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Maladie professionnelle dans le secteur public : légalité de la présomption d’exposition au risque

Commentaire de C. trav. Mons, 25 novembre 2020, R.G. 2019/AM/197 et 2019/AM/199

Mis en ligne le vendredi 28 mai 2021


Cour du travail de Mons, 25 novembre 2020, R.G. 2019/AM/197 et 2019/AM/199

Terra Laboris

Dans un arrêt du 25 novembre 2020, la Cour du travail de Mons définit le fondement légal de la présomption d’exposition au risque professionnel dans le secteur public comme étant l’article 1er de la loi du 3 juillet 1967, celui-ci étant libellé en des termes suffisamment larges pour qu’y soit comprise l’habilitation donnée au Roi de fixer des règles spécifiques en matière de preuve.

Les faits

Une inspectrice de police a introduit en 2014 une demande de réparation des séquelles d’un burnout (la description complète donnée étant un burnout sévère, du harcèlement et un choc psychologique au travail). Il s’agit d’une demande de réparation d’une maladie professionnelle.

Celle-ci est refusée, FEDRIS ayant considéré qu’il n’apparaît pas du dossier que la maladie en raison de laquelle la réparation est demandée trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.

L’administration donne suite à cette proposition en transmettant un projet de décision à l’intéressée. Celle-ci ne réagit pas dans le délai de trente jours, de telle sorte que le projet est confirmé, une décision étant notifiée en ce sens.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons).

La demande est fondée sur la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré structuré à deux niveaux ainsi que sur l’arrêté royal du 30 mars 2001 portant le statut juridique du personnel des services de police, les textes relatifs au risque professionnel étant la loi du 3 juillet 1967 et l’arrêté royal du 21 janvier 1993.

FEDRIS est intervenue volontairement dans l’instance.

Le jugement du tribunal du travail est rendu le 7 mars 2019 et un expert a désigné.

Appel est interjeté par FEDRIS.

Position de FEDRIS devant la cour

L’Agence développe une thèse « à tiroirs », étant qu’après avoir sollicité à titre principal que l’intéressée ne soit pas indemnisée dans le régime des maladies professionnelles (la demande devant être introduite dans celui des accidents du travail), à titre subsidiaire, elle considère que les conditions de l’article 30bis des lois coordonnées du 3 juin 1970 auxquelles renvoie la loi du 3 juillet 1967 ne sont pas réunies, et ce pour six motifs, étant que (i) la maladie n’est pas prouvée, (ii) la présomption d’exposition au risque professionnel dans le secteur public pour les demandes relatives à une maladie hors liste est illégale, (iii) elle crée une discrimination entre les travailleurs du secteur public et ceux du secteur privé, (iv) en toute hypothèse, cette présomption est renversée en l’espèce, (v) la preuve du lien causal direct et déterminant n’est pas établie et (vi) le dommage n’est pas avéré.

La décision de la cour

La cour motive longuement en droit.

Elle examine en premier lieu s’il y a violation de l’article 13, § 2, de l’arrêté royal du 21 janvier 1993, arrêté qui organise la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles en faveur du personnel des administrations provinciales et locales (dans sa version applicable à l’époque). Cet arrêté reprend la procédure administrative, avec le rappel des rôles respectifs de l’autorité et du Fonds.

En l’espèce, est contestée la recevabilité de la demande en justice au motif que l’intéressée avait l’obligation de communiquer ses remarques à l’autorité compétente. A défaut de ce faire, la procédure introduite serait irrecevable. La cour rejette cet argument, au motif que l’action de la victime est recevable à une seule condition, à savoir d’avoir été introduite dans l’année suivant la notification de la décision administrative. L’absence de remarques sur la décision elle-même n’est pas une condition de recevabilité de l’action en justice.

Sur l’argument relatif à l’indemnisation en accident du travail, la cour examine les éléments d’ordre médical produits, retenant que le psychiatre consulté par l’intéressée fait état d’une succession d’événements survenus à celle-ci (blâmes, changement de service, absence de dialogue, décision arbitraire, etc.), et que, dans cette séquence, il n’y a pas d’événement soudain identifié. La cour rejette dès lors la position de FEDRIS sur ce point.

