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Erreur de l’organisme de paiement en chômage : récupération ?

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 8 décembre 2020, R.G. 19/4.981/A

Mis en ligne le mardi 15 juin 2021


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 8 décembre 2020, R.G. 19/4.981/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 8 décembre 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rejoint la position de la jurisprudence (position contraire à celle de la Cour de cassation) qui écarte, pour contrariété à l’article 17 de la Charte de l’assuré social, l’article 167, § 2, de l’arrêté royal organique chômage.

Les faits

Un bénéficiaire d’allocations de chômage (allocations d’insertion) reçoit une demande de remboursement de la CAPAC pour les allocations perçues pendant un mois, et ce au motif qu’il n’était à ce moment pas valablement inscrit comme demandeur d’emploi conformément à l’article 38, 1°, de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991. L’assuré social conteste cette demande et introduit un recours devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.

La décision du tribunal

Le tribunal examine les obligations du bénéficiaire d’allocations de chômage au niveau de son inscription comme demandeur d’emploi. Il appartient au chômeur d’apporter la preuve de celle-ci. Pour ce, le service régional de l’emploi compétent délivre une attestation mentionnant la date à laquelle l’inscription a été effectuée. Cette attestation doit être produite chaque fois qu’une demande d’allocations est introduite. Le demandeur d’allocations peut néanmoins, s’il n’est pas inscrit comme demandeur d’emploi, bénéficier des allocations à partir du jour de la demande si l’inscription a lieu dans les huit jours suivants ou s’il n’a pu s’inscrire pour une raison de force majeure reconnue par le directeur du bureau de chômage.

L’article 149 de l’arrêté royal organique chômage prévoit les cas où une récupération peut intervenir avec effet rétroactif ou non lorsque le directeur revoit de sa propre initiative une décision ou le droit aux allocations lui-même, et ce conformément aux obligations reprises aux articles 17 à 19 de la Charte de l’assuré social. Il s’agit de viser, par « erreur » au sens de cette disposition, celle qui est commise par le bureau de chômage lorsque, étant en possession de tous les éléments déterminant le droit du chômeur, il accorde des allocations de chômage auxquelles celui-ci n’avait pas droit. Il ne peut y avoir de récupération, sauf l’hypothèse de la mauvaise foi de l’assuré social, à savoir qu’il savait ou devait savoir qu’il n’avait pas (ou plus) droit à l’intégralité des allocations.

Le tribunal rappelle que s’est posée la question de l’application des articles 17, alinéa 2, et 18bis de la Charte de l’assuré social en cas de révision d’une décision, suivie de récupération, lorsqu’un rejet de dépenses est notifié par l’ONEm à l’organisme de paiement.

L’article 18bis de la Charte permet de déterminer par arrêté royal les décisions qui ne sont pas susceptibles de tomber dans le champ d’application des articles 17 et 18, étant que, pour celles-ci, l’interdiction de rétroactivité n’existe pas, et ce même en cas d’erreur de l’institution.

Lorsqu’il s’agit d’un organisme de paiement, celui-ci est, en vertu de l’article 167, § 1er, 3°, de l’arrêté royal, responsable des paiements qu’il a effectués en ne se conformant pas aux dispositions légales et réglementaires et il peut poursuivre la récupération à charge du chômeur (§ 2, alinéa 1er, de la même disposition). Il est également responsable des paiements effectués qui ont été rejetés ou éliminés par le bureau du chômage, et ce exclusivement en raison d’une faute ou d’une négligence lui imputables (§ 1er, 4°). En pareil cas, la récupération des sommes payées ne peut pas se faire.

Pour la Cour de cassation, cette disposition ne peut s’appliquer que lorsque le droit du travailleur aux allocations de chômage auxquelles correspond la dépense rejetée ou éliminée existe indépendamment de la faute ou de la négligence de l’organisme de paiement. Plusieurs décisions ont confirmé cette interprétation de la disposition (le tribunal renvoyant notamment à Cass., 6 juin 2016, n° S.12.0028.F). Cet enseignement fait que le juge ne peut refuser à l’organisme de paiement de récupérer des sommes payées, même suite à une erreur de sa part, lorsque le chômeur n’avait pas effectivement droit à celles-ci (le tribunal renvoyant à Trib. trav. Bruxelles, 26 juillet 2013, R.G. 11/11.800/A – précédemment commenté).

Ceci a été contesté en doctrine (le tribunal renvoyant à H. MORMONT, « La révision des décisions administratives et la récupération des allocations de chômage payées indûment », La réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (J.-Fr. NEVEN et S. GILSON, coord. scient.), Kluwer, 2011, pp. 653 et s.). Celle-ci y voit en effet une différence de traitement notable en défaveur des chômeurs concernés. Cette différence existe non seulement vis-à-vis d’autres chômeurs, étant ceux pour qui il y a une erreur dans le chef de l’ONEm, mais également vis-à-vis des autres assurés sociaux, à savoir ceux bénéficiant de prestations dans tous les secteurs pour lesquels une telle dérogation n’a pas été mise en place.

