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Pension de retraite : quid en cas de dépassement de l’unité de carrière ?

Mis en ligne le mercredi 25 août 2021


C. trav. Liège (div. Liège), 2 mars 2021, R.G. 2019/AL/376

Pension de retraite : quid en cas de dépassement de l’unité de carrière ?

Dans un arrêt du 2 mars 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’en cas de dépassement de l’unité de carrière, dans l’hypothèse de carrière mixte, il y a réduction de la carrière professionnelle effectuée par priorité sur les jours équivalents temps plein qui ouvrent le droit à la pension la moins avantageuse.

Les faits

Un travailleur a eu une carrière mixte et, lorsqu’il atteint l’âge de 65 ans (octobre 2015), il s’agit d’apprécier ses droits en matière de pension dans le régime des salariés, des indépendants ainsi que dans le secteur public.

Un litige va l’opposer à l’I.N.A.S.T.I. en ce qui concerne la pension d’indépendant. La carrière complète exigée est de 14.040 jours et l’intéressé, qui totalise près de 13.000 jours dans le régime des travailleurs salariés et dans le secteur public, voit sa carrière dans le régime des travailleurs indépendants réduite de 1.560 à 1.345 jours. L’INASTI réduit la pension d’indépendant, au motif que la réglementation prévoit, en cas de carrière mixte, une réduction de la carrière comme indépendant si la carrière totale excède 14.040 jours.

L’intéressé conteste cette décision.

Le jugement du Tribunal du travail de Liège (division Liège) du 27 mai 2019

Dans son jugement, le tribunal du travail fait droit à la demande et dit pour droit que la carrière doit s’établir à 1.560 jours, aucune réduction ne pouvant être opérée. La conclusion du tribunal est que la carrière provinciale du demandeur a à tort été convertie en 60es (s’agissant en réalité de deux carrières différentes, la première établie en 60es et la seconde en 50es), de sorte que le nombre de jours à retenir pour la carrière dans le secteur public ne dépasse pas la limite des 14.040 jours. La réduction de l’I.N.A.S.T.I. n’est pas justifiée.

Appel de cette décision est interjeté par l’I.N.A.S.T.I.

Position des parties devant la cour du travail

L’I.N.A.S.T.I. maintient que, sur la base du principe de l’unité de carrière régi par l’article 19 de l’arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967, ainsi que sur les articles 57 à 60 de l’arrêté royal du 22 décembre 1967, il y a lieu d’appliquer une réduction de 222 jours. Il a calculé en conséquence le montant annuel brut de la pension de retraite d’indépendant, qui se voit réduit d’environ 400 euros. La révision à la baisse ne doit, cependant, pas avoir d’effet rétroactif.

L’intéressé sollicite la confirmation du jugement intervenu.

La décision de la cour

Les droits à une pension dans le régime des travailleurs indépendants font l’objet d’un rappel important. Une des règles essentielles est qu’il n’est possible de cumuler différentes pensions de retraite qu’à concurrence d’un certain plafond.

La cour relève, avec la doctrine (Guide social permanent, Tome IV, Partie II « Sécurité sociale des travailleurs indépendants », Livre III « Pensions », Titre IV « Concours de prestations », n° 10 et s.), que les carrières planes sont plus rares que les carrières mixtes, celles-ci l’emportant. Cette situation a comme conséquence que deux secteurs d’attribution (privés ou public et privé) au moins interviennent.

Le plafond actuellement admis varie selon que l’on se trouve en présence d’un concours de pensions de même nature ou de pensions de nature différente. Les périodes d’activité susceptibles d’ouvrir le droit s’ajoutent les unes aux autres, dans le premier cas, sans pouvoir dépasser au total l’unité de carrière (ou de fraction). Les réductions s’opèrent d’abord et successivement dans les régimes censés être les moins favorables.

La cour rappelle les dispositions réglementaires fixant la prise en compte du montant de 14.040 jours équivalents temps plein (article 19 de l’arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967), ainsi que la notion d’« autres régimes », en vue de la prise en compte de pensions perçues.

Elle examine ensuite la notion de « jours équivalents temps plein », et ce tant dans le régime des travailleurs salariés que dans les autres régimes. Dès lors que l’intéressé peut prétendre à une pension de travailleur indépendant et à une pension de travailleur salarié (ou à une pension ou à un avantage en tenant lieu), le nombre de jours équivalents temps plein en qualité de travailleur indépendant est additionné aux autres jours équivalents temps plein (dont le calcul est défini à l’article 58 de l’arrêté royal). Si le résultat dépasse le total de 14.040 jours, les jours équivalents temps plein excédentaires sont déduits du nombre de jours équivalents temps plein en qualité d’indépendant. La réduction de la carrière professionnelle affecte en effet par priorité les jours équivalents temps plein qui ouvrent le droit à la pension la moins avantageuse.

