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Chômage : conditions de la dispense en vue de suivre une formation

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 3 février 2021, R.G. 2019/AL/362

Mis en ligne le mardi 14 septembre 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 3 février 2021, R.G. 2019/AL/362

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 février 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’en matière de dispense, le FOREm ne dispose pas d’une compétence discrétionnaire, s’agissant d’une compétence liée, et que les conditions de l’article 93 de l’arrêté royal organique (durée minimale du chômage) ne s’appliquent pas à une demande visée à l’article 94, alinéa 1er, 1° : le demandeur ne doit dès lors pas établir qu’il a bénéficié de trois-cent-douze allocations de chômage avant de solliciter l’octroi de la dispense.

Les faits

Une bénéficiaire d’allocations de chômage, titulaire d’un C.E.S.S. depuis 1995, a travaillé pendant une quinzaine d’années. Elle a ensuite été déclarée définitivement inapte à sa fonction et son contrat de travail a pris fin pour force majeure.

Elle a introduit auprès du FOREm une demande de dispense pour suivre une formation d’aide familiale/aide-soignante après de l’école de promotion sociale des Femmes Prévoyantes Socialistes (cours d’au moins vingt heures par semaine, dispensés en journée du lundi au vendredi, pendant deux ans). Elle précise, dans sa demande, qu’elle n’a pas bénéficié d’au moins trois-cent-douze allocations pendant les deux dernières années. Par ailleurs, cette formation ne s’inscrivait pas dans un plan d’action individuel conclu avec les services du FOREm. La dispense a dès lors été refusée sur pied de l’article 94, § 1er, de l’arrêté royal organique, la décision précisant qu’il a été tenu compte de la nature de la formation (qui présente notamment les caractéristiques d’études de plein exercice), de la durée du chômage et du parcours professionnel.

Une même demande a été réintroduite six mois plus tard (février 2018). A ce moment, la condition d’avoir bénéficié d’au moins trois-cent-douze allocations pendant les deux dernières années n’était pas encore remplie. Elle fut également rejetée.

En juillet, l’intéressée signa avec le FOREm un plan d’action individuel, qui prévoyait notamment qu’elle devait se former/évaluer ses compétences pour la fin septembre. Deux moyens étaient précisés, étant de participer à une formation, à savoir la deuxième année de la formation d’aide familiale, et de s’informer sur la possibilité d’une dispense d’études, l’intéressée devant, pour ce, faire une demande de dispense.

Une nouvelle demande fut dès lors introduite, pour suivre les cours de cette deuxième année de la formation pour l’année académique suivante (2018-2019). A ce moment, la condition des trois-cent-douze allocations était remplie. La dispense fut cependant refusée. Une demande de révision fut introduite par l’organisme de paiement et le refus fut confirmé, celui-ci étant fondé sur l’absence de la condition des trois-cent-douze allocations au début de la formation.

Un recours fut introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), qui, par jugement du 27 mai 2019, annula la décision litigieuse, relevant qu’il s’agissait, dans le chef du FOREm, d’une compétence discrétionnaire mais qu’une erreur d’appréciation manifeste avait été commise.

Le FOREm interjeta appel.

Position des parties devant la cour

Le FOREm demande la réformation du jugement, invitant la cour, si elle devait retenir une compétence liée pour ce qui est de l’application de l’article 94, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal organique, à déterminer le contenu des notions auxquelles cette disposition renvoie.

L’intimée sollicite la confirmation du jugement.

Position du Ministère public

Le Ministère public a, dans son avis écrit, conclu à la confirmation du jugement, l’intéressée gardant (malgré le temps écoulé) un intérêt à l’action pour se prémunir de toute sanction potentielle non encore prescrite durant la période litigieuse. Pour l’avocat général, les notions de dispense et d’études de plein exercice sont précisées au départ des dispositions réglementaires applicables. Est rappelé que l’enseignement de promotion sociale ne relève pas strictement de l’enseignement de plein exercice et que les instructions administratives ne lient pas les cours et tribunaux.

Pour le Ministère public, la compétence du FOREm est une compétence liée lorsqu’il statue sur une demande de dispense. Il rappelle qu’en sécurité sociale, la règle est celle de la compétence liée, en ce compris lorsqu’il y a une liberté d’appréciation dans le chef de l’administration, la compétence discrétionnaire étant l’exception.

La décision de la cour

Sur le fondement de l’appel, la cour reprend les articles 56, § 1er (disponibilité), 68 (études) et 91 à 94 (dispenses) de l’arrêté royal. Elle ajoute qu’en vertu de l’article 59bis, § 4, la dispense emporte également la suspension de la procédure de suivi de la recherche active d’emploi et souligne également que la suspension de la dégressivité des allocations de chômage (articles 114 et suivants de l’arrêté royal) n’est pas prévue en cas de dispense accordée sur la base de l’article 94, § 1er.

Pour ce qui est du cas d’espèce, elle suit la position du Ministère public en ce qui concerne l’intérêt de la demanderesse originaire, étant que cet intérêt est toujours actuel – non pour ce qui est de la dégressivité, qui n’est pas applicable – mais parce qu’elle est toujours exposée à une sanction éventuelle pour un fait qui lui serait reproché durant la période couverte par la demande de dispense. Il ne s’agit plus de savoir si elle a encore un intérêt à poursuivre l’annulation de la décision du FOREm, puisqu’elle a obtenu celle-ci en vertu de l’exécution provisoire, mais si le FOREm lui-même a intérêt à poursuivre la réformation du jugement.

