Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 janvier 2007, R.G. 48.227
Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008
Cour du travail de Bruxelles, 11 janvier 2007, R.G. 48.227
TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA
Dans un arrêt du 11 janvier 2007, la cour du travail de Bruxelles a considéré que lorsqu’une personne vit dans la marginalité et ne dispose pas de résidence permanente, il faut tenir compte de cette situation et appliquer avec souplesse les règles qui déterminent la compétence du CPAS et l’ampleur de sa mission. Pour la cour, si la difficulté à s’établir dans un logement rend malaisée la détermination du CPAS compétent pour lui accorder l’aide, cette marginalisation ne peut aboutir à priver la personne de l’aide nécessaire pour mener une vie digne.
Les faits de la cause
M. X est aidé par le CPAS d’Uccle depuis mai 2003 sur la base d’une résidence déclarée dans un garage, bénéficiant également d’une adresse de référence au CPAS.
En octobre 2004, il est invité par l’assistante sociale à trouver une solution de logement.
En janvier 2005, l’assistante sociale note que l’intéressé n’occupe plus le garage, qu’il vit à droite et à gauche et qu’il est propriétaire d’un véhicule. L’assistante sociale suspend alors le revenu d’intégration pour le mois de février et lui demande de fournir une preuve de recherche active de logement.
M. X se présente ensuite avec un descriptif d’appartement à louer sur le territoire de Forest. Le rapport de l’assistante sociale propose cependant la suspension du revenu d’intégration au 1er février, pour manque de collaboration, et d’accorder une aide alimentaire de 5 € par jour du 1er février au 15 février 2005, en attendant la décision du Conseil de l’Action Sociale.
En février 2005, le CPAS d’Uccle est contacté par le CPAS de Woluwé-Saint-Lambert, qui l’informe que M. X a introduit une demande de revenu d’intégration et déclare vivre sur le territoire de cette commune dans un garage depuis fin janvier 2005. L’assistante sociale observe avoir rencontré l’intéressé début février, qui ne lui en a rien dit. Le rapport propose la suppression du revenu d’intégration à partir du 1er février 2005 et de l’inscription en adresse de référence.
La décision contestée qui suit cette proposition contient comme motivation « manque de collaboration (vous ne nous avez pas averti des modifications de votre situation et ne semblez plus résider sur notre territoire ».
La décision du tribunal
Le tribunal a rendu deux jugements :
La position des parties
Dans le cadre de son appel, le CPAS fait valoir que :
M. X conteste le reproche de manque de collaboration. Il affirme avoir résidé sur le territoire de la commune d’Uccle durant la période litigieuse.
Il fait valoir :
La décision de la Cour
Au préalable, la cour précise l’objet de la contestation en ce sens qu’elle a pour origine la difficulté de localiser où réside en fait M. X, portant ainsi sur la détermination du CPAS compétent pour assurer l’octroi du revenu d’intégration. Elle vise également la collaboration de M. X puisque, via ce reproche, la CPAS soutient ne pas pouvoir vérifier les conditions d’octroi du revenu d’intégration.
La cour estime toutefois que l’examen de cette contestation doit tenir compte de la situation particulière de M. X. Ainsi, à peine de priver un « sans abri » du droit qu’il a de vivre d’une manière conforme à la dignité humaine, le caractère marginal de la situation oblige à envisager avec souplesse les règles déterminant la compétence du CPAS et l’ampleur de sa mission.
La cour examine ensuite la question du CPAS compétent.
Elle rappelle tout abord certains principes :
En l’espèce, la cour retient que, s’agissant d’une personne qui ne dispose pas d’une résidence permanente, il y a lieu de définir le CPAS compétent en prenant pour critère la résidence de fait, c’est-à-dire le lieu où la personne, par définition sans résidence fixe, présente le plus d’attaches.
Ainsi, la cour décide :
Enfin, la cour souligne que le revenu d’intégration, comme son nom l’indique, suppose que la personne fasse un effort d’intégration, ce qui suppose une certaine collaboration. Par ailleurs, le CPAS doit pouvoir vérifier les conditions d’octroi du revenu d’intégration, ce qui suppose également une collaboration du demandeur d’aide.
Cependant, un manque de collaboration n’est pas établi dans le chef de Monsieur X pendant la période litigieuse, tout au moins jusqu’au 15 novembre 2005. Depuis cette date, la cour note que le CPAS n’est pas parvenu à avoir un contact valable avec M. X alors que des vérifications sont à faire, soulignant qu’un dialogue est à (re)nouer, sans lequel il est impossible de vérifier les conditions d’octroi du revenu d’intégration.
Intérêt de la décision
La cour examine la situation d’une personne vivant dans la marginalité et sans logement permanent, retenant que, si en raison de ce mode de vie, l’examen des conditions d’octroi du revenu d’intégration n’est pas aisé, cette marginalisation ne peut conduire au refus d’octroi du revenu d’intégration.
La cour estime en effet que c’est le droit à une aide nécessaire pour mener une vie digne, droit constitutionnellement garanti, qui doit primer, obligeant à appliquer avec souplesse les règles qui déterminent la compétence du CPAS et l’ampleur de sa mission, tout en considérant qu’un minimum est indispensable pour permettre au CPAS de vérifier le bien fondé de l’aide octroyée.
Cette décision est également intéressante dans la mesure où elle rappelle les règles de compétence territoriale qui déterminent le centre compétent pour accorder l’aide à un sans abri. En vertu de l’article 2, § 7 de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d’aide sociale, pour celui qui ne réside pas dans une institution d’accueil, il s’agit du CPAS de la commune où il a sa résidence de fait. Ceci constitue par définition une notion de fait. La cour tient compte comme indice de cette « résidence de fait » l’intention de résider, critère de compétence qui était visé par l’ancien article 57 bis de la loi du 8 juillet 1976, abrogé par la loi programme du 24 décembre 2002.