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Préjudice moral suite à un accident du travail mortel et Directive n° 2008/94/CE

Commentaire de C.J.U.E., 25 novembre 2020, Aff. n° C-799/19 (NI e.a. c/ SOCIÁLNA POISŤOVŇA), EU:C:2020:960

Mis en ligne le lundi 12 avril 2021


Cour de Justice de l’Union européenne, 25 novembre 2020, Aff. n° C-799/19 (NI e.a. c/ SOCIÁLNA POISŤOVŇA), EU:C:2020:960

Terra Laboris

Dans un arrêt du 25 novembre 2020, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle la définition de « créances résultant de contrats de travail ou de relations de travail » portant sur la rémunération, au sens de la Directive n° 2008/94/CE relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur : il s’agit en l’espèce de savoir si un dommage moral destiné aux ayants droit d’une victime décédée d’un accident du travail entre dans la notion.

Le litige

L’épouse ainsi que les deux enfants d’un travailleur décédé suite à un accident du travail se sont vu refuser par la caisse d’assurances sociales slovaque compétente une indemnité pour préjudice moral subi à la suite du décès de leurs époux et père respectifs. Une action en indemnisation du préjudice moral et matériel suite au décès a été introduite contre l’employeur. Les indemnisations sollicitées ont été, après procédure, accordées. Le préjudice matériel a fait l’objet de dommages et intérêts et ceux-ci ont été versés intégralement pour le compte de l’employeur concerné par la caisse d’assurances sociales dans le cadre de l’assurance légale de l’employeur couvrant sa responsabilité pour les dommages causés par les accidents du travail. La caisse a cependant refusé d’indemniser le préjudice moral.

L’employeur s’est trouvé en situation d’insolvabilité, ce qui a empêché toute voie d’exécution contre lui. Un recours contre la caisse a dès lors été introduit devant le Tribunal de district de Košice I (Slovaquie) en vue d’obtenir cette indemnité.

Le juge slovaque s’interrogeant sur la notion d’« état d’insolvabilité » au sens de la Directive n° 2008/94 et sur l’interprétation de la notion de préjudice, la caisse entendant donner à celle-ci un sens restrictif, deux questions sont posées à la Cour de Justice.

Les questions préjudicielles

La première question est de savoir si l’article 3 de la Directive n° 2008/94 permet d’inclure dans la notion de « créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail » le préjudice moral subi du fait du décès d’un employé à la suite d’un accident du travail.

La seconde question se fonde également sur cette Directive, mais en son article 2, étant de savoir s’il y a insolvabilité dès lors que l’employeur a fait l’objet d’une demande d’ouverture d’une procédure d’exécution au titre d’un droit à réparation reconnu par une décision de justice pour le préjudice moral causé suite à l’accident, bien que la créance ait été déclarée irrecouvrable dans la procédure d’exécution en raison de la carence de l’employeur.

La décision de la Cour

La Cour rejette en premier lieu deux exceptions opposées par le Gouvernement slovaque relatives à sa compétence ratione temporis et à la recevabilité des questions préjudicielles.

Elle traite en premier lieu la seconde question, relative à l’état d’insolvabilité de l’employeur, rappelant sa jurisprudence (C.J.U.E., 18 avril 2013, Aff. n° C-247/12, MUSTAFA c/ DIREKTOR NA FOND « GARANTIRANI VZEMANIA NA RABOTNITSITE I SLUZHITELITE » KAM NATSIONALNIA OSIGURITELEN INSTITUT) selon laquelle deux conditions sont mises pour qu’il y ait état d’insolvabilité : (i) l’ouverture d’une procédure collective fondée sur l’insolvabilité de l’employeur doit avoir été demandée et (ii) soit une décision d’ouverture de cette procédure, soit (en cas d’insuffisance de l’actif ne justifiant pas celle-ci) une constatation de la fermeture définitive de l’entreprise doit être intervenue.

