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Intégration des personnes handicapées en Région wallonne : discrimination sur la base de l’âge ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 5 novembre 2020, R.G. 19/3.031/A

Mis en ligne le lundi 12 avril 2021


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 5 novembre 2020, R.G. 19/3.031/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 5 novembre 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) interroge la Cour constitutionnelle quant à la conformité d’une condition d’âge (65 ans) figurant dans le Code wallon de l’action sociale et de la santé, eu égard aux textes internationaux liant la Belgique.

Les faits

Une personne souffrant d’un handicap sollicite de l’AViQ une intervention dans un monte-escaliers. Celle-ci est refusée par décision du 5 septembre 2019, au motif que le Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé prévoit que l’intervention ne peut être accordéepour la personne handicapée ayant atteint l’âge de 65 ans au moment de l’introduction de la demande que si les frais découlent directement du handicap constaté avant cet âge par l’Agence. Ce constat n’est pas intervenu.

Trois mois plus tard, saisie d’une demande de réexamen, l’AViQ maintient sa décision de refus.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend la définition de la personne handicapée dans la partie décrétale du Code wallon de l’action sociale et de la santé : il s’agit de toute personne mineure ou majeure présentant une limitation importante de ses capacités d’intégration sociale ou professionnelle suite à une altération de ses facultés mentales, sensorielles ou physiques, qui engendre la nécessité d’une intervention de la société.

Y sont précisées les conditions des interventions financières, celles-ci devant être évaluées en fonction de divers critères, dont la nature de l’aide requise, le degré de nécessité des prestations, les indications résultant du projet d’intervention personnalisé éventuellement établi, le coût normal des prestations demandées et le coût supplémentaire par rapport à une personne non handicapée.

Des dispositions spécifiques visent les personnes de 65 ans ou plus. L’article 275 du Code wallon de l’action sociale et de la santé dispose que peuvent bénéficier des prestations les personnes handicapées qui n’ont pas atteint l’âge de 65 ans au moment où elles introduisent leur première demande d’intervention. En vertu de l’article 787 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, pour la personne handicapée qui a atteint cet âge au moment de l’introduction de la demande, celle-ci ne peut être accordée que si les frais découlent directement du handicap constaté par l’Agence avant l’âge de 65 ans.

Vu les termes de ces dispositions, le tribunal se tourne vers la Charte sociale européenne révisée, dont l’article 15 est relatif aux droits des personnes handicapées à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté. Cet article 15 offre des garanties aux personnes handicapées, et ce quels que soient leur âge ainsi que la nature et l’origine du handicap ainsi que l’exercice effectif du droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté. Cette disposition contient les engagements des Etats à cette fin et, notamment, celui de favoriser la pleine intégration et participation à la vie sociale des personnes handicapées, notamment par des mesures, y compris des aides techniques, visant à surmonter des obstacles à la communication et à la mobilité et à leur permettre d’accéder aux transports, au logement, aux activités culturelles et aux loisirs.

La Convention relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006 est également sollicitée en son article 19, qui contient la reconnaissance pour toute personne handicapée du droit de vivre dans la société, les Etats s’engageant notamment à prendre une série de mesures, sur la base de l’égalité avec les autres personnes, et ce notamment quant à leur lieu de résidence. Les questions d’adaptation et de réadaptation dans le domaine de la santé, de l’emploi, de l’éducation et des services sociaux sont reprises à l’article 26 de la même Convention.

Le tribunal note, ensuite, que la demanderesse est une personne qui a été amputée de la jambe droite alors qu’elle avait 64 ans, handicap qui n’a été connu de l’AViQ qu’après l’introduction de la demande, ce qui a été fait à l’âge de 65 ans. La demande a ainsi été introduite non en raison du vieillissement de la personne mais suite à son handicap, dans le cadre d’une aide individuelle à l’intégration.

Pour le tribunal, il ne peut être contesté que la demanderesse a la qualité de personne handicapée au sens de l’article 261, alinéa 1er, du Code – partie décrétale – et que le Gouvernement doit veiller à assurer sa pleine et entière participation à la vie sociale et économique. Or, elle aurait pu bénéficier de cette aide si, avant ses 65 ans, elle avait déjà introduit une autre demande de prestation.

Il découle de cette disposition que deux personnes peuvent être traitées de façon tout à fait différente en raison de leur âge au moment de l’introduction de la première demande.

Renvoyant à la doctrine de L. TIRAILLE (L. TIRAILLE, Les grands arrêts en matière de handicap, Larcier, 2020, p. 549), le tribunal souligne que l’âge de 65 ans est « une limite somme toute arbitraire » et que la condition d’âge n’est pas mise en droit international.

Pour l’AViQ, la Cour constitutionnelle a déjà été interrogée (infructueusement) sur la constitutionnalité d’une telle condition (C. const., 18 avril 2001, n° 51/2001).

Le tribunal ne suit pas la position de l’Agence, au motif que la discrimination invoquée n’a pas été examinée en combinaison avec les dispositions de droit international ci-dessus. Il décide, dès lors, d’interroger celle-ci. Dans l’attente, vu la situation particulièrement précaire de l’intéressée, le tribunal invite celle-ci à se tourner vers le C.P.A.S., dont la mission est d’encourager la participation sociale des usagers et d’assurer en première ligne une aide sociale et/ou psychologique.

