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Réduction de cotisations de sécurité sociale pour premier engagement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 mai 2020, R.G. 2018/AB/979

Mis en ligne le vendredi 26 février 2021


Cour du travail de Bruxelles, 7 mai 2020, R.G. 2018/AB/979

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 mai 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, dans la matière de la réduction de cotisations de sécurité sociale, la notion d’unité technique d’exploitation est distincte de celle valant dans la matière des élections sociales, pouvant ici viser une société qui n’existe plus. Par ailleurs, est prise en compte l’activité réellement exercée et non l’activité possible.

Les faits

Une société fut créée en 1998 par une personne physique, société qui prit la forme d’une S.P.R.L.U. L’acte de constitution précise, en ce qui concerne son objet, qu’il s’agit d’un bureau de conseils, d’études et d’organisation. Un nouveau gérant fut nommé en 2006 et le siège de la société fut déplacé. En 2014, ce dernier est devenu gérant unique. En 2015, la société engagea un employé et demanda à bénéficier de la réduction de cotisations de sécurité sociale pour premier engagement (conformément à l’article 344 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002). Ce fut le seul travailleur déclaré à l’O.N.S.S. Cet employé avait précédemment été au service d’une S.P.R.L., et ce depuis 2009, société qui venait de faire faillite.

L’O.N.S.S. fit ensuite une enquête, dont il ressortit que les conditions permettant d’obtenir la réduction des cotisations de sécurité sociale n’étaient pas remplies. Les dispositions légales furent rappelées à la société dans une décision du 3 août 2017, dont la définition de la même unité technique d’exploitation. Pour l’Office, les deux sociétés (celle qui était tombée en faillite et la société qui avait repris le travailleur par la suite) constituent une même unité technique d’exploitation, le critère social étant rempli (même gérant et même travailleur) ainsi que le critère économique (mêmes activités, mêmes bureaux et même siège d’exploitation). L’Office pointait également la reprise de la clientèle et de contrats en cours. Il annonçait dès lors supprimer l’accord donné pour la réduction des cotisations.

Une procédure fut introduite par la société devant le Tribunal du travail de Louvain, qui la débouta par jugement du 22 octobre 2018. Le tribunal accueillit la demande reconventionnelle de l’O.N.S.S., qui portait sur le paiement d’un montant de 20.000 euros environ, en principal, à majorer des intérêts légaux et des dépens. La société a interjeté appel.

La décision de la cour

La cour procède à un rappel des principes qui ont amené le législateur à accorder la réduction de cotisations de sécurité sociale pour groupes cibles dans la loi-programme (I) du 24 décembre 2002. Elle rappelle que la Cour de cassation est intervenue à diverses reprises et cite un très large extrait de son arrêt du 29 avril 2013 (Cass., 29 avril, n° S.12.0096.N), qui a jugé qu’il y a lieu d’examiner, à la lumière de critères socio-économiques, s’il y a unité technique d’exploitation entre les deux sociétés. Pour la Cour suprême, ceci implique d’examiner si l’entité qui occupe le travailleur nouvellement engagé a des liens sociaux et économiques avec celle qui, au cours des douze mois précédant le nouvel engagement, a occupé un travailleur qui est remplacé par le nouveau travailleur. La circonstance qu’un travailleur licencié par son employeur est engagé quelques mois plus tard par un autre employeur n’empêche pas qu’il faut prendre ce travailleur en compte lors de l’examen de l’éventuelle existence d’un lien social entre les deux entités.

Les déclarations du gérant apportent un éclairage quant aux activités exercées, celui-ci précisant qu’après la faillite, les activités de la société faillie ont été reprises par l’autre société. La cour constate que la société faillie occupait d’autres travailleurs mais que ceux-ci n’ont pas été repris. La deuxième société a été constituée peu après la faillite de la première et elle a repris le travailleur qui connaissait les clients et le travail effectué. Celui-ci permettait dès lors la poursuite de la même activité, précisée par le gérant comme étant un bureau de management et de comptabilité à destination des artistes.

