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Chômeur atteint d’une incapacité permanente de 33% et procédure de contrôle du comportement de recherche active d’emploi

Commentaire de C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 10 mars 2021, R.G. 2020/AU/25

Mis en ligne le vendredi 25 juin 2021


Cour du travail de Liège (div. Neufchâteau), 10 mars 2021, R.G. 2020/AU/25

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 mars 2021, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) écarte pour contrariété au principe de standstill consacré par l’article 23 de la Constitution les dispositions des arrêtés royaux des 20 et 23 juillet 2012 ayant modifié – et ensuite abrogé – le § 2 de l’article 59nonies de l’arrêté royal organique permettant au chômeur atteint d’une incapacité permanente de 33% de bénéficier d’une dispense de la procédure de recherche active d’emploi.

Les faits

Un bénéficiaire d’allocations de chômage s’est inscrit comme demandeur d’emploi en mars 1993. Il a repris le travail ultérieurement et bénéficie actuellement d’allocations depuis octobre 2005. Il est atteint d’une incapacité permanente de travail de 33% au moins, admise par l’ONEm, et, de ce fait, a été dispensé de la procédure de contrôle de recherche active d’emploi. Cette dispense a été supprimée vu les arrêtés royaux des 20 et 23 juillet 2012.

Il a ultérieurement (octobre 2015 – octobre 2016) été bénéficiaire d’un trajet d’accompagnement adapté à son état de santé, période pendant laquelle le contrôle de sa disponibilité sur le marché de l’emploi a été suspendu.

En novembre 2016 et janvier 2018, il a reçu deux évaluations dans le cadre de ce trajet d’accompagnement adapté. Elles sont toutes deux positives, la seconde étant « exceptionnellement » positive, vu les difficultés présentées au niveau de sa santé. Il est précisé que, cette évaluation « exceptionnellement » positive n’étant accordée qu’une seule fois, les démarches à effectuer pour la prochaine évaluation devraient établir une recherche active d’emploi.

La troisième évaluation, intervenue en janvier 2019, est négative et est assortie d’un avertissement. Il est reproché à l’intéressé de ne pas avoir fait des démarches régulières, diversifiées et pertinentes (six démarches uniquement pour la période évaluée). Il est également précisé que son taux d’inaptitude au travail n’aurait jamais été évalué et qu’il peut solliciter du médecin agréé de l’ONEm, en application de l’article 141 de l’arrêté royal organique et de l’article 33 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, de procéder à des examens médicaux destinés à établir l’absence de capacité de gain ou son inaptitude permanente au travail de 33% au moins.

L’intéressé introduit un recours contre cette décision, demandant qu’il soit dit pour droit qu’il continue à bénéficier de la dispense accordée (article 59nonies, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991) et qu’il ne peut être soumis à la procédure de contrôle organisée par les arrêtés royaux des 20 et 23 juillet 2012 ci-dessus. Subsidiairement, il demande d’évaluer positivement ses efforts de recherche d’emploi.

Suite au recours introduit, le Tribunal du travail de Liège (division Neufchâteau) a conclu par jugement du 10 février 2020 au non-fondement de la demande. Appel est interjeté. La cour est ainsi saisie de la même demande que celle faisant l’objet de la requête.

Position des parties devant la cour

L’intéressé fait notamment valoir que les arrêtés royaux en cause, introduisant une procédure de contrôle de recherche active d’emploi par les chômeurs, violent le principe de standstill, dès lors qu’antérieurement, un chômeur reconnu atteint d’une inaptitude permanente au travail de 33% n’était pas soumis à un tel contrôle. Il s’agit d’un recul significatif, qui n’est pas dûment justifié ni proportionné. Il relève encore des éléments de fait relatifs à la réalité de l’accompagnement qui lui a été proposé.

Le FOREm demande la confirmation du jugement, dans le cadre du transfert de compétence intervenu, la procédure de la disponibilité active lui ayant été confiée au stade où elle était lorsque l’ONEm était encore compétent. Le FOREm reprend les deux évaluations positives, alors que les recherches d’emploi étaient déjà insuffisantes, et il estime que l’avertissement donné est justifié, vu le caractère insuffisant des efforts fournis. Sur le principe du standstill, il rappelle que celui-ci n’empêche pas que le niveau de protection sociale soit abaissé pour de justes motifs. Il s’agit en l’espèce de motif d’intérêt général, l’accord de Gouvernement du 1er décembre 2011 faisant notamment référence à l’objectif d’atteindre un taux d’emploi de 73,2% en 2020, ce qui nécessitait l’augmentation de plus de 5% du taux d’emploi de 2011. Est également visé un objectif d’assainissement des dépenses publiques, imposant notamment une réforme structurelle du chômage. Il renvoie également à des mesures compensatoires qui ont été prises (trajet d’accompagnement adapté pour les personnes reconnues inaptes à plus de 33%, suspension de la procédure de contrôle pendant la durée de celui-ci – avec un maximum de 12 mois).