Deux questions sont dès lors posées à la Cour constitutionnelle, s’agissant en substance de lui demander de répondre :

1. A la conformité de l’article 275 du Code wallon de l’action sociale et de la santé aux articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les dispositions de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et à la Charte sociale européenne ci-dessus, dans la mesure où il y a exclusion (a) des personnes handicapées qui n’avaient pas encore atteint l’âge de 65 ans lorsqu’elles ont été touchées par le handicap et n’ont pas introduit une première demande d’aide avant d’avoir atteint cet âge alors que celles qui avaient introduit cette première demande avant l’âge de 65 ans peuvent bénéficier de l’intervention et (b) des mêmes personnes, alors que celles qui ont introduit une demande portant sur la même prestation dans le cadre d’une seconde demande après avoir atteint l’âge de 65 ans mais qui avaient déjà introduit une première demande (portant sur une autre prestation) avant d’avoir atteint cet âge peuvent en bénéficier.

2. A la constitutionnalité de l’article 275 du Code, en ce qu’il habilite le Gouvernement wallon à exclure du champ d’application du Décret et du droit à l’aide individuelle à l’intégration les personnes qui n’ont pas introduit une première demande d’aide avant l’âge de 65 ans, dont le handicap n’a pas été constaté avant cet âge, mais pour lesquelles il n’est pas contesté que ce handicap est survenu avant qu’elles ne l’aient atteint, alors que les personnes qui, comme elles, ont été atteintes de ce handicap dans les mêmes conditions mais ont introduit une première demande d’aide avant d’avoir atteint l’âge de 65 ans peuvent en bénéficier.

Intérêt de la décision

Les questions dont la Cour constitutionnelle est actuellement saisie sont d’un intérêt évident.

La référence à l’âge de 65 ans dans le cadre des mesures d’intégration ne manque en effet pas d’étonner, si l’on se réfère au droit international et aux engagements pris par les parties contractantes quant aux garanties en faveur de l’intégration des personnes handicapées.

Le texte de l’article 15 de la Charte sociale européenne est, à cet égard, explicite, puisqu’il vise les personnes handicapées quel que soit leur âge, excluant également la prise en compte d’autres critères, étant la nature et l’origine du handicap, l’exercice effectif du droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté. Il s’agit de garanties générales, non soumises à des conditions particulières eu égard au critère de l’âge. L’on comprend d’ailleurs mal la persistance de la clause en droit interne et notamment l’exigence d’une constatation du handicap avant l’âge de 65 ans.

Rappelons que l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 18 avril 2001 est relatif à l’article 2 du décret de la Communauté flamande du 27 juin 1990 portant création d’un Fonds flamand pour l’intégration sociale des personnes handicapées, qui exclut du champ d’application du décret et du droit à l’assistance les personnes handicapées qui n’avaient pas encore atteint l’âge de 65 ans lorsqu’elles ont été frappées d’un handicap mais n’ont pas introduit une demande d’enregistrement avant cet âge, alors que les personnes qui ont introduit une demande d’enregistrement dans les mêmes conditions avant d’avoir atteint l’âge de 65 ans peuvent bénéficier de cette intervention.

Pour la Cour, la différence de traitement repose sur un critère objectif : l’âge de l’intéressé au moment où il introduit sa demande. Ce critère de distinction présente un rapport raisonnable avec l’objectif du législateur consistant à accorder aux personnes handicapées qui ne sont pas du troisième âge, moyennant l’introduction d’une demande, l’assistance en vue de leur intégration sociale. De la circonstance que l’aide à laquelle peut prétendre une personne handicapée sur la base d’une demande introduite avant qu’elle ait atteint l’âge de 65 ans reste disponible après que cette personne a atteint cet âge - dans la mesure où elle ne fait pas double emploi avec des structures analogues -, il ne résulte pas que le législateur décrétal eut dû également accorder l’aide à l’intégration sociale aux personnes qui étaient déjà handicapées avant leur soixante-cinquième anniversaire, mais qui n’en bénéficiaient pas parce qu’elles n’avaient pas introduit de demande auprès du Fonds avant cet âge. Compte tenu du droit d’accès aux services et structures de soins pour personnes âgées – parmi lesquelles figurent les handicapés âgés de 65 ans qui n’ont pas introduit leur demande en temps utile –, le législateur décrétal pouvait ainsi subordonner l’octroi de l’aide en vue de l’intégration sociale à l’introduction d’une demande et à un enregistrement, à la suite d’un examen effectué par une commission d’évaluation multidisciplinaire auprès du Fonds. Le fait d’exiger des personnes handicapées d’introduire avant d’atteindre l’âge de 65 ans une demande en vue de l’obtention d’une aide en raison d’un handicap est proportionné par rapport à l’objectif poursuivi.

Relevons, avec le tribunal, que la Cour n’a pas été interrogée sur la conformité de la disposition avec le droit international.

Affaire à suivre donc…


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