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Réclamation d’un indu en AMI : conditions de l’effet interruptif de la lettre recommandée

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 26 août 2020, R.G. 16/1.904/A

Mis en ligne le vendredi 26 février 2021


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 26 août 2020, R.G. 16/1.904/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 26 août 2020, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) rappelle la jurisprudence en la matière : toute lettre recommandée n’est pas interruptive de prescription. Elle doit, pour avoir cet effet, manifester la volonté du créancier d’exercer son droit et d’obtenir le paiement de sa créance.

Rétroactes

Le Tribunal du travail du Hainaut a été saisi de neuf requêtes successives concernant deux personnes physiques, les opposant à l’INAMI et à deux organismes assureurs. Certaines de ces requêtes ont été introduites à l’initiative (séparée) des deux personnes en cause, d’autres étant mues à l’initiative des institutions de sécurité sociale, sollicitant la réclamation d’un indu, au motif de cohabitation non déclarée.

La décision du tribunal

Le tribunal commence par joindre l’ensemble des actions, pour connexité. Il constate, quant aux faits, que c’est une dénonciation d’un tiers qui a amené les institutions de sécurité sociale à investiguer quant à la situation des deux personnes en cause. Celles-ci semblent cohabiter depuis une longue période (le tribunal retiendra que la situation n’est pas claire quant au début de la cohabitation, cette circonstance étant cependant de peu d’intérêt, vu l’application des règles de prescription).

Le point central de la discussion étant de vérifier s’il y a cohabitation ou non, le tribunal reprend l’article 226 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. En vertu de celui-ci, est considéré comme travailleur sans personne à charge auquel une indemnité plus élevée peut être accordée pour perte de revenu unique le titulaire qui apporte la preuve soit qu’il vit seul, soit qu’il cohabite exclusivement avec des personnes qui ne bénéficient d’aucun revenu et ne sont pas considérées comme personnes à charge. Est considéré comme revenu tout revenu au sens de l’article 225, § 3, de l’arrêté (qui vise la notion d’activité professionnelle, les plafonds n’étant cependant pas applicables). Des cas d’assimilation sont repris à l’article 226bis.

La question de la cohabitation doit, pour le tribunal, s’entendre comme le fait pour deux ou plusieurs personnes de vivre ensemble sous le même toit, tout en faisant ménage commun. L’article 225, § 4, alinéa 2, de l’arrêté royal dispose spécifiquement que la preuve de la cohabitation peut résulter des informations figurant au registre national, exception faite des cas dans lesquels il ressort d’autres documents probants produits à cet effet que la situation à prendre en considération ne correspond pas ou plus avec cette information.

S’il y a erreur ou fraude, les prestations indues (soins de santé, indemnités ou maternité) doivent être remboursées à l’organisme assureur qui les a octroyées.

Constatant que la période litigieuse s’étend du 31 décembre 2006 au 28 avril 2015, le tribunal n’examine que la question de la récupération à partir de 2011.
De nombreux devoirs ont été effectués, la police de la ZP Mons/Quévy ayant ouvert un dossier en 2014 et des enquêtes de voisinage ayant été faites. La cohabitation est dès lors établie à suffisance de droit.

Sur la prescription, se pose la question de manœuvres frauduleuses, notion qui n’a pas été définie dans la loi. Pour le tribunal, il faut se référer au droit commun, étant qu’est exigé un agissement malhonnête, réalisé malicieusement en vue de tromper l’organisme assureur. En outre, en matière de prescription, il faut tenir compte des interruptions éventuelles. Ainsi est exigée une mise en demeure interruptive adressée par voie recommandée.

Sur la question de savoir si toute lettre recommandée est admise ou non, le tribunal considère, conformément à la jurisprudence de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, 26 octobre 2006, R.G. 33.126/05), que, pour qu’il y ait interruption de la prescription, il faut que la lettre recommandée chiffre le montant réclamé, l’effet interruptif n’étant pas attaché à toute communication généralement quelconque. Il faut que soit manifestée la volonté du créancier d’exercer son droit et d’obtenir le paiement de sa créance. Par sa formulation, l’acte litigieux ne peut laisser planer aucun doute dans l’esprit de celui à qui il s’adresse quant aux droits dont la reconnaissance est revendiquée et quant à l’obligation qui en découle dans le chef du débiteur, le tribunal renvoyant ici à un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 17 janvier 2018, RG 2016/AM/281).

En l’espèce, il est constaté que les deux intéressés ont sciemment et volontairement complété et signé à plusieurs reprises des formulaires destinés à leur organisme assureur en y indiquant des mentions inexactes, intention malicieuse qui a perduré pendant plusieurs années en vue de tromper celui-ci et d’obtenir un avantage auquel ils n’avaient pas droit. La fraude est dès lors retenue.

Quant à la prescription, le tribunal rejette une lettre recommandée envoyée par l’organisme assureur en juin 2015, au motif d’une formulation insuffisante à interrompre la prescription, son destinataire n’ayant pas pu en déduire l’objet précis de la récupération ni même faire droit à la demande de remboursement, ni encore savoir si la mauvaise foi était retenue à son encontre.

Sont dès lors admises les réclamations en vue du remboursement de l’indu pour la période concernée. Les débats sont cependant rouverts aux fins de permettre de chiffrer celui-ci.

Intérêt de la décision

La question de la cohabitation ne suscite pas, dans cette affaire, de commentaires particuliers, les faits suffisant à démontrer celle-ci. L’on notera cependant que, encore une fois, la juridiction du travail a retenu la définition de la cohabitation telle qu’admise transversalement dans les divers secteurs de la sécurité sociale.

L’intérêt particulier de ce jugement, à nos yeux, réside dans l’appréciation faite de l’effet interruptif d’un courrier recommandé adressé à l’assuré social. Le tribunal a ici retenu, selon la jurisprudence des cours du travail de Mons et de Liège, que toute sommation n’a pas cet effet interruptif. Dans sa décision du 17 janvier 2018, la Cour du travail de Mons avait retenu que l’effet interruptif n’est pas attaché à toute communication généralement quelconque, mais à une sommation, c’est-à-dire à la manifestation de la volonté du créancier d’exercer son droit et d’obtenir le paiement de sa créance. Cette condition est expressis verbis reprise dans le jugement du Tribunal du travail du Hainaut.

La Cour du travail de Mons avait, dans cet arrêt, rejeté qu’un courrier envoyé à l’assuré social puisse avoir cet effet interruptif, dans la mesure où il était purement conservatoire, l’organisme assureur n’ayant pas manifesté sa volonté d’exercer son droit en vue d’obtenir le paiement de sa créance.

L’on peut encore rappeler un arrêt de la Cour du travail de Liège du 26 octobre 2006 (R.G. 33.126/05), qui avait conclu que le texte légal ne signifie nullement que n’importe quelle lettre recommandée interrompt la prescription et que suivre ce raisonnement aboutirait à la conclusion qu’il suffirait aux mutuelles d’adresser tous les deux ans une lettre recommandée standardisée et vague à tous leurs affiliés pour éviter toutes les prescriptions libératoires possibles. La cour exigeait dans cet arrêt que, pour qu’une lettre recommandée interrompe la prescription, il fallait qu’au moins elle chiffre le montant réclamé.


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