Quant à l’existence de la maladie, celle-ci est également constatée, et ce à partir du dossier médical produit.

La cour en vient ensuite à la question de la légalité de la présomption d’exposition au risque. Elle résume la position de FEDRIS (rejointe par l’employeur), qui est de rappeler que la loi du 3 juillet 1967 ne contient aucune condition liée à l’exposition au risque dans le secteur public, cette condition et ses modalités figurant dans les arrêtés royaux d’exécution. Elle conteste la légalité de la présomption figurant, en l’occurrence, à l’article 5 de l’arrêté royal du 21 janvier 1993, qui dispose qu’est présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir exposé la victime au risque professionnel de la maladie professionnelle tout travail effectué pendant la période où la victime a été occupée dans les administrations et établissements tombant sous le champ d’application du texte.

La question de la légalité de cette présomption a été débattue en jurisprudence et celle-ci a été admise dans plusieurs décisions, la cour renvoyant ici à trois arrêts de la même Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 15 avril 2013, R.G. 2012/AM/281, C. trav. Mons, 15 novembre 2010, Chron. D. S., 2013, p. 315 et C. trav. Mons, 16 juin 2009, R.G. 21.158), les décisions rendues ayant confirmé que le Roi n’avait pas excédé le pouvoir qui lui était conféré et dont la limite était fixée par l’article 108 de la Constitution. Cette jurisprudence considère qu’il ne s’agit pas d’une présomption instituée d’initiative par le Roi mais qu’elle l’a été par le législateur (la loi du 3 juillet 1967 renvoyant aux lois coordonnées du 3 juin 1970, et notamment à l’article 32, alinéa 4).

Dans un arrêt du 10 décembre 2018 (Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.0001.F), la Cour de cassation a cependant considéré que l’habilitation du Roi ne peut reposer sur l’article 32, alinéa 4, des lois coordonnées le 3 juin 1970, aucun renvoi n’étant fait à l’article 32 de ces lois coordonnées dans la réglementation relative au risque professionnel dans le secteur public. Pour la Cour du travail de Mons, il ne faut cependant pas en déduire que la présomption de l’article 5, alinéa 2, de l’arrêté royal du 21 janvier 1993 est illégale au motif que le Roi aurait excédé le pouvoir qui lui était conféré, pouvoir limité par l’article 108 de la Constitution.

Pour la cour du travail, en effet, renvoyant à l’article 1er de la loi du 3 juillet 1967, le régime institué par la loi est, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, rendu applicable par le Roi aux conditions et dans les limites qu’Il fixe aux membres du personnel des autorités qu’elle énumère. Le Roi a dès lors reçu la tâche non seulement de rendre applicable le régime institué par elle aux membres du personnel des services publics, mais également d’en fixer les conditions et limites. L’habilitation faite au Roi est suffisamment large pour l’autoriser à fixer des règles spécifiques en matière de preuve. Le fondement de l’habilitation au Roi est, ainsi, pour la cour, l’article 1er de la loi du 3 juillet 1967 et aucun excès de pouvoir ne peut être constaté.

La cour précise encore que l’arrêté royal du 21 janvier 1993 ne prévoit en rien une distinction entre maladie de la liste et maladie hors liste et que la règle de preuve s’applique dès lors que la demande de réparation soit introduite pour l’une ou l’autre. Renvoi est encore fait ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2018, qui a retenu que la présomption d’exposition n’est pas limitée aux seules maladies professionnelles reprises sur la liste mais qu’elle s’étend aux maladies qui, tout en n’y figurant pas, trouvent leur cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession au sens de l’article 30bis.

La cour examine ensuite la discrimination qui existerait du fait de cette présomption d’exposition au risque entre divers types de personnel (victime d’une maladie professionnelle hors liste du secteur privé et du secteur public), rappelant que, dans les travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 1967, il apparaît que le législateur voulait prévoir, pour les travailleurs des deux secteurs, des systèmes comparables sur le plan de l’indemnisation mais qu’il ne souhaitait pas une simple extension du régime du secteur privé au secteur public, vu les caractéristiques propres de chaque secteur, et en particulier vu que le statut des agents de l’Etat est généralement de nature réglementaire, alors que l’emploi dans le secteur privé est de nature contractuelle (la cour reprenant ici à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 25 avril 2013, n° 59/2013, considérant B.5). Elle renvoie également à l’arrêté royal du 5 janvier 1971, dont le rapport au Roi précise que la présomption figurant dans les différents arrêtés royaux pris en exécution de la loi du 3 juillet 1967 se justifie parce qu’il a paru impossible à l’égard des services publics d’entrer dans les détails relatifs aux professions ou catégories d’entreprises.

