Terralaboris asbl

Licenciement d’un travailleur en crédit-temps et paiement de l’indemnité compensatoire de préavis : point de départ du droit aux allocations de chômage

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 19 mars 2021, R.G. 19/1.221/A et 19/3.051/A

Mis en ligne le vendredi 25 juin 2021


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 19 mars 2021, R.G. 19/1.221/A et 19/3.051/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 19 mars 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle la différence de traitement dans les réglementations chômage et AMI dès lors qu’un travailleur en crédit-temps (réduction des prestations de 1/5e) est licencié moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Les faits

Une employée a été licenciée alors qu’elle était en crédit-temps (réduction des prestations de 1/5e). Elle devait prester un préavis pendant plus de deux ans. Pendant celui-ci, l’employeur la licencia avec effet immédiat, payant une indemnité correspondant au solde du préavis. La rupture entraîna la fin du paiement des allocations mensuelles de crédit-temps. A l’issue de la période couverte par l’indemnité, elle a bénéficié des allocations de chômage. Quatre semaines plus tard, étant tombée en incapacité de travail, elle a été indemnisée par sa mutuelle.

L’organisme assureur lui notifia ultérieurement une décision de récupération correspondant aux indemnités perçues pendant la période d’incapacité de travail (qui avait duré trois semaines). Le motif est que les indemnités de rupture ne peuvent être cumulées avec les indemnités de mutuelle. Cette décision a été contestée devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), qui a rendu le jugement annoté.

La position des parties

La demanderesse expose qu’elle a bénéficié d’allocations de chômage à partir du 8 mars 2017 alors que son indemnité de rupture allait jusqu’au 5 mai 2017, par application de la règle de proratisation (au sens de la réglementation chômage). En matière AMI, il y a interdiction de cumul entre l’indemnité de rupture et les indemnités d’incapacité de travail, mais certaines exceptions peuvent être autorisées par le Roi. Aucune dérogation n’est toutefois prévue. La demanderesse considère que, si l’article 103, § 1er, est interprété comme la privant d’indemnités d’incapacité de travail à partir du 3 avril 2017, il est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Il y a dans cette interprétation une discrimination par rapport au chômeur complet indemnisé. Elle demande que cette disposition soit interprétée comme lui donnant droit aux indemnités d’incapacité à partir de la date de début de celle-ci. A titre subsidiaire, elle invoque l’article 17 de la Charte de l’assuré social et, à titre infiniment subsidiaire, sollicite le paiement d’indemnités réduites d’incapacité de travail.

Quant à l’organisme assureur, il considère que la situation du travailleur qui perçoit une indemnité de rupture et qui n’a pas droit aux allocations de chômage et celle du travailleur qui est en crédit-temps et qui a droit à ces allocations en vertu de la règle énoncée à l’article 46, § 4, est la même, car aucun des deux ne peut cumuler les indemnités d’incapacité de travail et une indemnité de préavis. Il ne conclut pas sur la Charte et conteste la demande formulée à titre infiniment subsidiaire au motif qu’il ne s’agirait pas d’une situation comparable.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle le cadre légal applicable.

Dans la réglementation chômage, il s’agit des articles 44 et 46, cette dernière disposition prévoyant en son § 4 le calcul du nombre de mois en cas d’indemnité compensatoire de préavis. Le résultat est proportionné si le montant porte sur une période pour laquelle le travailleur aurait normalement eu droit (si la rupture n’était pas intervenue) à une indemnité d’interruption pour autant que l’indemnité due au travailleur ne soit pas calculée sur le salaire précédant la diminution intervenue. Ainsi, bénéficiant d’un crédit-temps à 4/5e, le travailleur voit son indemnité de préavis, calculée sur la rémunération à 4/5e, proratisée. En conséquence, au niveau de la réglementation chômage, elle couvre une période plus courte et le travailleur percevra les allocations plus tôt.

En AMI, l’article 103 de la loi coordonnée interdit le cumul des indemnités s’il y a une rémunération perçue, la rémunération comprenant l’indemnité de préavis. Ni la loi ni le Roi n’ont prévu de proratisation de cette indemnité lorsqu’elle est calculée sur une rémunération à 4/5e en raison d’un crédit-temps.

Après le rappel de ce cadre légal, le tribunal passe à l’examen de la discrimination dont la demanderesse s’estime victime. Il rappelle les étapes du contrôle judiciaire, étant que doit être recherché si (i) la différence de traitement est fondée sur un critère objectif, (ii) si elle est justifiée et (iii) si elle est proportionnée par rapport au but poursuivi.

Pour le tribunal, la question posée est la différence de traitement que reçoit le travailleur en crédit-temps qui a perçu une indemnité de préavis selon qu’il relève du chômage ou de l’AMI, puisqu’en chômage, l’indemnité de préavis est proratisée (couvrant donc une période plus courte), alors qu’en AMI, elle ne l’est pas (le droit aux indemnités étant reporté à l’issue de la période totale couverte par l’indemnité en cause).

La perte de l’allocation mensuelle du travailleur en crédit-temps intervenant automatiquement à la rupture du contrat de travail, le tribunal considère qu’il y a un traitement défavorable par rapport au travailleur qui se voit notifier un préavis à prester. Celui-ci est cependant compensé par la proratisation par l’ONEm de l’indemnité de préavis, la période couverte étant calculée sur la base d’une rémunération à temps plein, en sorte que le travailleur peut bénéficier plus tôt des allocations. Ce qui n’est pas payé dans le cadre de l’allocation mensuelle est octroyé en quelque sorte par le biais du bénéfice anticipé des allocations de chômage. Cette logique est propre à la réglementation du chômage et ne trouve aucune justification en matière AMI. Il n’y a dès lors pas de discrimination, l’intéressée étant dans la même situation que tout travailleur (chômeur ou non) qui a perçu une indemnité de rupture : elle n’a pas droit à des indemnités d’incapacité de travail.

Le tribunal fait cependant droit à la thèse subsidiaire de la demanderesse, tirée de l’article 17 de la Charte, et considère que l’organisme assureur n’est pas en droit de procéder à la récupération des indemnités d’incapacité de travail, s’agissant d’une erreur de sa part. La révision de la décision ne pouvait donc rétroagir.

Intérêt de la décision

Cette décision rappelle les règles différentes existant dans le secteur chômage et dans le secteur AMI en cas de licenciement d’un travailleur en crédit-temps, licenciement intervenant avec indemnité compensatoire de préavis.

Dès lors que l’allocation mensuelle prend fin avec la rupture du contrat, son paiement cesse en cas de préavis à l’issue du préavis et en cas de paiement d’une indemnité lors de ce paiement.

Sur le plan du chômage, l’article 46 dispose qu’est notamment considérée comme rémunération l’indemnité à laquelle le travailleur peut prétendre du fait de la rupture du contrat de travail. Cette indemnité est supposée couvrir un certain nombre de mois, fixé au § 4, qui prévoit d’appliquer un résultat proportionné si le montant payé par l’employeur porte sur une période pour laquelle le travailleur aurait normalement eu droit à diverses indemnités, dont l’indemnité d’interruption découlant d’une diminution des prestations de travail, et ce pour autant que cette indemnité due au travailleur ne soit pas calculée sur le salaire précédant la diminution.

Le bénéfice des allocations de chômage interviendra, dès lors, plus tôt, cette règle n’affectant en rien l’article 103 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Le tribunal a ainsi conclu que cette différence de traitement dans les deux régimes est pleinement justifiée.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be