La première condition porte sur l’ouverture d’une procédure collective fondée sur l’insolvabilité de l’employeur et ne peut y être assimilé le dépôt d’une demande d’ouverture d’une procédure d’exécution, au titre d’une indemnisation, reconnue en justice, à l’encontre de l’employeur, ni l’ouverture même d’une telle procédure. Cette procédure se distingue sur plusieurs points de la procédure collective de l’article 2, § 1er, de la Directive, étant qu’elle ne vise pas le désintéressement collectif des créanciers.

La Cour précise également que les deux conditions ci-dessus doivent être réunies cumulativement.

En outre, les Etats peuvent étendre la protection des travailleurs salariés à d’autres situations d’insolvabilité. Il appartient cependant à la juridiction nationale d’apprécier si la protection a été étendue, une loi interne définissant en l’espèce de manière autonome l’état d’insolvabilité aux fins de la protection des travailleurs salariés.

La conclusion de la Cour sur ce point est dès lors que l’employeur ne peut être considéré comme se trouvant « en état d’insolvabilité » au sens de l’article 2, § 1er, de la Directive, dans l’hypothèse visée, la juridiction nationale devant, conformément à la répartition des compétences entre la Cour et les Etats membres, vérifier si la protection des travailleurs salariés a été étendue à la situation visée ou non.

La Cour en vient ensuite à la première question, relative au dommage moral, s’agissant de vérifier si la notion de « créance des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail » inclut celui-ci. La Cour rappelle la finalité sociale de la Directive, qui est de garantir à tous les travailleurs salariés un minimum de protection. Sont seulement visées les créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail lorsque celles-ci portent sur la rémunération. Ne sont donc pas visées les autres créances, la Cour renvoyant ici à plusieurs arrêts, dont l’affaire CHECA HONRADO (C.J.U.E., 28 juin 2018, Aff. n° C-57/17, CHECA HONRADO c/ FONDO DE GARANTÍA SALARIAL).

La notion de « rémunération » doit être définie par les droits nationaux, les Etats devant préciser quelles indemnités relèvent ainsi du champ d’application de l’article 3, 1er alinéa, de la Directive. La notion de « rémunération » devant être fixée au niveau national, c’est le juge national qui doit déterminer si l’indemnité due par un employeur aux proches survivants de la victime au titre de préjudice moral subi ensuite du décès de celle-ci entre dans la notion de rémunération.

La conclusion donnée par rapport à la définition de l’article 1er, § 1er, et de l’article 3 de la Directive est dès lors qu’une indemnité due de ce fait ne peut être considérée comme constituant une « créance des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail » au sens de la Directive.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, est une nouvelle fois rappelée la délimitation des compétences respectives de la Cour de Justice et des juridictions nationales. Aux deux questions, la Cour précise que, dans la réponse à donner, le juge national vérifiera si, au-delà des termes de la Directive, un « plus » figure au niveau interne.

Dans la seconde question, abordée en premier par la Cour de Justice, est en cause la notion d’insolvabilité. La définition en droit européen vise l’exigence d’une procédure collective fondée sur celle-ci ainsi qu’une décision d’ouverture de cette procédure (ou la fermeture définitive de l’entreprise en cas d’insuffisance de l’actif). Le droit national – comme en l’espèce – peut cependant permettre d’étendre les cas d’insolvabilité à d’autres hypothèses.

Les deux niveaux de contrôle doivent dès lors intervenir, la Cour ne pouvant que constater les conditions « a minima » mises dans la Directive n° 2008/94 pour qu’il y ait « état d’insolvabilité ».

Sur la première question, la Cour précise également que le terme « rémunération » doit être défini au niveau national, la Cour renvoyant ici à son arrêt CHECA HONRADO pour ce qui est de la précision des indemnités relevant du champ d’application de l’article 3, 1er alinéa, de la Directive. Cette affaire visait la notion de « dédommagements pour cessation de la relation de travail ».


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