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Evaluation des facteurs socio-économiques en maladies professionnelles

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 3 septembre 2020, R.G. 2019/AN/133

Mis en ligne le vendredi 30 avril 2021


Cour du travail de Liège (division Namur), 3 septembre 2020, R.G. 2019/AN/133

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 septembre 2020, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 11 septembre 2006, qui a précisé les critères d’évaluation des facteurs socio-économiques en tant qu’éléments de réparation du dommage consécutif à une maladie professionnelle.

Les faits

Une agente d’un C.P.A.S. introduit une demande d’indemnisation d’une maladie professionnelle. Celui-ci admet une incapacité temporaire de quelques mois, ainsi qu’une I.P.P. de 7%, fixant la date du début au 1er décembre 2010.

L’intéressée conteste cette décision et introduit une procédure, afin d’entendre majorer le taux de l’incapacité permanente.

Le Tribunal du travail de Liège (division Namur) désigne un expert et entérine ultérieurement ses conclusions, fixant le taux d’I.P.P. à 14%. Il s’agit de 7% de facteurs physiques et de 7% de facteurs socio-économiques.

FEDRIS forme alors tierce opposition contre ce jugement, sollicitant que le taux des facteurs socio-économiques soit ramené à 2%.

Le tribunal statue sur cette tierce opposition par jugement du 4 juin 2019, concluant à sa recevabilité mais à son non-fondement.

FEDRIS interjette appel de ce jugement. L’Agence sollicite à titre principal que le taux global soit de 7% et à titre subsidiaire que des facteurs socio-économiques soient retenus à concurrence de 2%.

Le C.P.A.S. suit la thèse de FEDRIS, sollicitant par voie d’appel incident d’être garanti par l’Agence de toute condamnation qui serait prononcée contre lui.

La travailleuse conteste la recevabilité de la tierce opposition de FEDRIS. Subsidiairement, sur le fond, elle sollicite la confirmation du jugement.

La position des parties devant la cour

La cour reprend la position de chacune des parties, étant FEDRIS, le C.P.A.S. et la travailleuse.

FEDRIS conteste la méthode d’évaluation de l’expert, qui a « doublé » le taux d’incapacité physique. Subsidiairement, elle estime que, vu les circonstances de la cause, un taux de 2% se justifie, et ce eu égard à l’âge de l’intéressée, sa formation, son taux d’incapacité physique, l’absence de cessation d’activités, etc.

Sur son intérêt à agir, FEDRIS considère qu’étant tenue au remboursement des sommes dues par le C.P.A.S. et étant chargée d’instruire les demandes de réparation (avec la faculté de prendre des décisions de révision), cet intérêt existe.

Le C.P.A.S. suit la position de FEDRIS sur la recevabilité, la tierce opposition se justifiant afin d’éviter une contrariété de décisions (le C.P.A.S. étant tenu par le jugement du tribunal). Sur le fond, il s’en réfère à la position de l’Agence.

Pour la victime, si FEDRIS est tenue, par l’article 24 de l’arrêté royal du 21 janvier 1993, de rembourser au C.P.A.S. les sommes dues suite à une décision judiciaire définitive, l’Agence n’est cependant pas autorisée à contester ces remboursements. Elle est dès lors sans intérêt à former tierce opposition. Elle ne peut davantage prendre fait et cause pour le C.P.A.S. et faire de ce fait renaître une contestation en faveur de celui-ci. Elle souligne qu’elle-même ne peut former une action directement contre FEDRIS et que l’Agence n’a dès lors pas d’intérêt à contester la décision intervenue. Elle renvoie à l’article 16, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1967, qui dispose que la victime et le réassureur de l’employeur n’ont pas d’action l’un contre l’autre. Sur le fond, elle demande la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour examine d’abord la recevabilité de la tierce opposition, renvoyant à l’article 16, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1967 d’une part et à l’article 24, § 1er, de l’arrêté royal du 21 janvier 1993 de l’autre. En vertu du mécanisme légal, les C.P.A.S. supportent la charge des rentes, allocations et indemnités accordées aux membres de leur personnel en application de la loi. L’arrêté royal du 21 janvier 1993 dispose par ailleurs en son article 24 que les rentes, indemnités et frais sont payés directement à la victime ou à ses ayants droit par l’administration ou l’établissement et récupérés directement et trimestriellement par lui auprès de FEDRIS. Le remboursement par FEDRIS est limité en cas de procédure au montant résultant du jugement ou de l’arrêt passé en force de chose jugée.

Le système prévoit ainsi le paiement par le C.P.A.S. et le remboursement par FEDRIS.

Dans la mesure où l’Agence est l’institution qui supporte la charge financière finale des indemnités, elle a intérêt à en contester la débition et le montant, en ce compris en faisant tierce opposition. L’article 24 ne prive pas FEDRIS de la possibilité de tenter d’obtenir qu’une décision judiciaire soit conforme à son intérêt. La cour renvoie encore à l’article 16, alinéa 2, invoqué par la travailleuse, précisant que cette disposition vise le réassureur privé de l’employeur public et non FEDRIS. La tierce opposition est dès lors recevable.

