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Maladie professionnelle dans le secteur public : principes de la réparation

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 septembre 2020, R.G. 2019/AL/344

Mis en ligne le vendredi 12 mars 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 9 septembre 2020, R.G. 2019/AL/344

Terra Laboris

Par arrêt du 9 septembre 2020, statuant après renvoi par la Cour de cassation, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend, dans un imposant arrêt, les règles relatives à la présomption d’exposition au risque professionnel dans le secteur public.

Rétroactes

L’arrêt rendu par la Cour du travail de Liège le 9 septembre 2020 fait suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2018 (n° S.18.0001.F). Dans cet arrêt de principe, la Cour de cassation a confirmé que l’article 32 des lois coordonnées du 3 juin 1970 (qui définit la notion d’exposition au risque dans le secteur privé) n’est pas applicable au secteur public. Elle a également énoncé que la présomption générale d’exposition du secteur public s’applique aux maladies dites « hors liste ». Cet arrêt a été précédemment commenté. La procédure y a été rappelée, ainsi que les moyens du pourvoi et les conclusions du Ministère public. L’importance de la décision a été soulignée et doit encore l’être.

L’affaire a été renvoyée à la Cour du travail de Liège.

Les faits

La cour reprend très longuement les faits de la cause, s’agissant d’une policière qui a été en butte à des comportements déplacés de son supérieur direct, ce qui a entraîné sa réaffectation et, en fin de compte, une longue période d’incapacité de travail, avec dépôt d’une plainte formelle pour harcèlement moral et sexuel ainsi que pour violence.

L’inaptitude temporaire de l’intéressée au service a été décidée dans un premier temps et l’inaptitude physique définitive est intervenue ensuite.

Celle-ci avait introduit une procédure distincte de celle en réparation des séquelles d’une maladie professionnelle, procédure tendant à l’indemnisation du dommage moral subi suite au harcèlement et à la violence au travail. L’arrêt rendu en cette matière a considéré que les griefs n’avaient pas été objectivés et qu’ils ne présentaient pas le caractère répétitif requis par la législation, même si le comportement du supérieur n’avait pas toujours été adéquat.

Dans le cadre de l’indemnisation du risque professionnel, la policière avait par ailleurs été déboutée en première instance, le tribunal ayant cependant, dans un jugement avant dire droit, désigné un expert, dont le rapport a conclu à la reconnaissance des incapacités temporaires ainsi que d’une incapacité permanente de 20%. La cour du travail ayant confirmé la conclusion du tribunal du travail, et ce dans un arrêt du 17 février 2016, l’intéressée s’est pourvue en cassation, ce qui a donné lieu à l’arrêt du 10 décembre 2018.

L’arrêt de la Cour du travail de Liège

L’affaire revenant devant la Cour du travail de Liège, celle-ci reprend très longuement et minutieusement les éléments du débat, ainsi que le cadre général de la législation en la matière. Après avoir fait le rappel des Recommandations européennes, ainsi que des règles fixées par la loi du 3 juillet 1967 et l’arrêté royal applicable, étant celui du 30 mars 2001 portant la position juridique du personnel des services de police (arrêté PJPOL), elle fait l’état de la question de la réparation des séquelles d’une maladie professionnelle dans le secteur public.

Elle reprend les deux arrêts de la Cour de cassation qui ont conclu à l’exclusion de l’application de l’article 32bis de la loi du 3 juin 1970 (secteur privé) au secteur public, en ce compris aux dispositions des arrêtés d’exécution de la loi du 3 juillet 1967 qui prévoient la condition d’exposition au risque professionnel à laquelle ils subordonnent la réparation du dommage (rappelons qu’il s’agit, outre de l’arrêt rendu par la Cour le 10 décembre 2018, d’un arrêt précédent du 4 avril 2016, n° S.14.0039.F, rendu à propos de l’arrêté royal d’exécution du 21 janvier 1993 applicable à certains membres du personnel appartenant aux administrations provinciales et locales).

La cour examine ensuite l’historique de l’élaboration de la condition d’exposition au risque professionnel, et ce depuis la loi du 24 décembre 1963, renvoyant également à la doctrine de S. REMOUCHAMPS (S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013/2). Elle souligne également que la dernière version de l’article 32, alinéa 2, de la loi du 3 juin 1970 démontre la spécificité dans le secteur privé de la définition donnée de l’exposition au risque professionnel, s’agissant de distinguer un concept spécifique à ce secteur (celui de maladie en relation avec le travail), inexistant dans le secteur public. L’arrêt fait par ailleurs de nombreux renvois à la doctrine de L. VOGEL (L. VOGEL, « De la silicose des mineurs aux lombalgies des infirmières : réflexion critique sur le droit des maladies professionnelles », R.D.S., 2015/3, pp. 475 et s. et pp. 524 et s.), concluant que, à l’heure actuelle, en droit belge, la seule voie possible d’indemnisation dans le secteur public est celle de l’application de l’article 30bis de la loi du 3 juin 1970, auquel la loi du 3 juillet 1967 renvoie.

Vient ensuite la question du lien causal direct et déterminant entre la maladie et l’exercice de la profession. Pour la cour, la cause est directe est déterminante s’il est médicalement reconnu que la maladie ne se serait pas déclarée ou se serait déclarée dans d’autres conditions et, notamment, ne se serait pas déclarée au moment où elle est apparue ou se serait déclarée moins gravement sans le facteur professionnel (34e feuillet).

