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Evaluation de l’aide de tiers en accidents du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 octobre 2020, R.G. 2018/AB/352

Mis en ligne le vendredi 14 mai 2021


Cour du travail de Bruxelles, 26 octobre 2020, R.G. 2018/AB/352

Terra Laboris

Par arrêt du 26 octobre 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles dégagées par la Cour de cassation dans sa jurisprudence concernant l’évaluation de l’aide de tiers prévue par l’article 24 de la loi du 10 avril 1971.

Les faits

Un travailleur avait été victime d’un grave accident de la route, qui est également un accident sur le chemin du travail. Une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail de Nivelles à l’encontre de l’assureur. En cours d’instance, l’intéressé est décédé (d’une maladie sans lien avec l’accident). L’instance a été reprise par ses ayants droit (son père et ses deux sœurs).

Une expertise a été ordonnée par le tribunal du travail et l’expert judiciaire a constaté l’accord des parties sur une date de consolidation (1er janvier 2017), la reconnaissance d’une incapacité permanente totale ainsi que sur la prise en charge d’appareillage et de frais médicaux.

Un désaccord subsistait, cependant, sur l’aide de tiers. Un avis spécialisé a été demandé et ce sapiteur a conclu à une double évaluation, étant que, sur la base de la balance Elida, l’on aboutissait à 54% et, sur la base de la grille Lucas et Stehman, le résultat était de 22 points, résultat que l’expert rejeta, le remplaçant par un taux de 44%. Au stade des préliminaires, se posait dès lors cette seule question. Dans son rapport définitif, l’expert judiciaire fixa l’aide de tiers à 50%.

L’intéressé demanda au tribunal de fixer celle-ci à 100%, ce que ne fit pas le jugement dont appel, qui retint le taux de 50% du revenu minimum moyen garanti proposé par l’expert judiciaire.

Appel fut donc interjeté.

Position des parties devant la cour

Les appelants font état de confusion entre les différentes méthodes d’évaluation. Ils contestent la légalité du recours à des grilles pour l’évaluation de l’indemnité en cause, la loi ne réservant pas l’allocation la plus élevée autorisée à l’assistance la plus complète possible mais laissant au juge le pouvoir d’apprécier le montant de l’allocation en fonction du degré de nécessité de l’assistance requise dans les limites qu’elle fixe. Ils précisent en outre qu’il est justifié de déterminer ce degré de nécessité en considération du critère temps requis pour la prodiguer, par rapport à la durée hebdomadaire de travail.

Pour l’entreprise d’assurances, la loi a un caractère forfaitaire et l’évaluation de l’allocation pour aide de tiers doit se faire en équité, avec raison et impartialité, ce qui aurait été fait par l’expert, qui n’a pas tenu compte des grilles mais des constatations réelles effectuées.

La décision de la cour

La cour rappelle l’article 24, alinéas 4 et 5, de la loi du 10 avril 1971, qui organise l’indemnisation pour aide de tiers. Si l’état de la victime exige absolument l’assistance régulière d’une autre personne, elle peut prétendre à une allocation annuelle complémentaire. Cette allocation est fixée en fonction du degré de nécessité de cette assistance, et ce sur la base du R.M.M.M.G. au moment où l’incapacité présente le caractère de permanence. La référence est le travailleur occupé à temps plein âgé d’au moins 19 ans et ayant au moins 6 mois d’ancienneté dans l’entreprise. Il s’agit donc d’indemniser l’aide régulière qui est absolument nécessaire à la victime pour assumer ses besoins quotidiens : besoins vitaux, besoins en termes d’hygiène correspondant aux standards habituels ou besoins en termes de loisirs, de contacts sociaux, ceux-ci constituant une nécessité légitime.

La cour rappelle que l’aide en cause peut être active ou consister en une simple surveillance ou présence et qu’elle s’inscrit dans le régime général de réparation forfaitaire de la loi. Bien qu’il s’agisse d’une allocation complémentaire, elle a un caractère forfaitaire et, renvoyant à la doctrine (P. PALSTERMAN, « L’indemnisation de l’aide de tiers dans la législation des accidents du travail », Justice et dommage corporel – Panorama du handicap au travers des différents systèmes d’aides et de réparation, Larcier, 2011, p. 82), elle retient que le législateur a retenu la nécessité de réparer, dans des cas particulièrement graves et pénibles, les séquelles d’un accident lorsque le dommage n’est pas limité à la seule perte de capacité de gain. Cette réparation consiste en une aide complémentaire qui compense le salaire des personnes aidant la victime dans les gestes de la vie courante. Vu son caractère forfaitaire, un maximum est prévu, étant qu’elle ne peut dépasser douze fois le R.M.M.M.G. Il s’agit donc de limiter cette aide à l’équivalent d’une occupation fictive à temps plein.

