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Commission paritaire compétente en cas de pluralité d’activités

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 janvier 2021, R.G. 2019/AB/60

Mis en ligne le vendredi 24 septembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 21 janvier 2021, R.G. 2019/AB/60

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 janvier 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en cas de pluralité d’activités exercées au sein d’une entreprise, l’activité principale se déterminera à partir du temps de travail consacré par le personnel à l’une ou l’autre activité, le chiffre d’affaires n’étant pas un critère pertinent.

Les faits

Une société est active dans l’assemblage de vélos de course et de commerce de gros de vêtements de sport. Elle ressortissait, jusqu’au 30 juin 2016, à la commission paritaire du commerce de métal n° 149.04 pour ses ouvriers et à la commission résiduaire n° 200 pour ses employés.

Le SPF Emploi entreprit en 2017 une enquête quant à la commission paritaire applicable à cette activité et l’avis de la Direction Contrôle des lois sociales conclut que, vu l’activité principale de l’entreprise (l’assemblage et la production), elle devait dépendre de la commission paritaire n° 111 pour ses ouvriers (métal, travaux électriques) et n° 209 pour ses employés (fabrications métalliques), l’activité de commerce en gros étant une activité accessoire.

Des discussions intervinrent avec la société, suite auxquelles celle-ci introduisit une action devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles. L’entreprise demandait au tribunal de dire pour droit que les commissions paritaires n° 149.04 et 200 devaient être retenues.

Quant à l’O.N.S.S., il entendait obtenir par voie reconventionnelle des arriérés de cotisations, majorations et intérêts sur la base de la décision prise par le SPF Emploi.

Le tribunal considéra, par jugement du 30 octobre 2018, que l’action était non fondée et condamna la société au paiement de 1 euro provisionnel.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

La société expose qu’elle exerce deux activités, une de commerce en gros de vêtements de sport (vélos) et d’assemblage de vélos de course, l’aspect commercial étant pour elle l’activité principale. Elle demande à la cour d’ordonner au SPF Emploi d’effectuer une nouvelle enquête sur ce point. Elle déclare que celle-ci fait 80% de son chiffre d’affaires et qu’elle occupe une dizaine de personnes, l’activité d’assemblage ne représentant quant à elle que 20% et n’exigeant que deux personnes. Ce secteur pourrait être fermé sans modifier la nature de l’entreprise, de telle sorte qu’il ne s’agit pas d’une activité séparée. Il n’y a, pour elle, qu’une seule activité à prendre en compte, étant l’activité commerciale. Elle considère que c’est à tort que le premier juge a retenu comme critère le temps de travail, dont 58% seraient consacrés à l’assemblage, ce calcul n’étant pas fiable. Elle fait encore valoir que la consistance du personnel a évolué depuis l’époque où l’enquête a été effectuée.

Quant à l’O.N.S.S., il se fonde sur les résultats de cette enquête, rappelant que, quand il s’agit d’une entreprise qui exerce plusieurs activités économiques, particulièrement lorsque certains travailleurs sont polyvalents, il faut appliquer le principe selon lequel l’accessoire suit le principal. La commission paritaire est déterminée par l’activité principale et il faut entendre par là celle dont le personnel représente la plus grande partie du temps de travail, le chiffre d’affaires réalisé étant un critère secondaire. Pour l’Office, l’assemblage constitue 15% du chiffre d’affaires mais occupe 58% du temps de travail, de telle sorte que c’est ce critère qu’il faut retenir.

Par ailleurs, il conteste que la preuve soit apportée du fait que le volet commercial constitue l’activité principale. Seul un poste de personnel est effectivement réservé à l’assemblage (peinture au pistolet), alors que la majorité des travailleurs sont polyvalents, dont les employés magasiniers. Il relève encore que, si les représentants de commerce, de même que ces derniers, travaillent essentiellement pour la partie commerciale, les descriptions de fonction des autres membres du personnel ne permettent pas de déduire qu’ils sont essentiellement affectés à cette activité. Vu le caractère principal de l’assemblage des vélos, il faut appliquer les commissions paritaires n° 111 et 209, l’activité exigeant des techniques spécifiques aux constructions métalliques.

