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Décès survenu suite à un étouffement pendant un repas pris lors de la pause de midi : accident du travail ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 2 novembre 2020, R.G. 2019/AL/445

Mis en ligne le vendredi 26 mars 2021


Cour du travail de Liège (div. Liège), 2 novembre 2020, R.G. 2019/AL/445

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 novembre 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle les principes relatifs à l’événement soudain en matière d’accident du travail ainsi que la présomption légale liée à l’exigence que l’accident soit survenu par le fait des fonctions, présomption selon laquelle l’accident survenu dans le cours de celles-ci est présumé jusqu’à preuve du contraire être intervenu du fait de ces fonctions.

Les faits

Un membre de personnel hospitalier (brancardier) est retrouvé inanimé, pendant l’heure de midi, dans le local où il prenait son déjeuner. Bien que pris en charge immédiatement, il est décédé deux jours plus tard. Est diagnostiquée une obstruction des voies respiratoires avec anoxie (étouffement). Ceci, suite à l’ingestion d’un sandwich.

L’hôpital (CHU) rejette l’accident et son assureur, interpellé par FEDRIS, confirme ce refus. FEDRIS ne partage pas la position de l’employeur, exposant qu’il y a accident du travail, celui-ci étant survenu lors de la pause du travailleur pendant l’heure de midi.

FEDRIS notifie, par ailleurs, à l’employeur sa volonté de porter le litige devant les juridictions du travail, en application de l’article 20decies de la loi du 3 juillet 1967. Celui-ci permet de ce faire lorsque la partie concernée maintient un refus de prendre l’accident du travail en charge. Dans cette hypothèse, les ayants droit de la victime et son organisme assureur AMI sont mis à la cause.

Vu le refus de l’employeur d’admettre la conclusion de FEDRIS, l’Agence introduit la procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège). Elle sollicite la reconnaissance de l’accident du travail et demande, sur le plan procédural, que le jugement à intervenir soit déclaré commun et opposable aux parents de la victime ainsi qu’à l’organisme assureur.

Le tribunal du travail rejette le recours par jugement du 28 juin 2019. Il estime que l’événement soudain n’est pas rapporté, s’agissant d’un « geste banal de la vie courante qui aurait pu se produire en tout autre temps et en tout autre lieu ».

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

La cour reprend la position de FEDRIS ainsi que celle du CHU.

Pour l’Agence, les conditions de l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967 sont réunies (événement soudain survenu dans le cours de l’exercice des fonctions et existence d’une lésion). Il y a dès lors lieu d’admettre la présomption légale selon laquelle l’accident au eu lieu par le fait des fonctions.

Quant au CHU, il remet en cause l’existence de l’accident du travail, vu l’absence de raison extérieure à l’organisme de la victime. Il considère en outre qu’un geste de la vie courante ne peut être un événement soudain au sens de la législation et s’attache également à rappeler les règles de preuve à charge de la victime (en l’occurrence les ayants droit). Enfin, il conteste que l’accident soit survenu par le fait de l’exercice des fonctions.

La décision de la cour

La cour rappelle les principes en la matière dans le secteur public, ainsi que les critères relatifs à l’événement soudain et au lien causal dans le secteur privé, applicables également pour le personnel du secteur public.

Après avoir repris les règles habituelles en matière de preuve, elle souligne que, si existe une relation causale, même partielle, même indirecte, entre l’aggravation de l’état de santé de la victime et l’accident, la réparation légale couvre la totalité du dommage.

Elle en vient ensuite aux éléments de l’espèce, devant en premier lieu trancher la question de l’existence d’un événement soudain. Elle examine dès lors si le fait d’avaler de travers peut être constitutif d’un tel événement soudain au sens légal et conclut par l’affirmative. Avaler de travers dans des circonstances qui rendent impossible tout secours rapide constitue un élément multiforme et complexe, soudain, qui peut être épinglé et qui est susceptible d’avoir engendré la lésion. Sur le plan de la reconnaissance de cet événement soudain, il est, pour la cour, sans incidence que la victime ait été retrouvée effondrée sur une table ou par terre, entre la table ou le fauteuil, etc.

Celui-ci a par ailleurs pris place dans l’exercice des fonctions, n’étant pas contesté par l’employeur que le travailleur était sous son autorité au moins virtuelle pendant sa pause de midi. La lésion n’est quant à elle pas contestée. Le CHU admet en outre le lien causal, sur la base des conclusions médicales.

Un point de contestation reste la survenance de l’accident par le fait de l’exercice des fonctions. La cour rappelle la présomption légale, étant que, si l’accident survient dans le cours de l’exercice des fonctions, il est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être intervenu du fait de cet exercice.

Elle renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2010 (Cass., 25 octobre 2010, n° S.09.0081.F), rendu dans une espèce où une employée de magasin fut poignardée à mort par son mari sur son lieu de travail. L’accident du travail fut reconnu par le tribunal, contrairement à l’assureur, qui considérait qu’il s’agissait de faits de la vie privée, l’accident n’étant pas survenu par le fait de l’exercice des fonctions.