La cour rejette dès lors la demande d’écartement de l’article 5, alinéa 2, de l’arrêté royal du 21 janvier 1993. Elle rappelle encore, sur l’article 32 des lois coordonnées, qu’il ne s’applique pas et ne peut être appliqué par analogie dans le secteur public, renvoyant ici aux conclusions de l’Avocat général avant l’arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2016 (Cass., 4 avril 2016, n° S.14.0039.F).

La cour rejette, dans la foulée, que la Cour constitutionnelle soit interrogée sur la notion d’exposition au risque, vu que la discrimination invoquée trouve sa source dans l’abstention du législateur de prévoir, dans la loi du 3 juillet 1967, une disposition comparable à l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées du 3 juin 1970. Elle rappelle que, s’il y a une lacune législative, le juge n’est tenu d’interroger la Cour constitutionnelle que lorsqu’il constate qu’elle serait en mesure, le cas échéant, d’y remédier sans l’intervention du législateur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

La cour examine encore la question du lien causal, étant son caractère direct et déterminant, pour lequel est reprise la jurisprudence de la Cour de cassation dans ses deux arrêts phares (Cass., 2 février 1998, n° S.97.0109.N et Cass., 22 juin 2020, n° S.18.0009.F).

En conséquence, dans la mesure où existent en l’espèce des indices suivant lesquels la maladie (burnout) ne serait peut-être pas survenue ou aurait été moins grave sans l’exercice de la profession, peu importe que celle-ci soit une pathologie multifactorielle. Ce qui compte est que l’exercice de la profession ait eu un impact, fût-il modeste, sur l’apparition ou le développement de celle-ci.

Intérêt de la décision

Dans ce bel arrêt, la Cour du travail de Mons fait le point sur la jurisprudence de la Cour de cassation rendue à propos de la présomption d’exposition au risque applicable dans le secteur public et sur la notion de cause déterminante et directe. Les principes sont à ce jour bien acquis au niveau de la haute Cour.

Etait demandé, dans le cadre de l’affaire tranchée par l’arrêt commenté, que la Cour constitutionnelle soit saisie, non sur la cause déterminante et directe, mais sur la présomption d’exposition.

Dans les arrêts rappelés, la Cour du travail de Mons avait admis par le passé la légalité de la présomption, définissant son fondement légal comme étant l’article 32 des lois coordonnées le 3 juin 1970. Cette disposition étant écartée par la Cour de cassation, qui a considéré qu’en l’absence de renvoi exprès à celle-ci dans les textes en vigueur dans le secteur public, il ne pouvait s’agir du fondement légal ayant donné habilitation au Roi pour déterminer dans les arrêtés d’exécution un tel mode de preuve.

La Cour du travail de Mons a poursuivi le raisonnement, considérant que ce fondement légal est l’article 1er de la loi du 3 juillet 1967, puisqu’il dispose que le régime institué par elle est, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, rendu applicable par le Roi, aux conditions et dans les limites qu’Il fixe aux membres du personnel des autorités qui sont énumérées dans la loi. L’habilitation donnée au Roi était suffisamment large pour qu’Il ait pu fixer des règles spécifiques en matière de preuve, étant ainsi notamment habilité à ériger une présomption d’exposition au risque professionnel.

L’on peut également retenir sur la question un jugement du Tribunal du travail de Liège (division Namur) du 3 novembre 2020 (C. trav. Liège, div. Namur, 3 novembre 2020, R.G. 19/556/A), qui a conclu dans le même sens, le tribunal ayant, comme ici, été saisi d’une demande d’écartement de l’article 5 de l’arrêté royal du 21 janvier 1993.


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