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Motivation du licenciement dans le cadre de la C.C.T. n° 109 : quid si l’employeur répond qu’il s’agit d’une « réorganisation » ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 janvier 2021, R.G. 2018/AB/666

Mis en ligne le vendredi 25 juin 2021


Cour du travail de Bruxelles, 11 janvier 2021, R.G. 2018/AB/666

Terra Laboris

Par un arrêt du 11 janvier 2021, la Cour du travail de Bruxelles condamne un employeur au paiement de l’amende civile prévue à la C.C.T. n° 109, au motif que le renvoi à une « réorganisation » de l’entreprise n’est pas un motif concret et ne permet dès lors pas au travailleur de comprendre les raisons de son licenciement et de décider de l’opportunité de le contester en justice.

Les faits

Un travailleur est engagé en qualité d’ouvrier polyvalent par une société immobilière en 1994. Les entrepôts de celle-ci sont partiellement détruits par un incendie fin 2014. L’intéressé est amené à travailler dans les lieux sinistrés, ce qui l’amènera ultérieurement à déposer plainte auprès du Contrôle du bien-être au travail, pour des motifs d’atteinte à sa santé et à sa sécurité. Il mentionne notamment le fait qu’il doit brûler la couverture en roofing d’un toit au-dessus de plaques d’amiante sur le chantier où l’incendie s’est produit. Le service du Contrôle du bien-être, après s’être rendu sur les lieux, délivre un avertissement à la société, avertissement relatif aux problèmes d’amiante ainsi qu’à l’absence d’espace chauffé et de salubrité de la toilette mise à disposition.

Le travailleur sera mis en congé de maladie et, pendant celle-ci, la société lui envoie un courrier recommandé, confirmant une « interdiction verbale » qui lui aurait été faite précédemment concernant le travail sur les toits.

Le travailleur est déclaré, par la suite, apte à reprendre le travail, sur avis du conseiller en prévention-médecin du travail. Il est alors licencié verbalement, moyennant l’annonce d’une indemnité compensatoire de préavis.

La rupture est confirmée par courrier recommandé. Le travailleur demandera, dans le délai, les motifs du licenciement et la société répond que « (…) votre licenciement est la cause d’une réorganisation ».

Le motif est contesté par l’organisation syndicale, qui demande la preuve de la réorganisation. La société répond qu’elle a confié les tâches de l’intéressé à une entreprise extérieure et que personne n’a dès lors été engagé pour le remplacer. La preuve de cette affirmation est demandée et la réponse de la société n’est pas de la donner mais de réitérer la même explication.

Une procédure est dès lors introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Celle-ci a pour objet non seulement le paiement d’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, mais également celui de l’amende civile forfaitaire.

Le jugement du tribunal

Le tribunal accueille la demande par jugement du 23 mars 2018, condamnant la société au paiement de l’amende ainsi que de l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, et ce pour les montants qui avaient été postulés.

La société interjette appel.

Position des parties devant la cour

La société, appelante, considère qu’il y a un eu incendie, que l’intéressé n’a pas été remplacé et qu’elle a décidé de recourir à des sous-traitants. Elle expose également que, suite à l’incendie, une partie de son travail avait disparu, vu qu’elle avait perdu un gros locataire et n’avait pu relouer les lieux. Sur l’amende civile, elle considère qu’elle n’est pas due, au motif que la réorganisation est le seul motif concret de licenciement et qu’il appartient au travailleur et non à l’organisation syndicale de demander ceux-ci. Enfin, pour l’indemnité, elle considère qu’elle est disproportionnée, correspondant au maximum de la fourchette autorisée.

L’intimé invoque pour sa part que le motif donné est un motif abstrait, étant sans lien perceptible avec le licenciement, ce qui est en contradiction avec les termes de la C.C.T. n° 109, qui suppose que, par la communication des motifs concrets, le travailleur sache pourquoi le contrat a été rompu et qu’il puisse en conséquence apprécier la pertinence de l’introduction d’une action en justice. Il considère en outre qu’il y a licenciement manifestement déraisonnable, les motifs autorisés n’étant pas avérés. Il estime également que ce licenciement n’aurait pas été décidé de la même façon par un employeur normal et raisonnable. Enfin, il n’y a pour lui pas de lien avec l’incendie, puisqu’il a été occupé pendant plus d’un an après celui-ci et n’a même jamais été mis en chômage économique. Il plaide également que l’appel à des sous-traitants n’est pas établi, non plus que des difficultés financières, au moment où le licenciement a été décidé. Il considère, en fin de compte, qu’il s’agit d’un licenciement en représailles.

