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Rémunération du temps de déplacement domicile – clientèle

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 octobre 2020, R.G. 2015/AB/1.134

Mis en ligne le jeudi 29 avril 2021


Cour du travail de Bruxelles, 21 octobre 2020, R.G. 2015/AB/1.134

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 octobre 2020, la Cour du travail de Bruxelles reprend la jurisprudence TYCO de la Cour de Justice de l’Union européenne et fixe, à défaut de dispositions contraires, la rémunération à prendre en compte sur la base de la rémunération globale (fixe et variable) du travailleur.

Rétroactes

Un employé, travaillant aussi bien en clientèle qu’en « home working », a postulé des arriérés de rémunération.

Plusieurs arrêts ont été rendus par la cour du travail, qui ont balisé les contours de la réclamation pouvant être admise en ce qui concerne les arriérés postulés.

Reste à déterminer la rémunération du temps de déplacement entre le domicile et les clients (et vice-versa), ce que fait la cour du travail dans l’arrêt annoté.

La décision de la cour

La cour renvoie à l’arrêt TYCO de la Cour de Justice du 10 septembre 2015. Selon celui-ci, le droit national peut rémunérer différemment le temps de travail tel que défini par la Directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003. L’on peut ainsi prévoir des barèmes différents pour les heures de travail effectif et pour les heures de trajet, et ce même s’il s’agit de temps de travail dans les deux cas.
Le droit belge n’a rien décidé sur la question pour ce qui est de la rémunération du temps consacré par un travailleur aux déplacements en voiture entre son domicile et ses clients.

La cour constate qu’en l’espèce, le contrat de travail n’a rien précisé non plus. Il a exclu de la notion de temps de travail le temps passé en déplacement, mais elle a rejeté ceci dans un précédent arrêt.

La cour écarte en premier lieu le renvoi fait par l’employeur à l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 20 janvier 2020 (C. trav. Bruxelles, 20 janvier 2020, R.G. 2012/AB/592), décision qui a statué sur les périodes d’astreinte d’un pompier, étant les périodes pendant lesquelles celui-ci reste à domicile dans l’attente d’une alerte éventuelle. Pour ce cas, existe un statut pécuniaire et la cour relève d’une part que l’intéressé n’est pas concerné par ce statut et que, de l’autre, la jurisprudence n’est pas unanime sur la manière de rémunérer le temps de garde à domicile des pompiers.

L’hypothèse du temps de garde ne peut être comparée avec les périodes pendant lesquelles un employé, tel que l’intéressé, effectue des déplacements en voiture entre son domicile et sa clientèle. Même si les contraintes imposées aux pompiers pendant ces périodes d’astreinte son importantes, ils ont néanmoins une possibilité d’effectuer certaines activités dans l’attente d’un appel. L’employé n’a par contre, pendant ses déplacements en voiture, aucune possibilité de disposer librement de son temps et de se consacrer à ses propres intérêts.

Si l’employé était parfois en « stand-by », cette situation n’est pas davantage comparable, dans la mesure où il conservait alors une certaine possibilité de se livrer à d’autres activités.

L’intéressé percevant une rémunération fixe et une rémunération variable, la cour retient que c’est l’ensemble de celle-ci qui doit être prise en compte pour la rémunération de ce temps de déplacement.

La cour fait dès lors droit à la demande de paiement de rémunération sur la base de la rémunération complète.

Intérêt de la décision

Dans ce bref arrêt, la cour ne doit plus trancher que la rémunération de référence à prendre en compte pour le temps de déplacement entre le domicile du travailleur et la clientèle.

Ce point a été souvent débattu, la Directive n° 2003/88/CE ne réglant pas la question de la rémunération du temps considéré comme temps de travail. Celle-ci se borne en effet à définir ce qu’il y a lieu d’entendre par « temps de travail », laissant aux Etats le soin de légiférer sur le montant de la rémunération à prendre en compte. En conséquence, une rémunération différente peut exister pour les prestations de travail effectives et pour certaines périodes considérées comme temps de travail.