La cour constate, sur la base des périodes prestées, que le nombre total de jours excède le plafond (légèrement). Les droits de pension en régime indépendant doivent dès lors bien faire l’objet d’une réduction.

Elle vérifie également que les années d’études et la valorisation d’une période couverte par une indemnité de préavis ont été prises en compte dans la fraction de carrière. Elle corrige également une erreur de l’I.N.A.S.T.I. dans les chiffres qui avaient été soumis.

Intérêt de la décision

En cas de concours de pensions, un plafond est appliqué et celui-ci varie selon que l’on se trouve en présence d’un concours de pensions de même nature ou de pensions de nature différente.

En cas de pensions de même nature, les périodes d’activité susceptibles d’ouvrir le droit s’ajoutent les unes aux autres mais ne peuvent au total excéder l’unité de carrière, sous peine de voir s’appliquer des réductions, et ce, comme l’expose la doctrine citée dans l’arrêt, « d’abord et successivement » dans les régimes censés être les moins favorables, la réduction de la carrière professionnelle affectant par priorité, en vertu de l’article 60 de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 (§ 3), les jours équivalents temps plein qui ouvrent le droit à la pension la moins avantageuse.

Relevons, sur la question du cumul, que la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt important le 29 novembre 2018 (n° 166/2018), répondant à une question posée par le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) le 20 septembre 2017 (R.G. 16/3.037/A), à propos de l’article 131ter de la loi du 15 mars 1984 portant mesures d’harmonisation dans les régimes de pensions.

La question posée à la Cour était relative au champ d’application de cette disposition, qui est limité aux travailleurs ayant effectué une carrière mixte d’indépendant et de salarié, excluant les travailleurs ayant effectué une carrière mixte d’indépendant, de salarié et de fonctionnaire. La question posée à propos de la constitutionnalité de cette disposition visait le fait que la totalité de la carrière professionnelle des premiers est prise en considération dans le calcul des 30 ans requis pour l’octroi de la pension minimum d’indépendant, alors que la carrière professionnelle des seconds n’est prise en considération qu’en partie.

Dans son arrêt, la Cour a conclu à l’absence de violation des articles 10 et 11 de la Constitution, faisant notamment valoir que les différences constatées entre les conditions d’octroi relatives aux régimes de pension minimum des travailleurs indépendants et des travailleurs salariés d’une part et des fonctionnaires de l’autre s’expliquent notamment par les différences que le législateur, tenant compte de la diversité des situations professionnelles, a établies en ce qui concerne les montants alloués, le mode de financement de ceux-ci et leur charge.

Pour la Cour, il ne s’impose pas que la pension minimum de travailleur indépendant et de travailleur salarié et la pension minimum de fonctionnaire s’obtiennent aux mêmes conditions, puisque les systèmes procèdent de conceptions différentes que des données de fait sont susceptibles de justifier (B.5.). En outre, la disposition en cause ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits des bénéficiaires d’une pension de retraite dans le régime des indépendants qui ont une carrière mixte dans ce régime, celui des salariés et celui des fonctionnaires (B.6.).

Rappelons encore, pour son intérêt, l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 10 septembre 2015 (C.J.U.E., 10 septembre 2015, Aff. n° C-408/14, WOJCIECHOWSKI c/ OFFICE NATIONAL DES PENSIONS), relatif à la règle de l’unité de carrière et à la réduction de celle-ci conformément à l’arrêté royal n° 50 relatif aux pensions de retraite des travailleurs salariés. La Cour y a constaté qu’il avait été tenu compte d’une période de travail accomplie au sein des institutions européennes aux fins du calcul de la pension de retraite à charge du régime belge. Elle avait conclu à la contrariété de la réglementation belge à l’article 4, § 3, du Traité, vu qu’en raison de la méthode de calcul de la fraction qui exprime l’importance de la pension à la charge de l’Union, la réduction est plus importante que celle qui aurait été appliquée si l’ensemble de la carrière avait été accomplie en tant que salarié dans l’Etat membre. Elle y avait dès lors vu, pour les travailleurs tentés d’embrasser une carrière européenne, un effet dissuasif.


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