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Activités compatibles avec les allocations de chômage

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 4 septembre 2020, R.G. 18/5.422/A et 18/5.423/A

Mis en ligne le vendredi 14 mai 2021


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 4 septembre 2020, R.G. 18/5.422/A et 18/5.423/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 4 septembre 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles procède à l’examen des conditions d’exercice d’une activité autorisée pour le cumul avec les allocations de chômage, s’agissant à la fois de mandats au sein de sociétés et d’A.S.B.L.

Les faits

Un assuré social introduit un recours devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles contre une décision de l’ONEm du 11 septembre 2018 qui l’a exclu des allocations de chômage depuis le 4 septembre 2011, avec récupération à partir du 1er juillet 2015 et exclusion pour une période de six semaines. Cette décision est prise sur pied des articles 44, 45 et 45bis de l’arrêté royal organique, lui étant reprochée une activité d’administrateur d’une A.S.B.L., avec absence de déclaration préalable.

Une deuxième requête est introduite le même jour contre une autre décision de l’ONEm l’excluant, à partir du 28 novembre 2016, avec récupération depuis cette date et exclusion pour une période de quarante-deux semaines, toujours sur pied des articles 44 et 45 de l’arrêté royal organique, lui étant reprochée ici une activité d’indépendant en tant que dirigeant d’entreprise d’une S.C.R.L. ainsi que d’une autre A.S.B.L. et, enfin, la qualité d’associé actif d’une autre S.C.R.L.

Rétroactes

L’intéressé avait, par le passé, fait l’objet d’une première décision d’exclusion, confirmée par un arrêt de la cour du travail, visant à l’époque une activité de dirigeant d’entreprise d’une des deux A.S.B.L. ci-dessus. Cette décision antérieure produit ses effets au 23 décembre 2013.

Par la suite, il a introduit un formulaire C1, déclarant une modification de sa situation personnelle (ménage) et ne mentionnant pas l’exercice d’une activité accessoire ou l’aide à un indépendant.

Une enquête a été décidée et il ressort des rapports que l’intéressé est resté actif, sous diverses formes (administrateur d’une A.S.B.L., dirigeant d’entreprise d’une S.C.R.L. et d’une autre A.S.B.L., ainsi qu’exercice d’une activité indépendante à titre principal en qualité d’associé actif d’une autre S.C.R.L. pendant quelques mois). Cette enquête a donné lieu aux décisions dont recours.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle les situations admises comme étant compatibles avec la réglementation chômage, celles-ci étant liées à la condition d’absence de travail.

Au sens de l’article 45, le travail interdit peut être effectué soit pour son propre compte, soit pour un tiers. Les critères d’appréciation sont distincts, le tribunal rappelant surtout ceux de l’activité effectuée pour compte propre, qui vise celle non limitée à la gestion normale des biens propres. Trois conditions requises, étant (i) que cette activité n’est pas réellement intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et qu’elle n’est pas exercée dans un but lucratif, (ii) qu’elle ne permet que de conserver ou d’accroître modérément la valeur des biens et (iii) que, par son ampleur, elle ne compromet pas la recherche ni l’exercice d’un emploi.

Plusieurs situations peuvent être confrontées à ces exigences. Il s’agit des mandats (au sein d’une A.S.B.L. ou d’une société) ainsi que l’activité bénévole.

Pour ce qui est du mandat dans une A.S.B.L., il ne s’agit pas d’une activité pour compte propre, dans la mesure où les activités visées ne sont pas en contradiction avec la forme juridique de l’association. Cette activité est considérée comme activité pour compte de tiers et celle-ci est présumée avoir procuré une rémunération ou un avantage matériel. Cette présomption peut cependant être renversée en démontrant la gratuité et l’absence de rémunération ou d’avantage matériel de nature à contribuer à la subsistance du chômeur ou à celle de sa famille.

Le mandat au sein d’une société est une activité pour compte propre, et ce même si elle ne procure pas de revenus (ceci n’étant pas de nature à établir l’absence de but lucratif). Elle n’est pas considérée comme limitée à la gestion normale de biens propres. Ce mandat, même non rémunéré, est une activité économique non compatible avec les allocations de chômage, dans la mesure où la société poursuit un but de lucre. Cependant, le chômeur peut ici encore établir l’absence d’activité réelle de la société, qui fait que lui-même n’en avait pas non plus. Le tribunal rappelle encore qu’il est admis que, même si la société était active, le chômeur peut démontrer qu’il n’a nullement « exercé » son mandat social. Il ajoute que, même réduite et gratuite, l’activité est effective et fait obstacle à l’octroi des allocations.

