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Maladie professionnelle : conditions de l’allocation forfaitaire pour cessation de l’activité professionnelle

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 14 octobre 2020, R.G. 2019/AL/562

Mis en ligne le jeudi 29 avril 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 14 octobre 2020, R.G. 2019/AL/562

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 octobre 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend les conditions de l’écartement définitif de l’activité professionnelle nocive ainsi que ses règles d’indemnisation et de cumul avec l’allocation pour incapacité permanente de travail.

Les faits

Un assuré social introduit une demande de révision en aggravation des séquelles d’une maladie professionnelle qui a été reconnue, étant une maladie de la liste (affection lombaire). Cette demande est introduite en septembre 2014.

FEDRIS prend une décision le 9 mai 2016. Par celle-ci, il reconnaît une aggravation et porte le taux d’indemnisation initial de 4% (3% + 1%) à un total de 8% (7% + 1%).

L’intéressé conteste l’absence de modification du taux des facteurs socio-économiques, maintenu à 1%. Il sollicite 7% de ce chef.

Il demande également une rente d’écartement, ayant marqué son accord avec une proposition de FEDRIS de cessation définitive de toute activité l’exposant au port de charges lourdes et aux vibrations mécaniques transmises par le siège. Il a bénéficié d’un poste adapté depuis le 1er mars 2016, poste admis par FEDRIS, qui a octroyé une allocation forfaitaire de 90 jours en sus du taux d’incapacité permanente partielle.

La décision du tribunal

Par jugement du 7 juin 2019, le Tribunal du travail de Liège a partiellement fait droit à la demande de révision pour aggravation, retenant un taux total de 11%, ceci vu la majoration des facteurs socio-économiques, qui ont été portés à 4%. L’allocation forfaitaire de 3 mois (ayant débuté le lendemain de l’accord de l’intéressé sur la proposition d’écartement) est admise par le tribunal, qui, au total, va fixer le taux d’I.P.P. à 18%, ajoutant 7% suite à l’écartement à dater de la fin de la période des 90 jours ci-dessus.

FEDRIS interjette appel.

La position des parties devant la cour

L’objet de l’appel de FEDRIS porte sur le taux d’I.P.P., qu’elle estime devoir être fixé à un total de 11% et non de 18%. FEDRIS conteste également la fin de la période de 3 mois (estimant qu’elle se terminait un jour avant la date retenue par le tribunal).

L’intimé forme pour sa part un appel incident, demandant que le taux retenu (18%) coure à partir du 1er mars 2016 et non du 6 octobre 2017. La date du 1er mars 2016 est celle à laquelle il a bénéficié d’un poste adapté. Le 6 octobre 2017 est la date à laquelle il a marqué accord sur la proposition de FEDRIS.

La décision de la cour

La cour rappelle le cadre légal, étant que l’article 37, § 1er, des lois coordonnées du 3 juin 1970 prévoit que FEDRIS peut proposer, si elle le juge nécessaire, à toute personne atteinte ou menacée par une maladie professionnelle de s’abstenir, soit temporairement, soit définitivement, de toute activité qui puisse l’exposer au risque de celle-ci et de cesser temporairement ou définitivement l’activité exercée. Est considéré comme menacé par une maladie professionnelle le travailleur chez qui est constatée une prédisposition à celle-ci ou l’apparition des premiers symptômes.

Si la cessation temporaire est acceptée et qu’un travail adapté est fourni, des indemnités sont prévues à l’article 34bis ou, à défaut de possibilité de poste adapté, à l’article 34. S’il y a cessation définitive, l’intéressé a droit, pendant une période de 90 jours suivant le premier jour de celle-ci, à une allocation forfaitaire. Cette dernière allocation correspond aux indemnités d’incapacité permanente totale.

En vertu de l’article 38, § 1er, si la victime est en incapacité temporaire et qu’elle cesse définitivement toute activité, cette incapacité temporaire est considérée comme permanente et évaluée comme telle à l’expiration de la période de 90 jours (la cour renvoyant ici à P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, Larcier, 2015, pp. 175 et ss., pour la personne qui n’est pas atteinte d’une incapacité).

