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Licenciement par un C.P.A.S. et principe d’impartialité

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 11 septembre 2020, R.G. 18/3.591/A

Mis en ligne le jeudi 29 avril 2021


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 11 septembre 2020, R.G. 18/3.591/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 11 septembre 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle les contours d’un principe de droit administratif applicable dans les relations sociales entre travailleurs d’un C.P.A.S. et leur employeur, étant le principe d’impartialité, qui doit être respecté lors d’une procédure de licenciement.

Les faits

Une personne est engagée par un C.P.A.S. de la région liégeoise dans le cadre d’un contrat de remplacement en tant qu’assistante sociale en 2014. Ce contrat se transformera, au fil du temps, en contrat à durée indéterminée.

Après trois ans, l’intéressée voit ses relations professionnelles avec sa hiérarchie se détériorer. Elle tombe en incapacité de travail. Elle est, dans le cours de celle-ci, convoquée à un entretien préalable à un licenciement, lui étant reproché de l’insubordination.

Une plainte est déposée en harcèlement moral auprès de la zone de police locale et une demande d’intervention psychosociale sera introduite auprès du S.P.M.T. Arista un mois plus tard.

Lors de l’entretien qui se tiendra ensuite, il est décidé de ne pas procéder au licenciement de l’intéressée.

Cependant, quelques semaines plus tard, une nouvelle convocation lui est adressée en vue d’une audition préalable à un licenciement pour motif grave. Sont invoqués des faits constituant un manquement déontologique grave commis au préjudice d’une bénéficiaire du C.P.A.S., étant que l’intéressée serait allée visiter une maison mise en vente par cette bénéficiaire, et ce sous une fausse identité, en vue d’en obtenir un meilleur prix.

Le licenciement intervient, mais avec paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Le S.P.M.T. conclut, après le licenciement, à l’absence de harcèlement moral primaire, considérant que l’intéressée aurait plutôt été un « bouc émissaire » (et ce pour une des deux personnes contre qui la demande d’intervention avait été formée), et, de même, à l’absence de harcèlement moral primaire, la situation relevant plutôt d’un phénomène d’emprise interpersonnelle (à propos de la seconde).

Une procédure est introduite par l’intéressée, postulant diverses sommes, dont une indemnisation suite à l’irrégularité de la décision de licenciement, une indemnité de protection sur pied de l’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996 et le même montant sur pied de l’article 32decies de la loi, ainsi qu’une indemnisation pour abus de droit dans les circonstances du licenciement, une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et, enfin, des dommages et intérêts pour violation du droit au respect de sa vie privée.

Le C.P.A.S. sollicite, par voie reconventionnelle, sa condamnation à des dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire.

Position des parties devant le tribunal

La demanderesse fait grief au C.P.A.S. d’avoir violé son devoir d’impartialité, au motif que le président du Conseil de l’action sociale aurait fait preuve de partialité objective et subjective à son égard, étant juge et partie dans le litige (la plainte formelle ayant notamment été déposée contre lui et celui-ci ayant tenté d’influencer la décision à prendre par le C.P.A.S. quant au licenciement). Le C.P.A.S. considère sur cette question que le pouvoir de licencier lui appartient, sa partialité ne pouvant être remise en cause que si des faits précis sont établis dans son chef. Il fait valoir que les droits de défense ont été respectés.

Sur le harcèlement moral, la demanderesse reproche au C.P.A.S. de ne pas l’avoir tenue au courant des procédures existantes visant à protéger le travailleur alors qu’elle a appelé à l’aide dès l’année 2017, étant l’année précédant son licenciement. Elle relève un acharnement de la part de son supérieur (humiliations publiques, décrédibilisation auprès des bénéficiaires, acharnement professionnel, etc.), la violence au travail étant admise par le S.P.M.T. (le dossier de l’auditorat allant dans le même sens). Ces éléments sont contestés par le C.P.A.S., qui considère qu’il y a uniquement des déclarations unilatérales et que celles-ci ne sont pas probantes.

