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C.J.U.E. (ord.), 3 mars 2021, Aff. n° C-523/20 (KOPPÁNY 2007 Kft. c/ VAS MEGYEI KORMÁNYHIVATAL), EU:C:2021:160

Mis en ligne le lundi 23 août 2021


C.J.U.E. (ord.), 3 mars 2021, Aff. n° C-523/20 (KOPPÁNY 2007 Kft. c/ VAS MEGYEI KORMÁNYHIVATAL), EU:C:2021:160

Notion de « résidence légale » au sens de l’article 1er du Règlement (UE) n° 1231/2010

Dans une ordonnance du 3 mars 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle sa jurisprudence dans l’affaire BALANDIN du 24 janvier 2019, confirmant que l’article 1er du Règlement n° 1231/2010 permet à des ressortissants de pays tiers qui séjournent temporairement dans un Etat membre en vertu d’un titre de séjour, disposent d’une déclaration de lieu de logement valide et travaillent dans différents Etats membres au service d’un employeur établi dans cet Etat membre, d’invoquer le bénéfice des règles de coordination en matière de sécurité sociale.

Les faits

Une société hongroise, active dans le transport international de marchandises, emploie divers travailleurs qui séjournent sur le territoire hongrois en vertu d’un droit de séjour. Ils ont un contrat de travail.

La société a sollicité la délivrance d’un certificat A1 (sur la base de l’article 19, § 2, du Règlement n° 987/2009) aux fins d’attester de la législation applicable en matière de sécurité sociale, demande rejetée par l’autorité nationale au motif que les personnes intéressées ne disposaient pas d’une résidence permanente en Hongrie ou dans un autre Etat membre de l’Union et que, de ce fait, elles ne relevaient pas du champ d’application du Règlement n° 883/2004.

Un recours a été introduit en justice, la société invoquant la jurisprudence de la Cour (arrêt BALANDIN du 24 janvier 2019). Pour le juge national, se pose la question de l’application de cette jurisprudence au cas d’espèce, les intéressés bénéficiant ici d’une déclaration de lieu de logement valide.

Plusieurs questions sont dès lors posées à la Cour de Justice.

Les questions préjudicielles

Les questions préjudicielles sont au nombre de quatre :

1) Le terme « résident légalement » figurant au Règlement n° 1231/2010 (article 1er) inclut-il les ressortissants de pays tiers séjournant dans un Etat membre donné en vertu d’un titre de séjour et disposant d’un formulaire de déclaration de lieu de logement valide ?
2) Cette expression peut-elle être utilisée pour des ressortissants de pays tiers dont le lieu de logement attesté est le siège de l’employeur (comme en l’espèce) ?
3) Faut-il entendre au sens de ce membre de phrase la notion de « résidence » au sens du Règlement n° 883/2004 (article 1er, sous j)) ou s’agit-il de l’interpréter au sens de la réglementation nationale ?
4) Que convient-il d’entendre par le membre de phrase « résident légalement » selon une interprétation uniforme dans le droit de l’Union ?

L’arrêt de la Cour

La Cour examine les questions préjudicielles ensemble. Il s’agit de savoir si l’article 1er du Règlement n° 1231/2010 doit être interprété en ce sens que des ressortissants de pays tiers qui sont dans la situation visée (séjour temporaire légal, déclaration de lieu de logement validée par l’autorité compétente et prestations de travail dans divers Etats membres au service d’un employeur établi dans cet Etat membre) peuvent invoquer les règlements de coordination afin de déterminer la législation qui leur est applicable en matière de sécurité sociale.

Pour la Cour, les questions peuvent trouver une réponse dans le cadre d’une ordonnance, eu égard à la jurisprudence de l’affaire BALANDIN. Elle rappelle qu’elle a jugé dans cette décision que ces règlements s’appliquent aux ressortissants de pays tiers qui ne sont pas déjà couverts par ces règlements uniquement en raison de leur nationalité (ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants), dès lors qu’ils résident légalement sur le territoire d’un Etat membre et qu’ils se trouvent dans une situation dont tous les éléments ne se cantonnent pas à l’intérieur d’un seul Etat membre.

En l’occurrence, les personnes visées ne sont pas déjà couvertes par les règlements de coordination en raison de leur nationalité (n’étant pas ressortissants des Etats membres, ni réfugiés, ni apatrides). Elles ne sont pas non plus dans une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul Etat, vu les prestations de travail sur le territoire d’autres Etats membres, vu le secteur dans lequel elles prestent. Elles sont, dès lors, en droit de bénéficier des règlements de coordination en cause conformément à l’article 1er du Règlement n° 1231/2010, et ce pour autant qu’elles « résident légalement » sur le territoire d’un Etat membre.

Il faut dès lors se référer à la notion de « résidence légale » au sens de l’article 1er ci-dessus.

L’interprétation de cette notion doit être autonome et uniforme dans toute l’Union européenne, tenant compte de l’économie générale et de la finalité de la réglementation, qui est de promouvoir un niveau élevé de protection sociale en permettant aux ressortissants de pays tiers de bénéficier des avantages des règlements de coordination.

