Terralaboris asbl

Personnel de direction et de confiance : droit à des heures supplémentaires ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 décembre 2020, R.G. 2016/AB/334

Mis en ligne le jeudi 29 avril 2021


Cour du travail de Bruxelles, 2 décembre 2020, R.G. 2016/AB/334

Terra Laboris

Par arrêt du 2 décembre 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’interprétation de l’arrêté royal du 10 février 1965 définissant la notion de personnel de direction ou de confiance doit se faire dans le respect de la Directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.

Les faits

Un employé est engagé en 1980 par une A.S.B.L. communale à finalité sportive. Ses fonctions vont évoluer pour occuper celles de directeur général en 1993. Il est chargé d’assurer la gestion du centre sportif à partir de ce moment. Un nouveau contrat de travail a certes été conclu, mais celui-ci ne fait aucune mention d’une durée de travail ou d’un horaire de travail. Ses fonctions, telles que précisées ultérieurement, portent sur la préparation des conseils d’administration, des assemblées générales, les relations avec l’administration des contributions et les autorités publiques, etc., s’agissant toutes de fonctions de nature administrative.

Il est licencié en 2015 avec préavis de 26 semaines.

Il réclame aussitôt, par la voie de son conseil, une indemnité de stabilité d’emploi ainsi que des arriérés de rémunération pour heures supplémentaires.

Par jugement du 15 décembre 2015, le tribunal du travail fait droit à la demande d’indemnité de stabilité d’emploi. Il réserve à statuer sur les autres chefs de demande.

Appel est interjeté par l’employeur et un premier arrêt a été rendu le 28 juin 2016, confirmant le jugement dans toutes ses dispositions. Reste dès lors à examiner la question des arriérés de rémunération.

La position de la cour

La cour procède à un imposant rappel des règles de droit interne. Son examen part de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, avec les dispositions concernant le repos du dimanche. Le travail ce jour est interdit, sauf dans les entreprises ou pour l’exécution des travaux désignés par le Roi. Des jours de repos compensatoire sont prévus (article 16).

Pour ce qui est de la durée du travail elle-même, la loi prévoit dans sa section 2 que celle-ci ne peut excéder 8 jours par jour ni 40 heures par semaine (article 39), cette limite quotidienne pouvant être portée à 9 heures si le régime de travail comporte par semaine un demi-jour, un jour ou plus d’un jour de repos, autre que le dimanche (article 20). Le dépassement de ces limites est autorisé par convention collective de travail conclue conformément à la loi du 5 décembre 1968 ou par règlement de travail (article 20bis).

La cour reprend ensuite les dispositions relatives à la rémunération des heures supplémentaires (article 29, §§ 1er, 2 et 4). Une convention collective de travail peut autoriser le remplacement du sursalaire dû (50 ou 100%, selon le cas) par un repos compensatoire complémentaire. Dans le cadre d’une telle convention, toute heure supplémentaire donnant lieu au paiement d’un sursalaire à 50% ouvre le droit à un repos d’au moins une demi-heure. Toute heure donnant lieu au paiement d’un sursalaire de 100% ouvre le droit à un repos d’au moins une heure.

Ces règles ont été appliquées au secteur socio-culturel par un arrêté royal du 16 juin 1999, permettant des dérogations. La durée hebdomadaire de travail peut être dépassée à condition que, sur la base d’une période d’un semestre, elle ne dépasse pas en moyenne la durée du travail fixée par la loi ou la C.C.T. Le règlement de travail doit fixer le début et la fin de la période de référence. A défaut, l’arrêt royal le fait (1er février – 31 juillet et 1er août – 31 janvier). Le maximum est de 11 heures par jour et de 50 heures par semaine. Ceci ne s’applique qu’aux travailleurs exerçant des activités déterminées par C.C.T. conclue dans le secteur. Des dispositions sont également prévues autorisant le travail du dimanche et des jours fériés ainsi qu’organisant le repos compensatoire.

Une convention collective sectorielle a été conclue le 25 octobre 1999 (modifiée le 25 mars 2005), fixant la durée hebdomadaire du travail à 38 heures. Le sursalaire dû pour le travail supplémentaire peut être converti en repos compensatoire, la C.C.T. reprenant les termes de l’arrêté royal. De même, une compensation est prévue pour le travail effectué en-dehors du temps habituel de travail (20% par heure). Cette compensation peut également être convertie en repos compensatoire.

La cour relève que sont cependant exclus du champ d’application de la C.C.T. les travailleurs investis d’un poste de direction ou de confiance (de même d’ailleurs que de certaines dispositions de la loi du 16 mars 1971). Elle reprend les dispositions de l’arrêté royal du 10 février 1965 désignant les personnes investies d’un poste de direction ou de confiance et en donne la liste, précisant que, même si celle-ci n’a pas été actualisée à l’évolution des métiers et qu’il faut pouvoir tenir compte d’une certaine évolution et ne pas s’arrêter aux seules fonctions énoncées dans l’arrêté royal, l’interprétation de la notion doit être restrictive, s’agissant d’une dérogation à une législation d’ordre public.