La décision de la cour

La cour se prononce d’abord en droit sur le principe du standstill, dont elle reprend les contours, soulignant que cette obligation n’est pas absolue (avec renvoi à la doctrine de F. LAMBINET, « Mise en œuvre du principe de standstill dans le droit de l’assurance chômage : quelques observations en marge de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 mars 2018 », Chron. D. S., 2020, p. 102). Elle renvoie également à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2020 (Cass., 14 septembre 2020, n° S.18.0012.F).

Elle rappelle encore, sur le plan de la preuve, que celle-ci incombe, s’agissant de la validité d’un acte de l’autorité législative ou réglementaire, à cette autorité ou, en son absence, à la partie qui invoque son acte légal ou réglementaire.

Elle reprend les éléments de l’espèce, renvoyant à l’ancien article 59nonies, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, disposition en exécution de laquelle l’intéressé avait été dispensé de la procédure de contrôle du comportement de recherche active d’emploi. Suite aux arrêtés royaux des 20 et 23 juillet 2012, la dispense a disparu et c’est dans ce contexte qu’après s’être vu proposer et avoir accompli un trajet d’accompagnement adapté à son état de santé, il a été soumis aux dispositions applicables en matière de suivi et de contrôle.

La cour renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 18 janvier 2017, R.G. 2015/AB/501), qui a conclu que l’abrogation de la dispense pour les bénéficiaires d’allocations d’insertion constituait une régression significative. La cour reprend de larges extraits de cette décision et conclut à son tour que l’existence d’une régression significative est démontrée. Il appartient dès lors au FOREm d’apporter la preuve de motifs légitimes justifiant cette régression ainsi que de son caractère pertinent et proportionné par rapport à la catégorie de chômeurs à laquelle l’intéressé appartient, à savoir la catégorie des chômeurs présentant une inaptitude permanente de plus de 33%.

Reprenant l’argumentation du FOREm, qui se fonde sur des motifs budgétaires, la cour la rejette, relevant que les arrêtés royaux en cause ne comportent aucun rapport au Roi susceptible de justifier les modifications ainsi introduites.

Elle rappelle également que, dans son arrêt du 14 septembre 2020, la Cour de cassation a exposé que, dès lors que toute réduction du niveau de protection offert par les prestations sociales (contributives ou non) est par nature susceptible de réduire les dépenses et d’inciter les intéressés à fournir des efforts supplémentaires d’insertion sur le marché du travail, partant, de contribuer à la réalisation d’objectifs généraux en matière budgétaire et d’emploi, ces objectifs généraux ne sauraient suffire à justifier n’importe quelle réduction du niveau de cette protection.

La seule référence à de tels objectifs est dès lors insuffisante.

La cour estime, en conséquence, devoir faire application de l’article 159 de la Constitution et écarter les dispositions réglementaires qui ont supprimé la dispense précédemment accordée. Celle-ci est dès lors toujours d’application et la décision administrative est annulée.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Liège annoté confirme la jurisprudence actuelle confirmée par la Cour de cassation, qui constate une régression significative et non légalement justifiée de plusieurs règles de la réglementation du chômage. Dans son arrêt du 14 septembre 2020, la Cour de cassation a rendu, en effet, un arrêt de principe, dont de larges extraits sont d’ailleurs repris dans l’arrêt annoté. Cet arrêt de la Cour de cassation a été précédemment commenté, vu son importance. Etaient également visés des efforts budgétaires devant justifier la mesure critiquée en l’espèce, introduite par l’arrêté royal du 28 décembre 2011 (suppression des allocations d’insertion au 1er janvier 2015).

Dans ses conclusions précédant cet arrêt, M. l’Avocat général GENICOT avait identifié la question posée comme étant celle de l’étendue du pouvoir d’appréciation par le juge des motifs d’intérêt général qui ont présidé au choix de l’autorité réglementaire compétente qui décide de procéder à un recul sensible d’un droit à la sécurité sociale ou à l’aide sociale.

Cet arrêt de la Cour de cassation n’était pas le premier, dans la mesure où, par décision du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0033.F), un pourvoi de l’ONEm avait été rejeté contre un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) du 10 février 2016 ayant également conclu que la limitation dans le temps des allocations d’insertion violait l’effet de standstill consacré par l’article 23 de la Constitution.

La régression constatée en l’espèce porte sur la suppression de la dispense de la procédure de contrôle pour les chômeurs présentant une inaptitude permanente de plus de 33%. La nouvelle procédure les expose en effet, du fait de cette suppression, au risque de suspension d’allocations et la régression significative ne peut être niée.

Relevons enfin que, dans un arrêt du 6 novembre 2018 rendu par la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Namur, 6 novembre 2018, R.G. 2016/AN/152 – précédemment commenté), il avait été conclu à la légalité de la modification de l’article 116 de l’arrêté royal organique par celui du 7 février 2014, qui a modifié les catégories de travailleurs intermittents susceptibles de bénéficier de la non-dégressivité des allocations de chômage, et ce même si était constaté un recul de la protection sociale. En l’espèce, l’objectif poursuivi avait été reconnu comme relevant de l’intérêt général, la cour renvoyant notamment à l’avis du Conseil d’Etat ainsi qu’à ceux du Comité de gestion de l’ONEm, dont il ressortait que la volonté était de clarifier le statut des travailleurs du secteur artistique.


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