La cour renvoie à l’enseignement de la Cour de cassation sur la question, qui laisse au juge un large pouvoir d’appréciation dans l’évaluation de la nécessité de l’aide de tiers et, ainsi, dans celle de l’allocation à attribuer. Il peut tenir compte de la nature et de l’importance des lésions ainsi que des frais réels ou du coût de l’aide et/ou encore de la durée de l’assistance nécessaire.

Divers arrêts de la Cour de cassation sont cités (dont Cass., 23 novembre 2015, n° S.13.0016.N). La cour renvoie particulièrement à un arrêt ancien du 25 septembre 1974 (Cass., 25 septembre 1974, Pas., 1974, I, p. 102), selon lequel l’assistance peut être si importante et tellement permanente que le montant maximum de l’allocation est insuffisant mais il ne peut cependant être dépassé en vertu de l’article 24 de la loi. La cour renvoie également à un précédent arrêt de sa juridiction (C. trav. Bruxelles, 18 octobre 2010, R.G. 2009/AB/51.700), qui a repris les principes de l’évaluation. S’il y a plafonnement au montant du R.M.M.M.G., et ce même si celui-ci est insuffisant au vu du besoin d’aide de la victime, ceci ne signifie pas que celle dont le besoin d’aide n’est pas maximal n’aurait droit qu’à une fraction de ce montant au titre d’allocation complémentaire, en proportion de son besoin d’aide par rapport au besoin maximal (renvoi étant ici fait à Cass., 28 février 1994, n° 9628). Il n’est dès lors pas question de réduire l’allocation en proportion du degré de nécessité de l’aide par rapport au besoin d’aide maximale. Il ne faut pas davantage vérifier si le montant correspond aux frais effectivement exposés par la victime pour obtenir cette assistance.

Sur les grilles, la cour retient qu’elles ont des mérites et inconvénients respectifs, mais qu’il peut être constaté qu’elles n’accordent le résultat maximum qu’aux victimes les plus atteintes, ce qui ne correspond manifestement pas à la volonté du législateur en matière d’accidents du travail. Une autre méthode d’évaluation, qui est le temps pendant lequel la victime a effectivement besoin d’aide, est habituellement utilisée, plutôt que celle-ci. Ce sont les heures de travail qui sont prises en compte par rapport au R.M.M.M.G. pour un temps plein. Cette méthode est jugée par une abondante jurisprudence (que la cour cite dans son arrêt) conforme à l’enseignement de la Cour de cassation ci-dessus.

En l’espèce, la cour va conclure à un taux de 100%, constatant que l’aide dont la victime avait besoin dépassait 38 heures de travail par semaine. Est dès lors allouée l’allocation maximale.

Intérêt de la décision

Cet arrêt bien documenté de la cour du travail aborde la question spécifique de l’évaluation de l’aide de tiers, question qui a été longuement débattue. La référence s’est progressivement fixée comme étant le R.M.M.M.G. arrêté dans les conventions collectives de travail nationales n° 43 et suivantes, pour un travailleur de 19 ans ayant une ancienneté de minimum 6 mois dans l’entreprise. La question de déterminer le pourcentage lui-même est cependant laissée au juge du fond.

La Cour de cassation a balisé la question, eu égard au plafonnement fixé par l’article 24 de la loi, étant qu’en tout état de cause, le maximum de 100% ne peut être dépassé. Il en découle que, si le temps nécessité par l’aide de tiers à la victime de l’accident est lui-même supérieur à 100% de la durée normale du travail, le plafonnement va intervenir. Pour la fixation d’un pourcentage (1% - 100%), il est certes tentant de se référer à des grilles préétablies. La cour souligne que celles-ci ne sont nullement contraignantes et l’on constatera d’ailleurs en l’espèce qu’à propos de la même situation, les deux grilles auxquelles il a été fait référence donnent des résultats différents, résultats qui sont, pour l’un, inférieur à 50% et, pour l’autre, légèrement au-dessus de ce taux, alors que les éléments que la cour a pu apprécier en fait aboutissent à un taux maximal.

L’arrêt a à cet égard rappelé plusieurs arrêts de la Cour de cassation. Le dernier en date est celui du 23 novembre 2015 (Cass., 23 novembre 2015, n° S.13.0016.N – précédemment commenté). Dans celui-ci, elle a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Gand et énoncé qu’il ressort des paragraphes 4 et 5 de l’article 24 que, pour la fixation de l’indemnité complémentaire d’aide de tiers, aucun montant fixe n’est déterminé. La loi prévoit que l’indemnité variera en fonction du R.M.M.M.G. à la date de la consolidation. Elle ne fixe cependant aucun critère en ce qui concerne le calcul de cette indemnité complémentaire, laissant au juge le soin de décider du montant à l’intérieur de limites déterminées. Il ne suit pas de ces dispositions que le montant maximal de l’indemnité est réservé à la victime qui a le plus grand besoin d’aide. Rien n’empêche, selon la Cour, que, lors de la fixation de cette indemnité complémentaire, il soit tenu compte des frais réels ou de la durée de l’aide de tiers.


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