En outre, précise-t-elle, l’interprétation à donner à cet arrêté royal doit se faire dans le respect de la Directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003. Celle-ci permet en effet, en son article 17, aux Etats de déroger à la durée maximale hebdomadaire de travail, notamment pour les cadres dirigeants ou autres personnes ayant un pouvoir de décision autonome.

Ce rappel complet des règles étant fait, la cour examine la demande de l’intéressé, qui fait valoir qu’il a effectué des heures supplémentaires de garde les samedis, dimanches et jours fériés, heures qu’il évalue à 10,5 heures de prestations pour une moyenne de 40 jours par an, ce qui est contesté par l’A.S.B.L.

Pour la cour, la preuve de l’obligation d’accomplir un temps de travail déterminé par semaine n’est pas établi (ni par le contrat ni par le règlement de travail). A supposer même que ce temps de travail soit prouvé, la cour estime que l’intéressé ne peut revendiquer le bénéfice de la section 2 de la loi sur le travail, étant investi d’un poste de direction.

Tout en relevant qu’il n’est pas interdit aux parties à un contrat de travail de se mettre d’accord pour accorder un sursalaire à un travailleur exclu de la section 2 du chapitre 3 de la loi sur le travail et qui effectue des heures supplémentaires, elle précise que c’est à l’intéressé d’établir la source sur la base de laquelle il pourrait prétendre au paiement d’un sursalaire, ce qu’il reste en défaut de faire.

L’A.S.B.L. ayant de son côté introduit une demande de dommages et intérêts pour abus de droit au motif d’une procédure vexatoire, la cour rejette celle-ci, estimant que l’abus de droit n’est pas démontré.

Elle statue enfin, de manière circonstanciée, sur les dépens, rappelant qu’en vertu de l’article 1017, alinéa 4, du Code judiciaire, le juge peut compenser les dépens si les parties succombent respectivement sur quelque chef. Ainsi, si une partie n’obtient pas totalement gain de cause. La compensation est également possible si, en présence d’une seule demande qui sera rejetée, le défendeur se voit débouté de l’un des moyens de défense qu’il aurait soulevés. En l’espèce, l’intéressé a eu gain de cause aux deux degrés de juridiction sur l’indemnité de stabilité d’emploi. Il succombe sur la question des arriérés de rémunération. La cour conclut que l’A.S.B.L. doit supporter ses propres dépens de première instance et d’appel ainsi que 50% des dépens des deux instances du demandeur originaire.

Intérêt de la décision

La cour a rappelé le caractère restrictif de l’énumération de l’arrêté royal du 10 février 1965, qui désigne les personnes investies d’un poste de direction ou de confiance dans les secteurs privés de l’économie nationale.

Tout en soulignant que la liste est restée inchangée depuis 1965, la cour a appelé à une interprétation restrictive de la notion, s’agissant d’une mesure dérogatoire à une législation d’ordre public, tout en précisant qu’il faut tenir compte d’une certaine évolution et ne pas s’arrêter aux seules fonctions reprises dans l’arrêté royal.

Le contrat de travail (ou autres sources de droit opposables aux parties) ne précisait, en l’espèce, aucun horaire quant aux prestations, ni aucune durée hebdomadaire.

Il appartient, dès lors, au travailleur, qui est demandeur de paiement de sommes, d’établir la base de sa réclamation. La cour a constaté que la rémunération du travailleur, fixée globalement, était très élevée, et particulièrement pour un club sportif, cherchant ainsi à déterminer la commune volonté des parties lorsqu’elles ont fixé la rémunération par rapport à la fonction exercée.

Dans une espèce tranchée le 25 octobre 2019, la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 25 octobre 2019, R.G. 2018/AL/648), s’est également penchée sur le montant de la rémunération convenue, eu égard au travail faisant l’objet du contrat. Elle a considéré à cet égard que si le principe d’exécution de bonne foi des conventions, s’il s’oppose à ce qu’un travailleur occupant une fonction de direction ou de confiance et payé comme tel réclame un sursalaire pour les prestations qui font partie de sa fonction, il permet néanmoins à l’intéressé de réclamer une indemnisation sur la base de l’article 1135 du Code civil lorsque la rémunération convenue est sans commune mesure avec ce que justifie la fonction exercée, le caractère modeste du montant de la rémunération pouvant, à ce titre, indiquer que le contrat couvre uniquement une variabilité modérée des prestations, tandis qu’une rémunération suffisamment élevée peut laisser supposer qu’une plus grande variabilité des prestations a été convenue entre parties.

Cette même considération se retrouve dans un précédent arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 20 décembre 2016, R.G. 2014/AB/912), selon lequel le principe d’exécution de bonne foi des conventions s’oppose à ce qu’un travailleur, qui occupe une fonction de direction et est payé comme tel, puisse réclamer un sursalaire pour les prestations que sa fonction exige. Néanmoins, la bonne foi avec laquelle doivent être exécutées les obligations contractuelles est violée si la rémunération convenue est sans commune mesure avec ce que justifie la fonction en termes d’heures de travail, ce qui ouvre au travailleur le droit de réclamer une indemnisation sur la base de l’article 1135 du Code civil.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be