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Interdiction de cumul d’indemnités en A.M.I. : une précision importante de la Cour du travail de Bruxelles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 juin 2020, R.G. 2019/AB/239

Mis en ligne le vendredi 26 février 2021


Cour du travail de Bruxelles, 17 juin 2020, R.G. 2019/AB/239

Terra Laboris

Dans un arrêt du 17 juin 2020, la Cour du travail de Bruxelles tranche un litige entre l’I.N.A.M.I. et un organisme assureur quant à la méthode à adopter pour le calcul de l’indemnité de mutuelle devant être réduite en cas d’octroi d’une réparation du préjudice matériel de l’incapacité permanente en droit commun.

Les faits

Suite à un accident de roulage, une assurée sociale s’est retrouvée en incapacité de travail, et ce depuis l’année 2003. Elle est reconnue invalide par le C.M.I., pour une longue durée encore. Les séquelles de l’accident en cause ont été consolidées à 30% et une transaction est intervenue en vue de régler l’indemnisation de celles-ci entre l’intéressée et l’assureur du tiers responsable. Dans le cadre de cette transaction, un poste de 45.000 euros a été prévu au titre de réparation du préjudice matériel et ménager (incapacité permanente).

L’organisme assureur A.M.I., appliquant l’article 136, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, a considéré que la moitié de l’indemnité constitue le préjudice matériel et a divisé celle-ci par le nombre d’années restant à courir jusqu’à ce que l’intéressée atteigne l’âge de la pension. Il a ensuite divisé ce dernier montant par le nombre de jours indemnisables par an, soit 312 jours. Une déduction est ainsi opérée, sur l’indemnité journalière, déduction de 2,32 euros.

L’I.N.A.M.I. considère pour sa part qu’il y a une erreur dans cette façon de procéder, étant que la totalité du montant de l’indemnité aurait dû être prise en compte et que, vu l’âge de l’intéressée, il fallait prendre un coefficient fixé dans une circulaire (étant de l’ordre de 16 euros) afin de convertir le capital en rente annuelle. L’indemnité journalière doit ainsi être réduite d’un montant de l’ordre de 9 euros.

Une procédure a été entamée à la demande de l’organisme assureur devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Celui-ci a rendu son jugement le 21 février 2019, faisant partiellement droit à la demande. Le premier juge a considéré que le montant de 45.000 euros devait être divisé par deux, le calcul de l’I.N.A.M.I. étant cependant confirmé pour le surplus.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’organisme assureur appelant conteste l’application du coefficient fixé par l’I.N.A.M.I. et demande la confirmation de sa méthode, étant de diviser par 31, et ensuite par 312, le montant de 22.500 euros, obtenant ainsi l’indemnité journalière à prendre en compte. Il sollicite ainsi la confirmation de son calcul, étant que c’est un montant de 2,32 euros qui doit venir en déduction.

Quant à l’I.N.A.M.I., il demande confirmation de sa propre méthode de calcul, mais sollicite également que la cour confirme sa position quant à la prise en compte de la totalité de l’indemnité.

La décision de la cour

La cour rappelle le prescrit de l’article 136, § 2, alinéa 1er, de la loi coordonnée, qui interdit le cumul des prestations avec des indemnités venant réparer le même dommage (maladie, lésions, troubles fonctionnels ou décès), sauf cependant lorsque cette réparation est inférieure aux prestations de l’assurance, le bénéficiaire ayant dans cette hypothèse droit à la différence. Cette disposition ne prévoit pas le mode de calcul de la différence éventuelle.

En ce qui concerne le montant à prendre en compte, soit 45.000 euros, ou la moitié de ce montant, la cour se rallie à la position du premier juge. Elle considère en effet qu’à défaut de ventilation dans la convention de transaction entre le préjudice matériel et le préjudice ménager, l’on ne peut prendre la totalité en compte, ce qui aboutirait à considérer que le préjudice ménager n’est pas cumulable avec les indemnités de mutuelle. Ceci ne peut être admis, vu que le préjudice ménager n’est pas couvert par le secteur A.M.I.