La cour rappelle les conclusions de M. le Procureur général J.-F. LECLERCQ, avant cet arrêt, qui avait souligné que l’on ne trouve guère de définition satisfaisante de la notion d’accident survenu par le fait de l’exécution du contrat, précisant qu’il s’agissait peut être d’un signe de la complexité de cette notion. Il donnait sa manière de voir sur la question, étant qu’il faut admettre comme étant survenu par le fait de l’exécution du contrat l’accident qui se rattache par un lien de causalité à la prestation de travail proprement dite du travailleur, victime de l’accident, ou à une circonstance quelconque tenant au milieu dans lequel le travailleur victime de l’accident se trouve placé en raison de l’exécution de son contrat de travail. Il avait dès lors admis que l’agression avait été rendue possible par les modalités d’exécution du travail et par le milieu naturel dans lequel le contrat s’exécutait, l’employée devant ouvrir seule le magasin, y exercer seule son activité professionnelle, et ce de surcroît dans un bâtiment à la configuration exiguë dont elle n’avait pas pu s’enfuir. La Cour de cassation avait suivi la position du Procureur général.

En l’espèce, les éléments relatifs à la disposition des lieux sont indifférents, mais la cour considère que la présomption légale n’est pas renversée par l’employeur. L’intéressé est décédé après avoir avalé son sandwich de travers, dans un local réservé à sa catégorie professionnelle (local aveugle, faisant qu’il n’a pas pu être vu à temps). Elle précise encore qu’il a déjeuné dans celui-ci, étant rappelable même durant sa pause de midi, selon les nécessités du service, et mangeait, comme ses collègues, à tour de rôle. Il y a, pour la cour, deux particularités rattachant l’accident à une circonstance tenant au milieu de travail, à savoir la localisation et le fait que l’intéressé était seul lors de l’accident.

Elle accueille dès lors l’appel.

Intérêt de la décision

Comme le rappelle la cour, les règles relatives à la définition de l’événement soudain, ainsi qu’à la preuve de l’accident en vigueur dans le secteur privé, valent pour le secteur public également.

Si la victime (ou les ayants droit) a (ont) la charge de prouver l’événement soudain lui-même, ainsi que la lésion, et, dans le cas de l’accident du travail au sens strict, la survenance de celui-ci par le fait du contrat, la loi a instauré deux présomptions, destinées à faciliter la charge de la preuve.

En effet, outre la présomption de causalité entre la lésion et l’événement soudain, elle prévoit, pour l’accident du travail au sens strict, une présomption dite « d’exécution », étant que l’accident survenu au cours de l’exécution du contrat est présumé l’être par le fait de celui-ci. En d’autres termes, pour cette deuxième présomption, la victime doit établir que l’accident est survenu dans le cours de l’exécution du contrat de travail. Cette deuxième présomption ne vaut, bien sûr, pas pour l’accident sur le chemin du travail, où la condition d’exécution n’est pas posée, le critère étant la normalité du trajet.

La cour a rappelé la doctrine de M. le Procureur général LECLERCQ quant à la question du fait de l’exécution du contrat. Il faut souligner avec lui que la notion d’exécution a un contenu spécifique en la matière, étant qu’elle existe dès lors que la liberté du travailleur est limitée, celui-ci se trouvant d’une manière ou d’une autre sous l’autorité de l’employeur.

L’on peut rappeler sur cette question que, dans un arrêt du 9 septembre 2015 (Cass., 9 septembre 2015, n° S.15.0039.N), la Cour suprême a consacré le principe de la limitation de la liberté personnelle du travailleur en tant que critère de l’exécution du contrat. Elle a précisé que l’exécution de celui-ci couvre les circonstances où le travailleur se trouve sous l’autorité de l’employeur au moment de l’accident. Ceci vaut également, par exemple, en cas de participation à une compétition sportive. Dans cette hypothèse, il faut vérifier si le travailleur était limité dans sa liberté personnelle.

L’on peut encore préciser que la notion d’exécution du contrat de travail est plus large que celle du travail lui-même et qu’elle couvre, ainsi, la pause de midi, pause qui est incluse dans les obligations contractuelles.

Enfin, comme mentionné par la cour du travail dans l’arrêt annoté, l’autorité de l’employeur peut être purement virtuelle, le lien de subordination n’étant par ailleurs pas limité à la durée de l’exécution du travail. A cet égard, la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 8 mai 2015, R.G. 2014/AL/524) avait retenu, pour un accident survenu dans la cuisine de l’habitation de l’employeur (le lieu du travail étant situé au sein même de cette habitation), que l’employée (mordue par le chien de sa patronne) avait été victime d’un accident du travail, quoique ceci fut survenu légèrement après la fin des prestations, celle-ci étant tenue de signaler son départ à son employeur ou à son épouse.


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