La décision de la cour

La cour tranche en premier lieu la question de l’amende civile. Elle rappelle les dispositions applicables, dans le contexte de la C.C.T. n° 109.

Elle rejette en premier lieu l’argument de la société selon lequel la demande n’a pas été adressée personnellement par le travailleur mais par son organisation syndicale, alors qu’elle aurait dû l’être.

Sur la réponse qui a été donnée dans le délai, la cour retient que le seul motif invoqué est une réorganisation, sans autre précision tant soit peu plus factuelle communiquée en temps utile de nature à permettre à l’intéressé de connaître les raisons précises du licenciement et d’apprécier en pleine connaissance de cause le caractère raisonnable de celui-ci, ainsi qu’à la cour d’en vérifier la légitimité. Elle conclut qu’il s’agit d’un motif vague et abstrait, qui ne correspond nullement aux exigences requises par la C.C.T. Le fait que, par la suite, le motif du licenciement a été précisé (étant que les travaux étaient confiés à une entreprise extérieure) n’y change, pour la cour, rien, cette précision étant intervenue après l’expiration du délai de deux mois. L’amende civile est dès lors due et le jugement est confirmé sur ce point.

Sur l’indemnité elle-même, il est également procédé à un rappel des dispositions de la C.C.T. pertinentes, dont la fourchette de l’indemnité.

En l’espèce, la cour constate que la charge de la preuve incombe à la société, puisqu’elle n’a pas communiqué en temps utile les motifs concrets ayant conduit au licenciement. Cette preuve porte à la fois sur les motifs dont elle se prévaut ainsi que sur le caractère non manifestement déraisonnable du licenciement.

Les explications données par la société font apparaître qu’un incendie est effectivement survenu fin 2014 mais les autres éléments ne sont nullement établis, à savoir qu’elle n’avait plus assez de travail pour l’intéressé, qu’elle aurait perdu un locataire et/ou aurait eu des difficultés pour relouer les lieux.

Aucune pièce n’étant déposée à cet égard et les motifs avancés ne constituant pas nécessairement les motifs réels du licenciement, la cour se penche sur les problèmes de sécurité dénoncés. L’incendie était en effet ancien d’un an et demi et le lien avec celui-ci paraît malaisé à établir (d’autant qu’il ne détruisit qu’une partie des entrepôts et que ceux-ci ne représentent eux-mêmes qu’une partie du parc immobilier de la société). L’avertissement adressé quant aux travaux de toiture est, pour la cour, intervenu in tempore suspecto, et ce dans le seul but de préparer le licenciement.

Sur le quantum de l’indemnité, la cour confirme également le jugement, vu la proximité manifeste entre le licenciement et l’intervention du Contrôle du bien-être au travail à la suite de la plainte déposée. Il s’agit, en l’espèce, d’un licenciement de représailles et mérite, selon la cour, d’être sanctionné par l’indemnité la plus élevée.

Intérêt de la décision

Deux éléments importants méritent l’attention dans cet arrêt, étant d’une part les conditions de débition de l’amende civile lorsque l’employeur a « malgré tout » donné un élément de réponse à la demande adressée par le travailleur en vue de connaître les motifs concrets du licenciement et, d’autre part, les obligations de preuve du motif invoqué, un motif licite ayant pu intervenir mais le licenciement ayant curieusement été décidé peu de temps après le dépôt d’une plainte auprès des institutions compétentes en matière de bien-être au travail.

Sur la première question, l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est important en ce qu’il confirme la position jurisprudentielle selon laquelle la réponse telle qu’apportée par l’employeur ne suffit pas à permettre de conclure que les motifs concrets ont été exposés. C’est le contenu de cette réponse qui doit être concret, un renvoi à un motif général et abstrait tel que la réorganisation n’ayant pas de lien avec le motif concret du licenciement lui-même. Cette précision est importante en ce que cette position donne une interprétation utile et téléologique à la C.C.T. n° 109 sur la question.

Par ailleurs, sur le plan de l’obligation de preuve, la cour fait ici un examen méticuleux des éléments devant être apportés par la partie à qui la charge de la preuve est imposée et, en toute logique, constatant que les pièces à la base de la décision prise sont inexistantes et ne peuvent dès lors faire l’objet d’un contrôle judiciaire, conclut à l’absence de preuve et, dès lors, à l’obligation pour l’employeur de verser l’indemnité fixée par la C.C.T. L’on notera enfin que, s’agissant d’un licenciement en représailles, la cour a considéré que, pour ce motif précis, l’indemnité due doit être fixée au maximum de la fourchette.


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