Enfin, le statut de bénévole permet le maintien des allocations si l’activité est exercée conformément à la loi du 3 juillet 2005 relative aux droits des volontaires. Une déclaration préalable est cependant ici exigée. Elle doit en outre être signée par les deux parties et contenir certaines mentions. Le tribunal ajoute que cette déclaration peut être écartée si elle est contredite par des présomptions graves, précises et concordantes. Les conditions d’exercice de cette activité bénévole sont reprises à l’article 45bis de l’arrêté royal chômage.

Le tribunal passe ensuite en revue les divers griefs de l’ONEm. Si le rôle de l’intéressé au sein d’une A.S.B.L. ne fait pas obstacle aux allocations de chômage, le tribunal voit cependant la marque de l’exercice d’une activité incompatible en ce qui concerne une S.C.R.L. dans laquelle il a joué un rôle clé, cette société ayant fonctionné de manière effective. Il apparaît comme ayant été le véritable gestionnaire de celle-ci, le tribunal soulignant que, s’agissant d’une société coopérative, dans cette forme juridique, les associés disposent d’un véritable pouvoir de contrôle et sont intéressés à la bonne marche des affaires. Cette activité a déjà été soumise aux juridictions du travail et elle a été sanctionnée par la décision de la cour du travail ci-dessus. Le tribunal fait grief à l’intéressé de ne pas avoir mis un terme à celle-ci, un procès-verbal d’assemblée générale confirmant au contraire sa désignation en tant que directeur.

Le rôle qu’il a joué dans une deuxième A.S.B.L. est admis. Quant à son rôle d’associé actif dans une autre S.P.R.L. (également) retenu, le tribunal relève que la preuve n’est pas apportée par l’assuré social qu’il n’aurait pas exercé une activité pour compte propre.

La décision est confirmée en ce qui concerne l’exclusion. Sur la récupération, il ne retient pas la bonne foi de l’intéressé, vu l’absence de déclaration à trois reprises (formulaires C1) et la connaissance qu’il devait avoir de l’interdiction de cumul entre l’activité exercée et les allocations. La récupération est dès lors ordonnée pour toute la période visée.

Pour ce qui est de la sanction, se pose la question de la récidive. Le tribunal rappelle qu’il doit tenir compte, à l’intérieur des limites minimales et maximales fixées par la réglementation de la gravité du manquement, de l’absence d’intention frauduleuse ainsi que de la bonne ou mauvaise foi.

Les conditions de la récidive sont remplies en l’espèce, puisque la décision judiciaire relative à la première infraction est antérieure à celle faisant l’objet d’une des deux décisions contestées, qu’un délai de plus d’un an ne s’est pas écoulé depuis et que ces infractions relèvent du champ d’application des mêmes dispositions de l’arrêté royal, étant les articles 44, 45 et 71. En conséquence, le tribunal retient que la durée de l’exclusion ne peut être inférieure au double de la sanction précédente, soit vingt semaines.

Intérêt de la décision

Cette affaire tranchée par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles le 4 septembre 2020 contient plusieurs enseignements.

D’abord, les situations compatibles avec la perception d’allocations de chômage, eu égard à l’exigence de l’arrêté royal que le chômeur soit privé de travail et de rémunération. Le tribunal y fait un rappel très actuel (avec force renvois à la jurisprudence récente).

Il fait par ailleurs le rappel de la distinction des critères à appliquer pour le mandat exercé au sein d’une A.S.B.L. ou d’une société.

Pour ce qui est de l’A.S.B.L., celui-ci est généralement compris comme une activité pour compte de tiers et doit répondre aux conditions spécifiques de celle-ci, étant qu’elle ne doit pas procurer au travailleur une rémunération ou un avantage matériel de nature à contribuer à sa subsistance ou à celle de sa famille (toute activité effectuée pour un tiers étant présumée jusqu’à preuve du contraire procurer une telle rémunération ou un tel avantage matériel).

Le mandat au sein d’une société est par contre considéré comme une activité pour compte propre. Il peut être admis, dans la mesure où l’activité exercée ne peut pas être intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et qu’elle est limitée à la gestion normale des biens propres.

Le jugement met également l’accent sur les conditions dans lesquelles une activité peut être exercée en tant que bénévole, rappelant ici qu’une déclaration doit être faite (déclaration spécifique), les conditions d’exercice sous ce statut faisant l’objet de l’article 45bis de l’arrêté royal organique.

Enfin, ce dossier est l’occasion d’appliquer les règles relatives à la récidive, récidive présente en l’espèce, puisque le tribunal a pu vérifier la réunion des trois conditions requises, étant que (i) la décision relative à la première infraction a été notifiée avant que la seconde ne soit commise, (ii) que cette deuxième infraction ne doit pas avoir été commise plus d’un an après la première et (iii) que les deux infractions doivent relever du champ d’application des mêmes dispositions.


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