que le travailleur pouvait invoquer à son profit le bénéfice de la présomption légale. Pour la Cour de cassation, cette manière de voir ne peut être admise. La disposition vise dès lors les institutions de sécurité sociale uniquement.

La Cour du travail de Bruxelles a rappelé dans cet arrêt du 3 février 2021 que, selon la Cour de cassation, la présomption s’applique non seulement au moment où le défaut de publicité est constaté, mais aussi à toute la période de l’occupation irrégulière.

Dans l’espèce tranchée, les éléments avancés aux fins de tenter de renverser la présomption apparaissent, à la lecture de l’arrêt, faibles.

Les possibilités de renversement de la présomption légale portent sur les cas dans lesquels il y a impossibilité matérielle de travailler à temps plein. Les travaux préparatoires ont ainsi visé certaines hypothèses (l’étudiant employé durant le week-end et qui suit des cours en semaine, ainsi que le travailleur qui effectue plusieurs temps partiels chez des employeurs différents).

Dans un arrêt du 3 février 2003 (Cass., 3 février 2003, n° S.02.0081.N), la Cour de cassation a jugé que l’employeur ne doit pas prouver l’étendue des prestations réellement effectuées dans le cadre du contrat à temps partiel, mais bien que le travailleur n’a pas effectué des prestations à temps plein dans le cadre d’un contrat à temps plein.

Dans une décision du 17 janvier 2018 (C. trav. Bruxelles, 17 janvier 2018, R.G. 2016/AB/799 – également précédemment commenté), la Cour du travail de Bruxelles a plus précisément considéré que, si l’employeur veut renverser la présomption, l’objet de la preuve à sa charge est de permettre à l’Inspection sociale de vérifier si des travailleurs à temps partiel ne sont pas occupés clandestinement en dehors des horaires prévus. Du fait du non-respect du mécanisme légal de publicité, la surveillance est rendue plus difficile, d’où l’exigence d’une preuve qualifiée d’« assez lourde » par la cour, étant qu’il n’y a pas eu de travail en dehors des horaires prévus ou, à tout le moins, que les travailleurs à temps partiel n’ont pas presté à temps plein dans le cadre d’un contrat à temps plein.

La même cour du travail rappelle dans cet arrêt qu’elle a jugé précédemment que les contrats de travail produits après le contrôle, de même que les comptes individuels, ne suffisent pas à renverser la présomption. Il en va de même des déclarations de l’employeur au secrétariat social et à l’O.N.S.S. ensuite, celles-ci pouvant être inexactes.

Rappelons encore, pour son intérêt sur le plan pratique, l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 (n° S.14.0101.N), qui a jugé que, pour que la présomption de travail à temps plein ne trouve pas à s’appliquer, l’employeur doit conserver les documents légalement exigés sur le lieu de travail dans un endroit facilement accessible pour les travailleurs et où le règlement de travail peut être consulté. Ceci ne signifie pas que, lors d’un contrôle de l’inspection sociale, ces documents doivent pouvoir être présentés immédiatement au contrôleur (article 22ter, alinéa 2, de la loi du 27 juin 1969).


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