Ces dispositions ont un but préventif et l’écartement effectif ne doit en conséquence pas être examiné eu égard à la situation socio-professionnelle de la personne au moment de l’examen de la mesure mais bien au regard du but de celle-ci, qui est d’ordre purement médical et est une mesure de prévention. Le dommage indemnisable n’est pas une incapacité effective mais virtuelle et la cour souligne (en renvoyant au Guide social permanent – Sécurité sociale : commentaires Partie I – Livre V, titre IV, chapitre III – p. 3560) que l’allocation forfaitaire vise à permettre au travailleur qui a accepté la proposition de cessation définitive de chercher un autre emploi ou de couvrir certaines dépenses devant faciliter cette mutation.

De par son caractère forfaitaire, elle est due indépendamment du fait que l’intéressé trouve immédiatement cet emploi, ne devant pas être, par ailleurs, nécessairement en état de chômage à ce moment.

Elle porte sur les 90 jours suivant le jour de la cessation définitive. Elle ne prend dès lors pas cours le jour où le travailleur accepte la proposition d’écartement mais le lendemain du jour de cette cessation, même si elle est antérieure à l’acceptation de la proposition de FEDRIS.

La cour souligne que l’interprétation que FEDRIS donne de la disposition, étant l’exigence d’une cessation effective postérieure à la proposition émise par elle et acceptée par le travailleur, aboutit à exclure ceux qui ont de facto cessé le travail qui les expose au risque professionnel avant l’introduction d’une demande d’écartement ou la réception d’une proposition. Pour la cour, ceci est contraire à l’objectif préventif de la mesure. FEDRIS peut faire cette proposition, que la cessation soit antérieure ou non. Il suffit qu’elle soit définitive, la situation pouvant être contrôlée rétroactivement.

En cas de réadaptation, la période de 90 jours prendra cours le lendemain du jour où celle-ci se termine. Il y a dès lors deux dates de prise de cours de l’allocation, s’agissant de deux hypothèses distinctes.

La cour en vient ensuite aux principes de la réparation de l’incapacité permanente dans le cadre des lois coordonnées, rappelant les critères d’appréciation, étant qu’à côté de l’atteinte à l’intégrité physique, il y a lieu de tenir compte de facteurs socio-économiques (condition, formation au regard du marché général de l’emploi et facteurs propres, étant l’âge, la qualification professionnelle, la faculté d’adaptation, la possibilité de rééducation professionnelle et la capacité de concurrence). Un critère indifférent est la possibilité d’adaptation du poste de travail en fonction du handicap.

La cour se penche ensuite sur le critère de l’âge, qui est pris en compte (comme en accident du travail) en ce qu’il a de l’influence sur les capacités concurrentielles et non dans sa dimension d’accès effectif au marché du travail compte tenu de la conjoncture économique générale. En conséquence, plus l’âge avance, plus ce critère interviendra dans l’appréciation de l’incapacité de travail, dès lors que la faculté d’adaptation, de rééducation professionnelle et la capacité de concurrence se réduisent avec celui-ci. La cour renvoie ici à la doctrine de P. DESAIVE et M. DUMONT (P. DESAIVE et M. DUMONT, « L’incapacité, l’invalidité et l’appréciation de la perte d’autonomie en sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants ainsi qu’en risques professionnels. Comment évaluer l’aspect médical ? », Regards croisés sur la sécurité sociale, C.U.P., 2012, Anthémis, pp. 352 et ss.). Interviennent dans le dommage réparable les efforts accrus que la victime doit fournir à la suite de sa remise au travail.