Constatant que l’exercice de la profession n’est pas défini par l’article 30bis, elle se tourne vers les travaux préparatoires (Doc. parl., Exposé des motifs, Sén. Cess. 1982-1983, n° 237, p. 8), selon lesquels le risque professionnel comprend le risque de contracter une maladie professionnelle par la seule présence sur les lieux du travail alors même que le travail effectué n’est pas susceptible de provoquer ladite maladie. La volonté du législateur exclut donc, pour la cour, de considérer que l’exposition au risque professionnel soit inhérente à l’exercice de la profession au sens strict du terme limité aux tâches effectuées. Le facteur « exposition au risque » est acquis au travailleur qui séjourne dans une section d’entreprise même sans y appartenir (avec renvoi au Guide social permanent – G.S.P., Droit de la sécurité sociale, Commentaires, Les maladies professionnelles, Kluwer, 2017, p. 150).

Est fait un parallélisme avec le régime des accidents du travail, dont l’article 7, alinéa 1er, de la loi du 10 avril 1971 exige que l’événement soudain survienne dans le cours de l’exécution du contrat de travail, disposition qui, dans le secteur public, gît à l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967 et précise qu’il doit survenir dans le cours et par le fait de l’exercice des fonctions (la cour du travail soulignant qu’il n’est pas fait référence au cours du travail ou des fonctions au sens de l’exécution des prestations de travail). Il s’agit d’une notion plus large, liée non à l’exécution du travail mais au fait de l’autorité de l’employeur.

Après cet important rappel des principes, vient l’examen du fondement de la demande, avec celui des mérites du rapport de l’expert judiciaire.

L’exposition au risque professionnel étant présumée, la cour constate que l’employeur ne la renverse pas.

La cour définit encore ici la notion de risques psychosociaux (article 32/1 de la loi Bien-être), étant qu’il s’agit de la possibilité qu’un ou plusieurs travailleurs subissent un dommage psychique qui peut également s’accompagner d’un dommage physique, suite à l’exposition à des composantes de l’organisation du travail, du contenu du travail, des conditions de travail, des conditions de vie au travail et des relations interpersonnelles au travail, sur lesquels l’employeur a un impact et qui comportent objectivement un danger.

En l’espèce, il s’agissait des relations interpersonnelles entre l’intéressée et son supérieur. La policière a vécu une situation de souffrance relationnelle au travail développée au départ d’une attitude qui relève, pour la cour, d’une forme d’emprise de la part de celui-ci, emprise qui se traduit par des pratiques dysfonctionnantes sous le couvert de l’humour, qui n’ont pas été admises. Il s’agit en l’espèce non d’un simple désaccord qui fait partie de la vie quotidienne au travail sans pouvoir être considéré comme nocif, mais d’un désaccord aggravé qui a conduit à un conflit nocif, un affrontement entre les deux personnes, un hyperconflit caractérisé par des phénomènes de bipolarisation et de stigmatisation individuelles. Rappelons que, dans les faits, il s’était agi, notamment – mais de manière non anodine – de dessins à caractère sexuel faits par le supérieur hiérarchique sur des photos de vacances de l’intéressée se trouvant sur son bureau.

En conséquence, la cour a retenu le lien causal direct et déterminant entre la maladie et l’exercice de la profession. Elle fait dès lors droit à la demande, mettant à néant le jugement rendu par le Tribunal du travail de Bruxelles, et dit pour droit que la demanderesse originaire est atteinte d’une maladie professionnelle hors liste, étant une névrose d’angoisse. Les débats sont rouverts pour déterminer les périodes et les taux d’incapacité temporaire et autres éléments de la réparation.

Intérêt de la décision

Cet imposant arrêt de la Cour du travail de Liège est l’aboutissement d’une longue procédure, qui a démarré en septembre 2009.

Cette affaire a donné lieu à l’arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 10 décembre 2018, dont l’importance a déjà été soulignée (cet arrêt ayant été précédemment commenté pour SocialEye). La question de savoir si la présomption d’exposition au risque professionnel dans le secteur public s’appliquait non seulement aux maladies de la liste mais également aux maladies hors liste restait jusqu’alors débattue et la question a ainsi été tranchée, positivement, par la Cour suprême. Il n’y a, sur le plan de cette présomption, aucune distinction à faire entre les deux types de maladie.

Les règles de preuve dans le secteur public sont dès lors très différentes de celles du secteur privé, puisque, par les deux arrêts dont question ci-dessus, il a été mis un terme à deux débats juridiques importants, à savoir l’application (en réalité la non-application) de l’article 32 des lois coordonnées du 3 juin 1970, qui définitif la notion d’exposition au risque dans le secteur privé, aux travailleurs du secteur public et, ensuite, l’application de la présomption à l’ensemble du risque professionnel de maladie dans ce secteur.

L’on notera encore le travail de doctrine effectué par la Cour du travail de Liège dans cet arrêt, puisqu’elle remonte au droit européen qui fixe le cadre de la réparation en droit interne. Elle renvoie également à la doctrine la plus autorisée sur la question, faisant ainsi le tour du débat juridique ainsi qu’une mise au point, vu les règles dégagées par la Cour de cassation dans sa jurisprudence récente.

L’on notera enfin, pour l’intérêt de la réflexion menée par la Cour à cet égard d’une part, le parallélisme fait avec la matière des accidents du travail pour ce qui est du renversement de la présomption vu la jurisprudence en la matière sur le renversement de la présomption figurant à l’article 9 de la loi du 10 avril 1971, et d’autre part la portée de la notion de cause directe et déterminante : il faut entendre par là que la maladie professionnelle ne se serait pas déclarée sans le facteur professionnel, qu’elle se serait déclarée autrement et, ainsi, qu’elle ne se serait pas déclarée au moment où elle est apparue ou encore qu’elle se serait déclarée moins gravement.


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