Le tribunal reprend l’arrêt du 6 juin 2016 de la Cour de cassation, où celle-ci a confirmé sa jurisprudence, concluant à l’absence de caractère discriminatoire de la disposition. Cette jurisprudence n’a pas empêché des juridictions de fond de contester cette position, certaines juridictions ayant continué à écarter purement et simplement l’article 167, § 2, de l’arrêté royal dans son ensemble, et ce sur pied de l’article 159 de la Constitution, considérant qu’il élargit les possibilités de récupération et, de ce fait, ne peut prévaloir sur l’article 17 de la Charte de l’assuré social.

Le tribunal relève que les Cours du travail de Bruxelles, de Gand et de Liège se sont prononcées en ce sens, reprenant les décisions rendues, dont un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 6 juin 2018, R.G. 2017/AL/694 et 2017/AL/695), qui a encore retenu l’existence d’une discrimination, et ce en raison du mécanisme de l’introduction et de la vérification des dépenses payées par un organisme de paiement alors que, du point de vue du chômeur, cette circonstance est totalement indifférente.

La différentiation faite par la Cour de cassation dans sa jurisprudence est pour la Cour du travail de Liège artificielle pour un assuré social qui n’a pas choisi et ne peut choisir de recourir à un autre mécanisme que celui mis en place par l’article 164. Tous les bénéficiaires d’allocations de chômage sont des assurés sociaux dont les droits sont gérés par des institutions de sécurité sociale et tous se trouvent donc dans une situation comparable. Or, ils sont traités de manière différente, sans qu’une justification spécifique pertinente n’apparaisse pour empêcher la récupération dans un cas et non dans l’autre au regard du principe fondamental de sécurité juridique qui constitue l’objectif de la réglementation.

La cour du travail avait souligné dans son arrêt que l’analyse faite ne vaut qu’en cas de bonne foi, n’étant pas démontré dans l’espèce tranchée que l’intéressée savait ou devait savoir qu’elle n’avait pas droit aux allocations perçues. Elle avait conclu au caractère discriminatoire des articles 166, alinéa 2, et 167, § 2, alinéa 2, de l’arrêté royal et les avait écartés.

Le tribunal ajoute qu’il adhère entièrement à cette jurisprudence. Aussi, s’agissant d’une révision et d’une récupération faisant suite à un rejet des dépenses notifié par l’ONEm à l’organisme de paiement, il écarte les dispositions de l’arrêté royal organique et fait application des principes de la Charte de l’assuré social.

Il acte en l’espèce que le demandeur n’était pas inscrit comme demandeur d’emploi à la date de la demande d’allocations, son inscription ayant été annulée et la réinscription n’étant intervenue que près d’un mois plus tard. Aucun motif de force majeure n’est invoqué. Il ne remplissait dès lors pas les conditions d’octroi. L’erreur qui a abouti au paiement des allocations est une erreur de l’ONEm, puisque le dossier contenait la preuve de l’annulation de l’inscription à la date en cause. Pour le tribunal, l’ONEm ne pouvait dès lors octroyer les allocations d’insertion. Par ailleurs, rien ne permet de considérer que l’intéressé savait ou devait savoir qu’il n’avait pas droit aux allocations de chômage. La CAPAC ne peut dès lors, pour le tribunal, réclamer le remboursement des allocations.

Intérêt de la décision

La question rencontrée par le tribunal du travail continue, comme on le voit, à faire débat. La Cour de cassation a en effet maintenu dans sa jurisprudence la thèse selon laquelle l’article 167, § 2, alinéa 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 n’est pas discriminatoire. Malgré cette position, de nombreuses décisions écartent la disposition en cause et le tribunal a rappelé, par de larges extraits, la position de la Cour du travail de Liège dans son arrêt du 6 juin 2018 (C. trav. Liège, div. Liège, 6 juin 2018, R.G. 2017/AL/694 et 2017/AL/695 – précédemment commenté). L’intérêt de cet arrêt est d’avoir souligné que le mécanisme mis en place, étant la distribution des rôles de l’organisme de paiement et de l’ONEm, aboutit à une distinction artificielle entre les situations qui peuvent être rencontrées et que la jurisprudence de la Cour de cassation, qui ne retient du rôle de l’organisme de paiement que celui d’un « bras » de l’ONEm, est un système que les assurés sociaux n’ont pas choisi et qu’ils ne peuvent modifier.

Dans le jugement annoté, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rejoint cette position, qui est régulièrement confortée dans la jurisprudence récente.


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