Pour le caractère manifestement déraisonnable du licenciement ainsi que l’abus de droit, les parties développent une argumentation fondée, en gros, sur les mêmes faits.

La décision du tribunal

Le tribunal se penche en premier lieu sur le principe général d’impartialité, dont il relève qu’il est d’ordre public (renvoyant à C.E., 19 janvier 2017, n° 237.086). Il implique, pour les organes de l’administration active, l’obligation de s’abstenir de participer à un processus décisionnel concernant des affaires auxquelles ils ont eux-mêmes un intérêt direct et personnel. Il peut aussi s’agir, selon le tribunal, d’un intérêt moral, par exemple lorsqu’un ou plusieurs membres de l’autorité investie du pouvoir de direction se sont déjà forgé leur opinion (le tribunal souligne) auparavant concernant l’affaire en question, à tel point qu’ils ne peuvent plus être considérés en état d’évaluer ou de réévaluer cette affaire en toute objectivité. L’existence d’un intérêt moral ne peut cependant être présumée, mais doit être démontrée d’après des faits précis (le tribunal souligne) ou des indications concrètes (le tribunal renvoyant ici à C.E., 17 janvier 2013, n° 222.106).

Le principe d’impartialité est violé lorsqu’une personne intervient avec un parti pris de nature à compromettre la sérénité de la décision. Un soupçon de partialité de nature à remettre en cause la décision administrative suffit, l’autorité ayant le devoir de veiller à ne pas donner l’impression de partialité. Lorsque l’autorité disciplinaire est un organe collégial, la mise en cause de son impartialité ne peut être retenue que si, d’une part, des faits précis peuvent être allégués, légalement constatés, de nature à faire planer le soupçon de partialité dans le chef d’un ou de plusieurs membres du collège et, d’autre part, si les circonstances de la cause impliquent que la partialité de ce ou ces membres a pu influencer l’ensemble de cet organe (renvoi étant ici fait à C.E., 22 mai 2018, n° 241.551).

Le tribunal souligne encore que le principe d’impartialité trouve à s’appliquer à deux niveaux, celui de l’impartialité objective (étant en cause l’impression de partialité qui peut résulter des modalités de mise en œuvre de la procédure) et l’impartialité subjective (le reproche de partialité ayant ici trait aux agissements concrets dans le cadre d’un litige, une même personne ne pouvant à la fois être juge et partie ou encore intervenir avec un parti pris susceptible de compromettre la sérénité et l’objectivité des débats et de la décision).

En matière de C.P.A.S., le secrétaire d’un C.P.A.S. qui aurait rédigé un rapport disciplinaire et assisté à la séance du Conseil de l’action sociale au cours de laquelle une sanction aurait été infligée ne peut se voir reprocher un manque d’impartialité, le grief ne pouvant se fonder sur une situation qui découle de l’application normale et obligatoire de la loi. Le fait que sa présence découle directement de la loi et que son action se limite à assister aux séances du Conseil en tant que secrétaire de ce dernier, sans voix délibérative, n’est pas de nature à compromettre l’impartialité du Conseil (renvoi ici étant fait à C.E., 7 février 2013, n° 222.420).

Le tribunal renvoie encore à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2018, R.G. 2015/AB/505), qui a considéré que la participation du secrétaire du Conseil lors de l’audition du travailleur et de la délibération subséquente (dans le cadre de l’exercice de sa mission de « secrétaire-notaire » sans voix délibérative) ne compromet pas l’impartialité du Conseil, non plus que la participation du président à cette délibération, sauf si des faits précis de nature à faire planer un soupçon de partialité dans son chef pouvaient influencer l’ensemble des membres de l’organe collégial.

En l’espèce, après avoir repris longuement les échanges entre les parties, le tribunal relève que la chronologie des événements n’est pas anodine et qu’un dossier a été construit « dare-dare » en vue d’obtenir le licenciement de l’intéressée. Le président du C.P.A.S. a manqué d’impartialité, étant juge et partie, et, de ce fait, l’intéressée a perdu la chance réelle de conserver son emploi. Le tribunal fait droit à sa demande d’indemnité, lui allouant 7.500 euros de dommages et intérêts.