La cour souligne également que le siège de la deuxième société a été quelque temps après la faillite déplacé vers celui de la première. Celle-ci avait encore une certaine activité au moment de la faillite, puisque la clientèle et les contrats ont fait l’objet d’une reprise, négociée avec le curateur. Par ailleurs, la circonstance qu’avant l’engagement de cet employé et la reprise des activités de la société faillie, la nouvelle société constituée exerçait des activités tout autres est indifférente, vu la modification intervenue peu de temps après.

La cour puise encore dans d’autres éléments de fait au niveau de l’activité déployée pour confirmer sa conclusion. Elle rejette que la possibilité pour la société d’exercer d’autres activités puisse modifier cet état de choses, dans la mesure où, concrètement, les activités sont restées les mêmes depuis l’engagement de l’employé, et ce jusqu’à l’audition du gérant.

Enfin, répondant à un argument de la société en ce qui concerne la définition de l’unité technique d’exploitation, la cour rappelle que, dans le texte initial de l’article 344 de la loi-programme (i) du 24 décembre 2002, un renvoi était fait à l’article 14 de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie. Ceci a cependant fait l’objet d’une modification, par la loi-programme du 22 décembre 2003, où cette référence a été supprimée (avec renvoi à l’Exposé des motifs, Doc. 51 0473/001 de la Chambre).

Les deux définitions sont dès lors distinctes, la loi du 24 décembre 2002 n’excluant pas qu’il puisse y avoir une même unité technique d’exploitation, dans l’hypothèse où l’employeur précédent a disparu.

La cour conclut dès lors à la confirmation du jugement.

Intérêt de la décision

La question de la réduction des cotisations de sécurité sociale pour premier engagement fait régulièrement l’objet de décisions judiciaires.

Rappelons l’arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 2019 (Cass., 9 décembre 2019, n° S.19.0017.N – précédemment commenté), qui a reprécisé ce qu’il faut étendre par « engagement d’un nouveau travailleur ».

Pour la Cour, pour qu’un employeur soit considéré comme nouvel employeur au sens de l’article 28/1, 2e alinéa, 2°, de l’arrêté royal du 16 mai 2003 pris en exécution du chapitre 7 du Titre IV de la loi programme (I) du 24 décembre 2002, il ne doit pas seulement constituer une autre entité juridique, mais il faut également que l’entreprise qu’il exploite ne puisse être considérée comme la même unité technique d’exploitation que l’entreprise déclarée en restructuration ou en faillite. Il faut, en vertu de l’article 344 de la loi-programme, qu’un nouvel engagement donne lieu à une création réelle d’emplois. Pour déterminer si le nouvel engagé remplace un travailleur qui était actif dans la même unité technique d’exploitation au cours des quatre trimestres précédant l’engagement, il faut faire une comparaison entre la consistance du personnel de cette unité technique d’exploitation au moment de l’entrée en service du nouvel engagé d’une part et le nombre maximal de personnel occupé dans cette unité technique d’exploitation dans le cours des quatre trimestres précédant cet engagement de l’autre. Ce n’est que si la consistance du personnel a augmenté et qu’il est satisfait aux autres conditions légales que la réduction de cotisations sera accordée. Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait cassé l’arrêt de fond soumis à sa censure, au motif que la cour du travail n’avait pas pris en compte l’augmentation du personnel mais uniquement le volume de travail effectué par les travailleurs. De ce fait, elle ne justifiait pas sa décision en droit.

Soulignons encore que, dans l’arrêt annoté, la Cour du travail de Bruxelles renvoie à deux autres arrêts de la Cour de cassation (non publiés sur Juridat, étant Cass., 7 avril 2014, n° S.12.0135.N et Cass., 5 mai 2014, n° S.13.0068.N).


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