La cour en vient ainsi à la compétence dont l’Office dispose, rappelant que la différence entre la compétence liée et la compétence discrétionnaire n’est pas l’existence, dans le chef de l’administration, d’une marge d’interprétation des conditions d’octroi du droit dont l’assuré social demande le bénéfice, mais d’une marge d’appréciation en opportunité de cet octroi (renvoyant à la doctrine de M. DELANGE, « Les pouvoirs du juge dans le droit de la sécurité sociale », Questions de droit social, C.U.P., 2002, vol. 56, sect. 7, « Les pouvoirs du juge, selon que l’institution de sécurité sociale exerce un pouvoir lié ou discrétionnaire », pp. 78 et 79). Une marge d’appréciation ne signifie dès lors pas que la compétence est discrétionnaire. La compétence liée est la règle en droit de la sécurité sociale et la compétence discrétionnaire est l’exception et doit être prévue expressément ou certainement.

La cour reprend toute une série de situations illustrant que l’existence d’un pouvoir d’appréciation ne signifie pas qu’il y a pouvoir discrétionnaire, mais qu’il s’agit de modalités d’une décision qui relève d’une compétence liée. Le juge possède dès lors un contrôle de pleine juridiction. Ainsi sur la sanction, sur le droit à l’aide sociale, le droit au revenu d’intégration en cas de cohabitation avec un ascendant ou descendant au premier degré, ou encore lorsqu’une institution de sécurité sociale statue sur la notion de force majeure. Ces exemples sont repris de la doctrine.

Il en va de même pour l’article 94, § 1er, alinéa 1er, à propos duquel il s’agit de décider si la formation est susceptible de favoriser l’intégration sur le marché du travail. Les critères repris sont des critères personnels au chômeur et ne sont pas exhaustifs. Ils servent à guider la prise de décision. En cas de refus de dispense, il ne s’agit pas de statuer sur le droit aux allocations, puisque la formation demandée et refusée peut néanmoins être suivie, les allocations étant maintenues, la décision portant sur l’application des conditions d’octroi (articles 51, 56 et 58 de l’arrêté royal).

Par ailleurs, l’existence du terme « peut » n’implique pas en lui-même que le pouvoir d’appréciation est discrétionnaire, le terme signifiant que le chômeur peut être dispensé à sa demande, étant qu’il peut demander à l’être. Il ne s’agit pas de la possibilité pour l’ONEm de décider de la dispense, la cour relevant qu’il n’est pas le sujet du verbe utilisé et que la rédaction exprime le caractère conditionnel du droit (toujours avec renvoi à la doctrine de Mme DELANGE).

Quant au droit à la dispense dans le cas de l’intéressée, la cour confirme que le refus est justifié, vu que la condition de durée de chômage minimale devait être remplie au moment du début de la formation si les études sont à comprendre comme des études de plein exercice. Ce refus est alors justifié en application de l’article 93 mais, si elles ne le sont pas, c’est l’article 94, § 1er, alinéas 1er et 3, 3°, qui s’applique.

La cour rappelle encore que les études de promotion sociale ne sont pas des études de plein exercice (ce qui exclut l’application de l’article 94, § 1er, alinéa 3, 3°). Elle rejette l’application par analogie de la condition particulière prévue à l’article 93, étant relative à la durée du chômage, ce qui revient à ajouter une condition à la loi et ne figure pas dans les critères personnels à envisager globalement. La condition de la durée minimale du chômage ne s’applique dès lors pas à l’intéressée, qui n’est pas visée par l’effet combiné des articles 68 et 93 de l’arrêté royal. Pour ce qui est des critères personnels à envisager globalement, la dispense est justifiée.

Le jugement est confirmé en ce qu’il conclut à l’octroi de la dispense, mais non sur la compétence du FOREm, la cour ayant considéré qu’il s’agit d’une compétence liée.

Intérêt de la décision

L’affaire jugée par la Cour du travail de Liège porte essentiellement sur les conditions de la dispense en vue de suivre une formation. La cour y aborde la distinction entre les études de plein exercice et les études de promotion sociale.

L’on peut à cet égard renvoyer à un jugement rendu le 24 novembre 2020 par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles (Trib. trav. fr. Bruxelles, 24 novembre 2020, R.G. 16/554/A – précédemment commenté), où le tribunal s’est penché sur la distinction des deux notions, les études de plein exercice n’étant pas définies dans la réglementation du chômage, étant renvoyé par défaut à la réglementation spécifique en matière d’enseignement. Il a été rappelé que cette notion vise d’abord l’enseignement reconnu comme tel par la Communauté française (avec renvoi à Cass., 1er décembre 2014, n° S.12.0087.F). Il s’agissait en cette espèce d’examiner le droit aux allocations d’insertion eu égard à des cours de promotion sociale suivis par la demanderesse d’allocations, et ce pendant son stage d’insertion.

Dans l’arrêt du 3 février 2021 ici commenté, la cour du travail a confirmé la distinction entre les deux types d’études et son incidence sur le droit à la dispense. Sa conclusion est qu’il n’y a pas lieu d’appliquer, dans le cadre de l’article 94, § 1er, alinéa 1er, la condition de l’article 93 relative à la durée du chômage. Cette condition de durée minimale concerne en effet les articles 68 et 93 combinés.


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