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Supplément d’allocations familiales pour famille monoparentale : revenus à prendre en compte

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 28 septembre 2020, R.G. 2019/AL/548

Mis en ligne le vendredi 26 mars 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 28 septembre 2020, R.G. 2019/AL/548

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 septembre 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) retient que les revenus du travailleur salarié permettant de vérifier son droit à un supplément d’allocations familiales pour famille monoparentale sont les revenus imposables sans déduction des charges professionnelles.

Les faits

Une mère vivant seule avec ses deux enfants perçoit des allocations familiales au taux de base. Elle sollicite le paiement du complément pour famille monoparentale en 2009. Celui-ci est refusé au motif que les revenus dépassent le plafond fixé par la loi. En 2015, suite à l’instauration d’une nouvelle procédure (qui amène l’institution de sécurité sociale à octroyer le supplément sur la base des déclarations sur l’honneur, et ce dans l’attente de la communication des avertissements-extraits de rôle fiscaux), elle est interrogée quant à ses revenus. L’intéressée ne donne pas suite immédiatement. Trois ans plus tard, sur la base de ses avertissements-extraits de rôle, elle introduit une demande pour l’année 2015. Il y a de nouveau refus, au motif du dépassement du seuil légal.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Huy). Celui-ci ne fait pas droit à la demande, ne suivant pas en cela l’avis de l’auditeur du travail.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’appelante conteste la définition du revenu à prendre en compte. Pour elle, il faut retenir celui obtenu après déduction des frais professionnels. Pour la caisse, il n’y a pas lieu de procéder à la déduction de ces frais, le montant fixé par la loi étant le montant brut.

La décision de la cour

Après avoir repris la position du Ministère public, qui va dans le sens de l’interprétation de la caisse, la cour examine l’article 41 de la loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939. Référence est faite, dans cette disposition, au titre de revenus professionnels et/ou de remplacement, à la somme qui dépasse le montant journalier maximum de l’indemnité d’invalidité pour le travailleur ayant personne à charge (articles 212, alinéa 7, et 213, alinéa 1er, 1re phrase, de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 exécutant la loi coordonnée le 14 juillet 1994), montant qui doit être multiplié par 27.

En 2015, la cour rappelle que le montant mensuel à ne pas dépasser était de 2.309,58 euros pour le premier semestre et de 2.338,47 euros ensuite.

Les revenus de l’intéressée sont supérieurs, selon l’avertissement-extrait de rôle, à ce montant en termes bruts, mais ils ne le dépassent pas, après déduction des charges professionnelles forfaitaires.

L’article 41 de la loi prévoyant par ailleurs que les revenus pris en compte sont ceux définis par le Roi pour l’attributaire ayant personne à charge, la cour examine l’arrêté royal du 26 octobre 2004 portant exécution des articles 42bis et 52, § 2, de la loi. Malgré son intitulé limité à ces deux dispositions, cet arrêté vise également l’article 41 pour ce qui est des revenus professionnels. Il définit par « revenus à prendre en compte » les revenus imposables tirés d’une activité professionnelle. Deux dérogations sont prévues, concernant la notion de « revenus professionnels » du travailleur indépendant d’une part et, de l’autre, celle de revenus liés à l’activité professionnelle octroyés aux membres du personnel d’une institution de droit international public. Pour tous les assurés sociaux, l’arrêté royal précise par ailleurs que, par « revenus de remplacement », il faut entendre les revenus de remplacement imposables.

Cet article de l’arrêté royal vise ainsi les revenus imposables tirés d’une activité professionnelle.

Pour la cour, l’arrêté royal vise non le revenu professionnel imposable globalement du salarié, mais les revenus imposables, et ce sans tenir compte des frais professionnels. L’interprétation du C.I.R. aboutit à la même conclusion, puisque les revenus imposables de façon générale visent tous les revenus, professionnels, immobiliers, mobiliers et divers (article 6), mais la notion de « revenus professionnels » n’est pas autrement définie. Le même examen est fait à partir d’un autre article du C.I.R. 92 (article 23), où figure la notion de « revenus professionnels » en son § 1er. Le § 2 de la même disposition vise quant à lui le montant net des revenus professionnels, notion qui implique la déduction des frais professionnels ainsi que des pertes.

Il n’y a, en conséquence, pour la cour, aucun soutènement à la thèse qui voudrait que les frais professionnels doivent être déduits. Un dernier renvoi est fait à un texte, étant un extrait des travaux préparatoires du décret wallon relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales. Son exposé des motifs (Doc. parl. w., 2017-2018, n° 989/1, p. 21) est clair : les revenus bruts imposables avant déduction des charges professionnelles sont actuellement utilisés comme référence pour l’octroi des suppléments sociaux, la volonté ayant été de conserver la même définition dans l’ancien système et dans le nouveau, afin de préserver des droits existants et de garantir une continuité et une homogénéité des droits accordés.

La cour conclut dès lors à la confirmation du jugement.

Intérêt de la décision

La question posée à la cour du travail quant à la notion de « revenus à prendre en compte » est, à notre sens, la première dans la jurisprudence récente. La cour souligne que la notion de « revenus professionnels » est identique que ce soit avant ou depuis l’entrée en vigueur du décret wallon relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales. La thèse selon laquelle il y aurait lieu de ne prendre en compte que le montant obtenu après déduction des frais professionnels forfaitaires est rejetée par la cour (comme l’avait fait le tribunal d’ailleurs) au motif de l’absence de tout soutènement légal. La cour du travail a examiné également le Code des impôts sur les revenus (C.I.R. 92) et, même dans le cadre de la législation fiscale, aucun renvoi ne peut être fait à cette notion.

Il s’agit dès lors, pour les revenus professionnels, de suivre ceux imposables, étant les revenus bruts du travailleur salarié tels que figurant dans son avertissement-extrait de rôle. Pour le travailleur indépendant, il s’agit des revenus générés par son activité indépendante, revenus visés à l’article 11, § 2, de l’arrêté royal n° 38, multipliés par une fraction égale à 100 sur 80.

Relevons que la question du supplément d’allocations familiales pour famille monoparentale est plus régulièrement débattue quant à la condition d’octroi qu’est l’existence d’un seul revenu, étant d’un seul parent. Ceci renvoie à la problématique de la cohabitation, et nombreuses sont les décisions qui ont amené à vérifier s’il y a cohabitation ou non avec un tiers.

Rappelons sur cette problématique que l’ensemble de la jurisprudence a abouti à retenir une définition transversale de cette notion, dans les différents secteurs de la sécurité sociale. L’on peut à cet égard renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 22 janvier 2020 (C. trav. Bruxelles, 22 janvier 2020, R.G. 2017/AB/1.073 – précédemment commenté).


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