La notion de résidence légale traduit le choix du législateur de l’Union de soumettre l’extension du champ d’application ratione personae des règlements de coordination aux ressortissants de pays tiers à la condition préalable d’un séjour régulier sur le territoire de l’Etat membre concerné. Cette notion est différente de celle de « résidence » visée à l’article 1er, sous j), du Règlement n° 883/2004, qui désigne le lieu où une personne réside habituellement. La Cour renvoie ici également à l’arrêt BALANDIN, en son point 38.

Les règlements de coordination ne peuvent cependant conférer aux ressortissants de pays tiers aucun droit à l’entrée, au séjour ou à la résidence, non plus qu’à l’accès au marché du travail, et ne font pas obstacle au droit des Etats membres de décider de l’octroi du permis d’entrée, de séjour, de résidence ou de travail. Ceci vaut également pour le renouvellement de ces documents.

En vue d’établir si les ressortissants de pays tiers résident légalement sur le territoire de l’Etat membre au sens de l’article 1er du Règlement n° 1231/2010, la durée de leur présence sur le territoire d’un Etat membre ainsi que le fait qu’ils conservent dans un pays tiers le centre habituel de leurs intérêts ne sont pas déterminants en tant que tels.

En l’occurrence, le critère de la légalité de la résidence et celui du travail effectué sont rencontrés. Les ressortissants de pays tiers visés peuvent bénéficier de l’application des règles de coordination aux fins de la détermination de la législation applicable en sécurité sociale. La Cour fait ici encore un renvoi aux points 44 et 45 de l’arrêt BALANDIN.

Les éléments particuliers pointés par le juge national ne peuvent énerver cette conclusion, ainsi, la déclaration de lieu de logement validée par l’autorité compétente, qui est une exigence du droit hongrois, ainsi que la circonstance que l’Etat membre sur le territoire duquel ces personnes résident est le même que celui où se trouve le siège social de l’employeur.

Les questions posées reçoivent dès lors une réponse positive. La Cour conclut en effet que les ressortissants de pays tiers dans la situation des intéressés peuvent invoquer le bénéfice des règles de coordination prévues par le Règlement n° 883/2004 telles que modifiées par le Règlement n° 465/2012, ainsi que du Règlement d’application n° 987/2009.

Intérêt de la décision

Le Règlement n° 1231/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 vise à étendre le champ d’application du Règlement n° 883/2004 et de son Règlement d’application n° 987/2009 aux ressortissants de pays tiers qui ne sont pas déjà couverts par ces règlements uniquement en raison de leur nationalité.

Dans un arrêt rendu le 24 janvier 2019 (C.J.U.E., 24 janvier 2019, Aff. n° C-477/17, RAAD VAN BESTUUR VAN DE SOCIALE VERZEKERINGSBANK c/ BALANDIN e.a., EU:C:2019:60), la Cour de Justice a statué dans le cas de deux travailleurs ressortissants de pays tiers occupés par une société établie aux Pays-Bas. Celle-ci organisait pendant une période de l’année des spectacles de patinage sur glace dans différents pays, dont certains Etats-membres. Pour les deux travailleurs en cause, qui séjournaient légalement aux Pays-Bas pendant la période d’entraînement et pendant les représentations, la situation était régulière et elle l’était également lorsqu’ils séjournaient dans d’autres Etats membres pour les représentations elles-mêmes (Visa « Schengen »). L’administration néerlandaise avait délivré les certificats A1 pendant de nombreuses années, mais avait refusé à partir de mai 2016. Les travailleurs avaient néanmoins continué à être occupés pendant quelques semaines et se posait la question de l’assujettissement pendant cette dernière période.

La Cour avait ainsi été interrogée sur l’article 1er du Règlement n° 1231/2010 : doit-il être interprété en ce sens que les travailleurs salariés ressortissants d’un pays tiers qui résident en dehors de l’Union mais travaillent temporairement dans divers Etats membres au service d’un employeur établi dans un de ceux-ci (les Pays-Bas en l’espèce) peuvent invoquer les dispositions du Règlement n° 883/2004 et de son règlement d’application ?

La réponse de la Cour est que l’article 1er du Règlement n° 1231/2010 doit être interprété en ce sens que les ressortissants de pays tiers (dans la situation des intéressés, étant qu’il s’agit de personnes qui séjournent et travaillent temporairement dans divers Etats membres au service d’un employeur établi dans l’un de ceux-ci) peuvent invoquer le bénéfice des règles de coordination prévues par les règlements.

Cet arrêt a été précédemment commenté. Nous y précisions qu’à notre connaissance, c’était la première fois que la Cour de Justice rendait une décision sur la question des certificats A1 pouvant être délivrés à des ressortissants d’Etats tiers, dans le cadre de la coordination.

Dans sa décision du 3 mars 2021, la Cour de Justice s’est strictement conformée à sa jurisprudence, statuant d’ailleurs par voie d’ordonnance et non d’arrêt. En vertu de l’article 99 du Règlement de procédure de la Cour, elle peut en effet décider, sur proposition du juge rapporteur (l’avocat général entendu), de statuer par voie d’ordonnance motivée lorsque notamment une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué ou lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence. Elle a rappelé cette possibilité, expressément, dans sa décision, ayant décidé d’en faire l’application au litige soumis.


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