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Discrimination sur la base de l’état de santé : un cas d’application

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 13 novembre 2020, R.G. 19/361/A

Mis en ligne le jeudi 27 mai 2021


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 13 novembre 2020, R.G. 19/361/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 13 novembre 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) retient qu’est discriminatoire sur la base de l’état de santé le licenciement intervenant à la suite d’une incapacité de travail ayant requis une adaptation du temps de travail lors de la reprise, reprise qui avortera, le licenciement étant intervenu verbalement la veille.

Les faits

Une employée communale (engagée dans le cadre du plan Activa) est en service depuis 2015. Elle va signer plusieurs contrats par la suite (contrat de remplacement, contrat à durée déterminée et contrat à durée indéterminée).

En 2017, elle doit s’absenter pour cause de santé. Plusieurs dates successives de reprise du travail sont prévues en 2018, mais la reprise ne peut intervenir. Pour le service de la médecine du travail, elle peut finalement reprendre, mais à temps partiel médical.

Des discussions interviennent quant aux modalités de la reprise. Avant que celle-ci n’intervienne, l’employeur rompt le contrat moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Le motif de la rupture est une « réorganisation des services ».

Une discussion interviendra entre parties quant à la fixation de la rémunération (le contrat prévoyant une rémunération équivalente à celle d’un membre du personnel de l’Etat pour la même fonction) ainsi que quant au motif du licenciement, l’employée considérant celui-ci comme discriminatoire, vu son état de santé.

La décision du tribunal

Pour ce qui est des arriérés de rémunération, l’intéressée était en contrat à durée indéterminée sous statut APE depuis début mai 2018, celui-ci prévoyant effectivement que la rémunération devrait être au moins égale au traitement octroyé à un membre du personnel de l’Etat pour la même fonction ou pour une fonction analogue. Ceci visait également les augmentations barémiques.

Le tribunal relève qu’il s’agit de la reproduction d’une disposition du Décret du 25 avril 2002 relatif aux aides visant à favoriser l’engagement de demandeurs d’emploi inoccupés par les pouvoirs locaux, régionaux et communautaires, ainsi que par certains employeurs du secteur non marchand et de l’enseignement. Le non-respect de cette disposition peut être sanctionné par le retrait de l’aide accordée.

Dans le cadre des fonctions qu’elle avait occupées en fin de contrat, il s’avère que l’intéressée était présentée comme fonctionnaire dirigeant, exerçant la fonction de responsable de marchés publics. Aussi, la fonction de référence doit-elle être celle réellement exercée et non la fonction théoriquement reprise dans le contrat de travail.

L’employeur est dès lors condamné à payer des arriérés de rémunération selon le décompte qui a été déposé.

Sur la rupture, les parties sont également contraires, puisque la demanderesse estime apporter un ensemble d’éléments qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination et que l’administration communale expose que les motifs sont autres (fautes commises dans la gestion des dossiers, difficulté de la relation professionnelle, etc.).

Le tribunal fait un très bref rappel des dispositions pertinentes de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, renvoyant, sur le plan de la preuve, à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 février 2009 (C. const., 12 février 2009, n° 17/2009) : il ne suffit pas qu’une personne prouve qu’elle a fait l’objet d’un traitement défavorable. Cette personne doit également prouver les faits qui semblent indiquer que ce traitement défavorable a été dicté par des motifs illicites. Le tribunal renvoie à la doctrine (J. RINGELHEIM et V. VAN DER PLANCKE, « Prouver la discrimination en justice », Comprendre et pratiquer le droit de la lutte contre les discriminations, C.U.P., Anthémis, 2018, n° 184, p. 141).

Il se livre à un examen fouillé des faits, dont l’historique démontre que l’intéressée doit être suivie lorsqu’elle estime qu’ils permettent de présumer l’existence d’une discrimination.

Après plus de trois ans d’occupation, l’employée a subi une intervention chirurgicale, qui a entraîné une longue incapacité de travail (non prévue). La médecine du travail a décidé de la prolongation de cette incapacité et d’une reprise, ensuite, à temps partiel médical, chose pour laquelle l’intéressée a obtenu l’accord de sa mutuelle. Elle a également fait des démarches auprès de la Commune à cette fin.

Peu avant le licenciement, sa hiérarchie lui fixe des heures de prestation, qu’elle doit refuser pour des motifs légitimes. La suite qui intervient est le licenciement moins d’une semaine plus tard, le jour de la reprise théorique du travail. L’intéressée est informée de la rupture la veille par téléphone.

Pour le tribunal, cette rupture « arrive comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu ». Il déclare ne pas voir de raison pour laquelle le revirement est intervenu, puisque la reprise du travail était en gestation.

Il constate que les arguments de l’administration communale sont peu convaincants, étant des manquements au niveau des compétences requises, et ce alors qu’aucun reproche n’avait été fait précédemment. Pour le tribunal, le dossier semble monté à charge, l’administration communale étant allée dare-dare « à la pèche » auprès des collaborateurs, aux fins d’avoir des griefs. Par ailleurs, aucun document sérieux n’est produit qui viendrait attester d’erreurs à ce point graves qu’elles auraient pu entraîner le licenciement.

Celui-ci présente dès lors un caractère discriminatoire et l’employeur est condamné à l’indemnité légale.

Intérêt de la décision

Le contentieux de la discrimination prend de l’ampleur, ainsi que l’atteste notamment ce jugement. Rendu à partir de faits relativement clairs, l’examen se porte aussitôt – et uniquement –, en ce qui concerne la rupture, sur le respect de la loi anti-discrimination.

La recherche de celle-ci a été facilitée suite à l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans l’arrêt cité (arrêt du 12 février 2009, n° 17/2009 – recours en annulation rejeté sous réserve d’interprétations formulées par la Cour dans des considérants de la décision).

La Cour enseigne quant à la charge de la preuve que, lorsqu’une personne s’estime victime d’une discrimination et qu’elle invoque devant le juge des faits qui permettent de présumer l’existence de celle-ci, fondée sur l’un des motifs mentionnés dans la loi, il incombe au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination. Parmi ces faits, sont compris entre autres – mais non exclusivement, selon la Cour constitutionnelle – (i) les éléments qui révèlent une certaine récurrence de traitement défavorable à l’égard de personnes partageant un critère protégé, entre autres différents signalements isolés faits auprès du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (soit UNIA actuellement) ou l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, ou encore auprès de l’un des groupements d’intérêts repris par la loi, et (ii) les éléments qui révèlent que la situation de la victime du traitement plus défavorable est comparable à la situation de la personne de référence. Ces critères valent pour la discrimination directe.

Ceux retenus par la Cour pour la discrimination indirecte sont (i) des statistiques générales concernant la situation du groupe dont la victime de la discrimination fait partie ou des « faits de connaissance générale », (ii) l’utilisation d’un critère de distinction intrinsèquement suspect et (iii) du matériel statistique élémentaire qui révèle un traitement défavorable.

C’est cette méthode qu’il s’agit de suivre dans le chef du demandeur. Dès lors que le juge admet que lui sont présentés des faits susceptibles de présumer l’existence de cette discrimination, il appartient au défendeur d’établir que celle-ci est inexistante.


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