Terralaboris asbl

Octroi d’une pension de dédommagement liée au statut de solidarité nationale : conditions

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 3 juin 2020, R.G. 19/1.382/A

Mis en ligne le vendredi 28 mai 2021


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 3 juin 2020, R.G. 19/1.382/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 3 juin 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, saisi d’un recours contre une décision de la Commission supérieure d’appel instituée au sein du Service fédéral des Pensions, rappelle les conditions dans lesquelles le statut de solidarité nationale peut être reconnu et l’octroi d’une pension de dédommagement accordé.

Les faits

Un agent de sécurité auprès de la STIB se trouvait le 22 mars 2016 à proximité de la station de métro Maelbeek. Il était en patrouille motorisée et a été requis par le dispatching pour se rendre sur les lieux de l’attentat qui venait de se produire. Après son intervention, il a eu un malaise et a dû consulter son médecin. Il a subi un suivi psychologique et psychiatrique ainsi qu’un traitement médicamenteux pendant plusieurs mois.

En décembre 2018, il a introduit une demande de reconnaissance du statut de solidarité nationale. Celui-ci lui a été refusé par le Service fédéral des Pensions.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Celui-ci a pour objet de solliciter du tribunal qu’il lui reconnaisse ce statut de solidarité nationale créé par la loi du 18 juillet 2017.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend la loi du 18 juillet 2017 (loi relative à la création du statut de solidarité nationale, à l’octroi d’une pension de dédommagement et au remboursement des soins médicaux à la suite d’actes de terrorisme), dont il rappelle le champ d’application. La loi vise les victimes et leurs ayants droit de nationalité belge au jour du fait dommageable ainsi qu’au moment de la décision d’octroi du statut de solidarité nationale ou de la pension de dédommagement ou, si celles-ci n’avaient pas la nationalité belge, celles qui remplissent une condition de résidence habituelle en Belgique (avec renvoi à l’article 4 de la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé). Pour les personnes qui ne sont pas belges ou ne résidaient pas habituellement sur le territoire, les conditions d’application sont à déterminer par le Roi.

Pour ce qui est de la définition de l’acte de terrorisme, la loi renvoie à l’article 42bis de celle du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres et à ses arrêtés d’exécution. Ces questions ne font pas débat.

C’est la définition de la victime qui est discutée. Selon la loi, il s’agit de la personne ayant subi un dommage humain constaté (article 2, 4°), la victime pouvant être directe ou indirecte. La victime directe est celle qui se trouvait sur les lieux de l’acte de terrorisme au moment de celui-ci et la victime indirecte est une personne proche d’une victime directe (successible au sens de l’article 731 du Code civil ou alliée jusqu’au deuxième degré, ou encore une personne qui peut prouver un rapport affectif durable avec celle-ci).

La question de déterminer le lieu de l’acte de terrorisme dépend, selon la loi, des circonstances propres à chaque acte reconnu. Renvoyant aux travaux parlementaires (Doc. parl. Ch., sess. 2016-2017, n° 54-2334/001, p. 7), le tribunal souligne que cette notion ne doit pas être interprétée de manière restrictive. En cas d’explosion, il s’agit non seulement du périmètre proche de l’explosion, mais également des étages attenants s’il s’agit d’un bâtiment à étages ou des endroits ne faisant pas partie directement de ce bâtiment mais qui ont néanmoins été touchés.

En l’espèce, il est fait grief au demandeur de ne pas s’être trouvé sur les lieux de l’acte de terrorisme. Celui-ci ne se trouvait, en effet, au moment des faits, ni dans la station ni même dans un endroit voisin qui aurait été touché par cette explosion. Qu’il se soit trouvé non loin de celle-ci et soit arrivé rapidement sur place pour prêter assistance ne permet pas de considérer qu’il remplissait la condition légale d’être sur les lieux de l’acte de terrorisme au moment où l’acte a été perpétré. Il ne peut dès lors se voir reconnaître la qualité de victime directe (non plus que celle de victime indirecte) et est débouté de sa demande.

Intérêt de la décision

La loi du 18 juillet 2017 intervenue après les attentats du 22 mars 2016 permet l’octroi d’une pension de dédommagement aux victimes d’actes de terrorisme, celles-ci pouvant se voir octroyer le statut de solidarité nationale.

Le Service fédéral des Pensions a été saisi de diverses demandes de pension de dédommagement de la part de personnes s’étant trouvées sur les lieux, appelées aux fins de prêter assistance et secours. La demande est de la compétence de la Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels du chef d’actes de terrorisme.

La question a été de savoir si elles pouvaient avoir la qualité de victimes directes.

L’on peut préciser, sur la question, que, dans un premier temps, l’administration a été tentée d’interpréter la notion avec une certaine souplesse mais qu’elle a été amenée à revenir sur une position plus stricte.

La Commission supérieure d’appel – juridiction administrative – est compétente pour vérifier la décision de l’autorité administrative. Elle a une compétence de pleine juridiction et peut vérifier notamment si l’autorité administrative n’a pas commis une erreur de droit. Sa décision peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal du travail, dans les trois mois de sa notification, tel étant le cas en l’espèce.

L’on notera que la notion d’acte de terrorisme n’est pas définie ou expliquée dans la loi, la référence étant faite à l’article 42bis de la loi du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres et à ses arrêtés d’exécution, qui ne définissent pas non plus ce qu’il faut entendre par là. La reconnaissance de ces actes doit intervenir par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres.

Quant à l’interprétation des termes « lieu de l’acte de terrorisme », celle-ci couvre non seulement le lieu de la détonation, mais également le périmètre autour de ce lieu qui a été touché par l’explosion. Pour l’acte de terrorisme à la station de métro Maelbeek, celui-ci s’étend donc manifestement au-delà de cette seule station, la détonation de la bombe à la source de l’attentat ayant directement causé des dégâts en-dehors, lorsqu’elle a explosé. L’on se rappellera d’ailleurs qu’elle a entraîné l’écroulement d’un mur dans un parking situé rue de la Loi.

Enfin, sur la notion de « moment de l’acte de terrorisme », celle-ci ne vise pas uniquement le seul instant de la détonation, puisque l’acte de terrorisme implique non seulement un fait déterminé (cette détonation), mais également une intention et des effets particuliers. L’on peut à cet égard renvoyer à la définition du Code pénal. Il en découle que les conséquences immédiates de la détonation, sur les vies humaines et les bâtiments, ne sont pas distinctes de l’acte de terrorisme mais en font intrinsèquement partie.

Si ces notions sont encore à explorer, la victime directe ne peut, selon le jugement commenté, s’étendre aux personnes arrivées sur place en vue de porter secours, même si les séquelles de l’attentat sur leur santé sont sérieuses, comme en l’espèce.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be