Dans un arrêt du 6 novembre 2019 (C. trav. Bruxelles, 6 novembre 2019, R.G. 2016/AB/1.075), la Cour du travail de Bruxelles a jugé à ce propos que la notion de temps de travail doit être examinée à la lumière du droit européen et du droit national. La Directive n° 2003/88/CE a donné lieu à divers arrêts (DELLAS, VOREL et GRIGORE), qui ont posé le principe qu’il n’y a pas de catégorie intermédiaire entre les périodes de travail et celles de repos.

Pour ce qui est des déplacements du travailleur de son domicile chez le client, le fait que l’employeur a la possibilité de faire appel au travailleur et que celui-ci ne peut pas se soustraire suffit pour qu’il s’agisse de temps de travail. Elle a ainsi fait renvoi à la jurisprudence TYCO (C.J.U.E., 10 septembre 2015, Aff. n° C-266/14, FEDERACIÓN DE SERVICIOS PRIVADOS DEL SINDICATO COMISIONES OBRERAS (CC.OO.) c/ TYCO INTEGRATED SECURITY SL, TYCO INTEGRATED FIRE & SECURITY CORPORATION SERVICIOS SA), ainsi qu’elle le fait également dans l’arrêt commenté.

Dans l’affaire TYCO, la Cour de Justice a considéré que, si les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du temps de travail, au sens de l’article 1, point 2, de la Directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par l’employeur (en l’espèce, techniciens disposant d’un véhicule de fonction et s’occupant de maintenance de systèmes de sécurité chez des particuliers et dans des établissements industriels et commerciaux).

La question de savoir si le temps de déplacement doit être considéré comme temps de travail a fait l’objet de discussions en jurisprudence. Il ne semble, aujourd’hui, plus contesté que le fait que l’employeur a la possibilité de faire appel au travailleur et que celui-ci ne peut pas se soustraire est suffisant pour qu’il s’agisse de temps de travail. La Cour du travail d’Anvers (C. trav. Anvers, div. Anvers, 17 avril 2018, R.G. 2017/AA/141) a ainsi confirmé que la notion de temps de travail ne va pas nécessairement de pair avec le travail effectif et qu’elle est plus large que celle de « durée du travail réelle ».

La question d’une rémunération différenciée n’est plus contestée non plus, ayant été visée dans l’arrêt DELLAS de la Cour de Justice. Ainsi, la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 1er mars 2017, R.G. 2016/AL/93) a-t-elle pu considérer, en application de cette jurisprudence, que s’il est exact que l’arrêt DELLAS n’exclut pas qu’une rémunération différenciée puisse être payée pour des temps de travail durant lesquels les prestations effectives de travail sont réduites ou inexistantes, il appartient au législateur national de déterminer les périodes de temps de travail et les secteurs d’activité auxquels pourrait être appliqué un mode particulier de rémunération.

Dans une décision plus ancienne (C. trav. Liège, div. Liège, 15 janvier 2010, R.G. 036.261), la même cour avait conclu que sont dépourvues de base légale les conventions collectives sectorielles ou d’entreprise instaurant des primes de mobilité destinées à indemniser de manière forfaitaire les travailleurs pour les temps de trajet aller et retour entre l’entreprise et le chantier, qu’elles ne considèrent pas comme du temps de travail. En effet, la portée de la définition légale du temps de travail consacrée par l’article 19, alinéas 2 et 5, de la loi du 16 mars 1971 ne peut, conformément à l’article 19, alinéa 3, de ladite loi, être aménagée par le Roi que pour certaines entreprises ou travaux limitativement énumérés par cette loi, en sorte que les entreprises qui ne relèvent pas de ces catégories légales ne peuvent, sans violer l’article 19, alinéas 2 et 5, précité, restreindre, par le biais de primes de mobilité dont le principe et le montant sont déterminés par voie de convention collective d’entreprise, la notion légale du temps de travail en la limitant à la durée du travail effectivement accompli sur chantier.


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