Dans la convention, cependant, des indications ont été apportées quant à l’existence de ce préjudice ménager. Dès lors, aucun élément ne permettant d’opérer une ventilation entre les deux préjudices, la cour conclut ne pas voir d’élément qui permet de procéder autrement que « par moitié », les deux préjudices ayant été couverts par un même montant.

Pour ce qui est du coefficient, la cour souligne n’être nullement tenue par l’interprétation qu’a faite l’I.N.A.M.I. de la disposition légale, par le biais de circulaire à destination des mutuelles. Elle écarte dès lors celle-ci, retenant que le seul élément à prendre en compte est la durée séparant l’âge de la consolidation des lésions de celui de la pension, et ce vu que les indemnités A.M.I. ne sont plus versées au-delà de celui-ci.

Par ailleurs, l’assureur ayant effectué un calcul par capitalisation, il a déjà pris en compte l’espérance de vie de l’intéressée ainsi que le gain obtenu par l’octroi du montant couvrant le préjudice futur et il n’y a pas lieu d’appliquer une nouvelle fois ces paramètres. Procéder de la sorte aboutirait à faire subir à l’intéressée une déduction injustifiée.

Enfin, la cour rejette le taux d’intérêt retenu par l’I.N.A.M.I. (5%), ce taux n’étant plus du tout de l’ordre de ceux accordés sur le marché de l’épargne.

Elle fait dès lors droit à la position de l’organisme assureur. L’indemnité journalière est ainsi calculée sur la base de la moitié de l’indemnité accordée pour les deux préjudices, à diviser par 31 (années à courir avant l’âge de la pension), et à diviser encore par 312 (nombre d’indemnités journalières versées sur base annuelle).

La cour annule dès lors le rapport de l’I.N.A.M.I. et dit pour droit que l’organisme assureur est autorisé de procéder ainsi qu’il l’a fait.

Intérêt de la décision

La règle d’interdiction de cumul est connue, l’article 136, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 trouvant très souvent à s’appliquer. La question tranchée par cet arrêt est de déterminer la méthode à retenir lorsque l’indemnisation du dommage est, comme en l’espèce, inférieure aux indemnités légales.

Très souvent, la réparation du dommage en droit commun intervient dans le cadre d’un règlement amiable, généralement suite à une expertise médicale amiable, de telle sorte que l’hypothèse de la convention de transaction qui est ensuite signée par les parties est très souvent rencontrée. Il n’est pas rare, lorsque cette convention est rédigée, que celles-ci négligent de prévoir les conséquences que la réparation convenue aura sur l’octroi des indemnités A.M.I.

En l’espèce, le préjudice matériel et le préjudice ménager ont été réparés par une seule indemnité globale. Ceci, dans un souci de facilité, le taux retenu étant identique pour chacun des deux éléments. Cependant, comme le tribunal le rappelle très justement, le préjudice ménager n’intervient pas dans la règle de cumul de l’article 136, § 2, s’agissant d’un élément du dommage tout à fait distinct et étranger à la réparation en sécurité sociale. Dans la mesure où ne figure pas dans la loi de méthode à suivre afin de déterminer l’incidence financière de l’octroi anticipé de la réparation du préjudice matériel, se pose ainsi la question de la méthode à suivre, puisque celui-ci porte, dans le cadre de l’évaluation de l’incapacité permanente, sur l’octroi de la réparation pour l’avenir et que l’article 136, § 2 trouvera à s’appliquer si la victime de l’accident continue à dépendre du secteur AMI.

La cour a ici pris une décision claire en ce qui concerne les éléments d’évaluation élaborés par l’I.N.A.M.I. dans des circulaires à destination des mutuelles : ceux-ci ne sont pas opposables et contiennent d’ailleurs des éléments de calcul portant préjudice à l’assuré social (ainsi prise en compte une nouvelle fois d’un paramètre de capitalisation qui est déjà intervenu lors de la fixation du dommage matériel en droit commun). La cour du travail a opté pour une méthode simple, logique et transparente : prise en compte du chiffre accordé en droit commun (avec la difficulté en l’espèce de l’absence de ventilation avec le préjudice ménager), à diviser par le nombre d’années susceptibles d’être couvertes par des indemnités A.M.I. et à diviser encore par le nombre d’indemnités versées par an.


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