Le tribunal en vient ensuite à la question du harcèlement, rappelant que celui-ci est une violence à petites touches, qui ne se repère pas mais qui est pourtant très destructrice, chaque attaque prise séparément n’étant pas vraiment grave, l’effet cumulatif des microtraumatismes fréquents et répétés constituant l’agression. Renvoi est ici fait à M.-Fr. HIRIGOYEN (M.-Fr. HIRIGOYEN, Le harcèlement moral dans la vie professionnelle, Pocket, 2001, p. 18).

L’agression peut porter sur la possibilité pour la victime de s’exprimer, sur ses relations sociales, sur la considération dont elle bénéficie, sur la qualité de sa vie professionnelle et de sa vie privée, ainsi que sur sa santé. Il y a « mobbing » dès lors que le destinataire est privé de toutes ses possibilités professionnelles et sociales, ne peut plus s’exprimer et communiquer efficacement ni maintenir de bonnes relations avec son entourage, non plus que préserver sa réputation, exercer une activité professionnelle et rester en bonne santé.

La violence au travail suppose, quant à elle, des actes ponctuels de violence (renvoyant à Bruxelles, 20 mai 2008, Dr. pen. entr., 2010, p. 151).

Les faits analysés par le tribunal ne sont, cependant, pas de nature à conclure à l’un ou à l’autre. Il ne retient pas davantage qu’une indemnité puisse être due sur pied de l’article 32tredecies de la loi.

Saisi également d’une demande de condamnation pour licenciement manifestement déraisonnable (application par analogie, s’agissant du secteur public), il rappelle que, dans l’attente d’une intervention législative, il y a lieu de se référer au droit commun en l’interprétant de façon à éviter, dans toute la mesure du possible, une différence de traitement injustifiée entre les travailleurs des deux secteurs, et ce notamment pour ce qui est de la limitation des motifs de licenciement admissibles, le renversement de la charge de la preuve et la fixation de l’indemnité. L’on ne peut cependant appliquer purement et simplement l’article 9 de la C.C.T. n° 109 (renvoyant ici à C. trav. Liège, div. Liège, 22 janvier 2018, J.L.M.B., 2018/14, p. 669).

Il procède ici encore à une analyse fouillée des événements intervenus, constatant que, par le biais de l’assistant social en chef, une véritable publicité a été donnée à l’affaire et que le discrédit a été jeté sur l’intéressée auprès de tous ses collègues. Sur cette question également, il est fait droit à la demande et un deuxième montant de 7.500 euros est accordé.

Les développements du tribunal sur les autres questions ont un intérêt plus factuel.

Intérêt de la décision

Dans ce beau jugement, qui a procédé à la fois à un rappel des principes sur plusieurs questions et à un examen très fouillé des faits, le tribunal s’est notamment penché sur le principe général d’impartialité, dont il a rappelé les principales caractéristiques. Si, en principe, des personnes sont intervenues dans une phase déterminée d’une procédure, elles ne peuvent plus le faire dans une phase ultérieure, notamment lors de la délibération de l’organe collégial lors de la décision finale.

Une règle constante est que ce principe général ne s’applique que dans la mesure où il se concilie avec la nature spécifique et la structure de l’administration active. La critique de partialité ne peut donc se fonder sur une situation qui découle uniquement de l’application normale de la loi, notamment, comme il le rappelle (5e feuillet), s’il s’agit de la seule autorité habilitée à prendre la décision critiquée.

La situation d’un secrétaire de C.P.A.S. qui aurait rédigé un rapport disciplinaire et assisté ensuite à la séance du Conseil de l’action sociale au cours de laquelle la sanction aurait été infligée ne peut être critiquée au motif de partialité, dans la mesure où sa présence est l’effet de la loi.

De nombreuses décisions du Conseil d’Etat précisant les contours du principe d’impartialité ont été rappelées par le tribunal, ce qui est fort heureux, la question étant régulièrement susceptible de se poser, dans des hypothèses de licenciement.


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