En l’espèce, la cour fait droit à la demande de l’intimé, qui a sollicité d’anticiper la date de prise de cours de l’allocation forfaitaire équivalente aux indemnités d’incapacité permanente totale de travail. En effet, il est atteint de la maladie professionnelle, ce qui n’est pas contesté, et une mesure d’écartement définitif lui a été proposée, mesure qu’il a acceptée. N’étant pas dans l’hypothèse où il y a réadaptation professionnelle, l’allocation forfaitaire prend cours le lendemain de la cessation définitive de l’activité nocive, étant la date à laquelle il a eu un poste adapté, situation que FEDRIS a pu vérifier.

La cour en vient ensuite au cumul de l’allocation forfaitaire avec l’indemnité pour incapacité permanente partielle, soulignant que l’allocation forfaitaire indemnise un dommage distinct de celui qui est couvert par l’allocation d’incapacité permanente de travail. Ce dommage distinct est indemnisable sur la base de l’article 31 des lois coordonnées, l’allocation forfaitaire étant quant à elle due que la personne soit atteinte ou non d’une maladie professionnelle : il suffit qu’elle soit menacée.

FEDRIS soutenant la thèse du non-cumul, la cour répond que ceci revient à suspendre pendant 90 jours l’indemnisation de la maladie professionnelle de la personne qui est, par ailleurs, écartée et qu’il y a ainsi indemnisation identique de deux personnes se trouvant dans des situations différentes. Le mode de calcul forfaitaire de l’allocation ne modifie pas le dommage couvert, qui est totalement distinct. Il s’agit de couvrir la démarche de recherche d’un autre emploi ou de couvrir des dépenses qui doivent faciliter cette mutation professionnelle.

Ce qui ne pourrait par contre se cumuler serait deux indemnités réparant la cessation définitive de l’activité professionnelle, étant (i) l’allocation forfaitaire prévue à l’article 38, § 3, et (ii) l’indemnité pour incapacité considérée comme permanente à l’expiration de la période de 90 jours prévue par l’article 38, § 1er, qui vise la situation de la victime atteinte d’une incapacité temporaire, qui cesse définitivement toute activité (celle-ci étant considérée comme permanente par la loi).

N’est pas visé le cumul avec l’allocation annuelle déterminée d’après le taux de l’I.P.P. (article 35 de la loi) avec l’allocation forfaitaire.

L’intéressé a dès lors droit au paiement des indemnités légales, en ce compris pendant la période de 90 jours.

Enfin, la cour admet une aggravation due à la cessation définitive de l’activité nocive, celle-ci portant sur tout métier exposant l’intéressé au port de charges lourdes et aux vibrations mécaniques transmises par le siège. C’est un élément à apprécier dans le taux des facteurs socio-économiques à retenir dans le cadre de la révision. Le marché général de l’emploi potentiellement accessible s’est considérablement restreint pour l’intéressé et la cour porte, dès lors, à partir de la modification des fonctions (poste adapté), le taux à 13%, étant 7% d’invalidité physiologique et 6% de facteurs socio-économiques.

Intérêt de la décision

La cour du travail a rappelé dans cet arrêt le caractère préventif de la mesure d’écartement temporaire ou définitif de l’activité professionnelle.

La cessation de travail constitue à elle seule un dommage réparable, et ce indépendamment de l’indemnisation découlant de l’incapacité de travail. Elle est forfaitaire et la cour a encore rappelé ici qu’elle est due indépendamment du fait que l’intéressé trouve immédiatement un nouvel emploi.

Elle souligne également que la cessation effective ne doit pas être postérieure à la proposition de FEDRIS, ce qui reviendrait à exclure les travailleurs qui ont de facto cessé le travail les exposant à une influence nocive avant l’introduction de la demande ou la réception d’une proposition de FEDRIS, ce qui, pour la cour, est contraire à l’objectif préventif de la mesure. Cette proposition peut en effet être faite que la cessation soit antérieure ou non. Il suffit qu’elle soit définitive.

La cour a développé, par ailleurs, les principes en matière de réparation, dans lesquels elle a insisté sur l’importance de l’âge, qui restreint les facultés d’adaptation, la possibilité de rééducation professionnelle ainsi que la capacité de concurrence.


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