La décision de la cour

Dans son rappel en droit, la cour reprend les travaux préparatoires de la loi du 5 décembre 1968, qui ont posé le principe que l’activité de l’entreprise est le critère déterminant pour fixer la commission paritaire compétente, les tâches et fonctions exercées par les travailleurs n’étant pas un critère pertinent. L’activité retenue est celle qui est la raison d’être de l’entreprise, c’est-à-dire qui ne peut pas être arrêtée ou sous-traitée sans modifier sa nature. Dans les critères retenus en doctrine, les auteurs renvoient à l’activité économique de l’entreprise. Il s’agit de l’activité réelle, à savoir le contenu concret de cette activité, et cette activité doit être exercée par l’entreprise elle-même, n’étant pas prise en compte celle qui n’est pas effectuée par son personnel même si c’est pour son compte (renvoyant Cass., 14 février 1983, n° 81.132).

En cas de pluralité d’activités, le principe est l’appartenance à une seule commission paritaire. S’il y a plusieurs activités économiques, le critère retenu est que l’accessoire suit le principal, l’activité principale de l’entreprise déterminant la commission paritaire compétente, à moins que l’arrêté royal qui a institué la commission paritaire n’ait retenu un autre critère (la cour renvoyant ici à Cass., 2 juin 2014, n° S.12.0048.N et Cass., 18 janvier 2010, n° S.08.0150.N).

Lorsque plusieurs activités sont exercées, est considérée comme activité principale celle qui suppose la mise à l’emploi la plus importante, et ce sur la base du temps de travail. Sont rappelés ici non seulement les travaux parlementaires mais la position de la doctrine la plus autorisée (dont J. ROMBOUTS et M. RIGAUX, De paritaire organen met inbegrip van de paritaire comités, Kluwer, Malines, 2005, p. 95). En cas de litige, le tribunal est seul compétent pour décider de la commission paritaire applicable à l’entreprise, n’étant pas lié par l’avis de l’administration.

La cour constate qu’il existe entre les parties une discussion sur la question de savoir quelle est l’activité principale et quelle est l’activité accessoire. Dans cette hypothèse, doit être retenu comme critère celui de la mise à l’emploi la plus importante via l’élément temps de travail consacré à chaque activité. Le chiffre d’affaires n’est pas, comme le rappelle la cour, un critère adéquat à cet égard.

Elle reprend, ensuite, les chiffres retenus dans l’examen du dossier par le SPF Emploi et examine les arguments de la société, en ce compris sur le point des travailleurs à prendre en compte (maladie de longue durée, travail d’étudiant, etc.).

Il résulte de ces éléments que la position du SPF est fondée et qu’il n’y a pas lieu de refaire une enquête, au motif de l’écoulement du temps. Elle rappelle à cet égard la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 11 septembre 2020, n° C.19.0448.N), selon laquelle le juge peut décider de refuser une mesure d’instruction lorsqu’aucun élément n’est produit qui justifierait que celle-ci soit raisonnablement ordonnée.

Elle conclut, en conséquence, au non-fondement de l’appel.

Intérêt de la décision

La cour est saisie dans cette affaire de la détermination de la commission paritaire compétente lorsqu’une entreprise exerce une double activité. Elle rappelle les critères à retenir. En principe, un employeur ne dépend que d’une seule commission paritaire, celle-ci étant déterminée d’après l’activité économique de l’entreprise. En cas d’activités multiples, il faut définir celle qui est l’activité principale, sauf, comme le rappelle la cour, si un autre critère est repris dans l’arrêté royal qui a institué la commission paritaire elle-même. Elle renvoie à cet égard à deux arrêts de la Cour de cassation relatifs à la commission paritaire pour le secteur socio-culturel (avec activités dépendant du secteur Horeca).

Il est admis et non contesté que, par « activité principale », il faut viser celle à laquelle sont affectés par exemple le plus de travailleurs ou consacrées le plus d’heures de travail, ou encore celle qui est la raison d’être de l’entreprise. L’on peut à cet égard renvoyer à la doctrine de S. BALTAZAR, « La détermination de la commission paritaire compétente », obs. sous C. trav. Liège, 29 juillet 2003, J.T.T., 2004, p. 109).

La Cour de cassation a admis qu’une entreprise peut dépendre de plusieurs commissions paritaires si plusieurs activités économiques sont exercées, mais, dans cette hypothèse, il faut vérifier l’absence de lien plus ou moins direct entre celles-ci : cette absence peut ressortir d’éléments de fait (locaux distincts, éloignés les uns des autres, personnel exclusivement attaché à une activité). Cette situation n’est cependant pas la règle mais l’exception.

L’on peut renvoyer, pour un autre cas de contestation quant à la commission paritaire compétente, à un arrêt de la Cour du travail de Liège (div. Liège) du 11 juin 2012 (R.G. 2011/AL/581 – précédemment commenté), pour une société de nettoyage ayant créé une division ‘espaces verts’ aux fins d’effectuer des travaux d’extérieur.


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