En ce qui concerne son fondement, la cour rappelle que le degré d’incapacité permanente représente la perte ou la diminution de potentiel économique de la victime sur le marché général du travail, renvoyant ici à un arrêt de la Cour de cassation du 11 septembre 2006 (Cass., 11 septembre 2006, n° S.05.0037.F). Les critères retenus pour l’appréciation du dommage sont non seulement l’incapacité physiologique, mais également l’âge, la qualification professionnelle, la faculté d’adaptation, la possibilité de rééducation professionnelle et la capacité de concurrence sur le marché général de l’emploi. Si la reconnaissance de l’incapacité permanente suppose l’existence d’une incapacité physiologique, le taux de celle-ci n’est cependant pas déterminant pour évaluer le degré de l’incapacité permanente globale.

La question est en l’espèce de savoir si le taux d’incapacité physiologique doit être majoré et dans quelle mesure.

La cour rejette la position de FEDRIS, qui estime que le taux de 7% inclut à la fois l’incapacité physiologique et les facteurs socio-économiques, renvoyant au texte du rapport d’expertise.

Elle motive ensuite, eu égard aux critères légaux, le taux de 7% de facteurs socio-économiques. Elle se fonde sur l’âge de l’intéressée (49 ans, âge qui limite le marché du travail accessible ainsi que les possibilités de reconversion et qui augmente également l’impact des limitations médicales dues à la maladie), le niveau de formation relativement limité (étant les études et une faible formation, sans réelle expérience professionnelle), l’expérience professionnelle limitée à des travaux manuels (femme d’ouvrage, repasseuse) et la nature des lésions (douleurs épicondyliennes, perte de force, etc.) en lien avec les professions exercées et susceptibles de l’être encore.

Enfin, l’Agence faisant valoir que l’intéressée a conservé une activité professionnelle, la cour souligne que celle-ci a été réduite à temps partiel, réduction qui est en lien de causalité avec la maladie, comme l’expert l’a souligné.

La contestation de l’Agence est dès lors non fondée.

Intérêt de la décision

Sur le plan procédural, la cour rappelle que, dans la mesure où, dans le secteur public, FEDRIS est tenue de prendre en charge le remboursement au C.P.A.S. des rentes, indemnités et frais payés directement à la victime par lui, l’Agence a un intérêt à contester le montant de cette charge financière, étant ainsi autorisée à former tierce opposition. Le C.P.A.S. aurait, par conséquent, eu intérêt à l’appeler directement à la cause. C’est à défaut pour lui de ce faire que l’Agence a été tenue, dans la mesure où elle contestait les termes du jugement, de former tierce opposition à celui-ci.

Sur le fond, la cour rappelle l’articulation entre les deux types d’incapacité retenus pour l’évaluation du taux d’I.P.P. dans le secteur des maladies professionnelles. Un arrêt déterminant avait été rendu par la Cour de cassation à cet égard en date du 11 septembre 2006. La Cour de cassation y avait accueilli un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 3 mars 2003, qui avait réduit le taux des facteurs socio-économiques retenu par les experts judiciaires, au motif que celui-ci était plus élevé que le taux d’invalidité physiologique.

Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle d’abord les critères d’évaluation de l’étendue du dommage, étant que celle-ci se fait non seulement en fonction de l’incapacité physiologique mais également en fonction de l’âge, de la qualification professionnelle, de la faculté d’adaptation, de la possibilité de rééducation professionnelle et de la capacité de concurrence de la victime sur le marché général de l’emploi, critères qui ont été repris par la Cour du travail de Liège dans l’arrêt annoté.

La Cour de cassation poursuivait, dans son arrêt du 11 septembre 2006, que, si la reconnaissance d’une incapacité permanente de travail suppose l’existence d’une incapacité physiologique, le taux de cette dernière ne constitue toutefois pas nécessairement l’élément déterminant pour évaluer le degré de l’incapacité permanente, principe également présent dans l’arrêt de la Cour du travail de Liège.

La Cour de cassation a ensuite critiqué la décision de la Cour du travail de Bruxelles, au motif que, pour fonder sa décision de réduire à 20% le taux d’incapacité permanente de travail, évalué par les experts et les premiers juges à 39%, elle érige en règle que « l’incapacité physique de travail est la part déterminante de l’incapacité (permanente) de travail » et que « l’incapacité de travail due aux facteurs socio-économiques varie, de manière significative, selon l’importance de cette incapacité physique », violant ainsi l’article 35 des lois coordonnées du 3 juin 1970.

L’incapacité physiologique est dès lors indispensable pour qu’il y ait incapacité permanente, mais elle ne constitue pas l’élément déterminant de l’évaluation et, par ailleurs, celle relative aux facteurs socio-économiques ne peut être fixée en tenant compte du taux de cette incapacité physique, puisque les critères de ces facteurs socio-économiques sont spécifiques et liés en gros à la capacité de concurrence de la victime sur le marché du travail, traduite par ses possibilités de continuer à gagner sa vie par son travail.


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