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Chômage : travail effectué à l’étranger et admissibilité aux allocations

Commentaire de C. trav. Mons, 25 juin 2020, R.G. 2019/AM/213

Mis en ligne le vendredi 26 février 2021


Cour du travail deMons, 25 juin 2020, R.G. 2019/AM/213

Terra Laboris

Dans un arrêt du 25 juin 2020, la Cour du travail de Mons reprend les conditions d’admissibilité aux allocations de chômage en cas de prestations effectuées à l’étranger, s’agissant en l’espèce d’une ressortissante d’un Etat avec lequel la Belgique est liée par convention internationale bilatérale.

Les faits

Une personne de nationalité algérienne est en Belgique depuis 2008, ayant bénéficié d’un regroupement familial suite à son mariage.

Ayant travaillé en qualité de salariée en Algérie, elle introduit une demande d’allocations de chômage. Celle-ci est refusée au motif de l’absence de prestations en Belgique. Une seconde demande est introduite ultérieurement, cette fois suite à des prestations en qualité de salariée, et l’intéressée est admise au bénéfice des allocations. Le dossier constitué permet en effet pour l’ONEm de confirmer une occupation en qualité de secrétaire dans une société pendant une période de trois ans et demi.

Une enquête est cependant effectuée par l’ONEm quatre ans plus tard. L’intéressée est alors auditionnée. Il lui est demandé une attestation de la C.N.A.S. (Caisse Nationale d’Assurances Sociales) établissant les prestations de travail à l’étranger. L’affaire prend un tour pénal, un Pro Justitia étant rédigé et transmis au SPF Emploi, Direction des amendes administratives. Celui-ci n’inflige pas d’amende, la sanction administrative à prendre par l’ONEm étant privilégiée.

Une décision est dès lors prise d’exclure l’intéressée du droit aux allocations depuis la demande et de récupérer l’ensemble des montants perçus. Une sanction de cinquante-deux semaines est également prise, au motif de l’usage de documents inexacts, usage intentionnel.

Suite au recours introduit par l’intéressée, le tribunal du travail rend un jugement le 3 mai 2019. Il la déboute de sa demande. Elle interjette dès lors appel.

Position des parties devant la cour

L’appelante fait valoir qu’elle ignorait qu’elle n’avait pas été déclarée à la sécurité sociale algérienne et précise qu’elle entend introduire un recours sur place pour régulariser la situation. Pour l’ONEm, il n’y a pas de preuve de prestations effectives, la situation concernant à la fois la période d’occupation en Algérie et celle en Belgique.

La décision de la cour

La cour reprend les règles en matière d’admissibilité aux allocations de chômage.

En ce qui concerne les prestations de travail effectuées par le demandeur d’allocations, deux conditions sont mises par l’arrêté royal organique, étant que la rémunération payée soit au moins équivalente au salaire minimum (la référence étant le salaire figurant dans une disposition légale ou réglementaire, une C.C.T. ou l’usage) et que, sur la rémunération, aient été effectuées les retenues de cotisations de sécurité sociale, en ce compris pour le secteur chômage.

Pour les prestations effectuées à l’étranger, l’article 37, § 2, de l’arrêté royal organique précise que celui-ci doit avoir été un emploi qui donnerait lieu en Belgique à de telles retenues. En outre, il y a obligation pour le travailleur d’avoir accompli des périodes de travail comme salarié sur le territoire belge.

La cour rappelle la modification intervenue par l’arrêté royal du 11 septembre 2016, qui a fixé une période minimale pour ce qui concerne les prestations en Belgique, étant de trois mois. Le texte actuel de la disposition prévoit ainsi que le travail effectué à l’étranger n’est pris en considération que dans les limites des conventions bilatérales et internationales et pour autant que le travailleur ait, après celui-ci, accompli des périodes de travail comme salarié selon la réglementation belge pendant au moins cette période.

Les faits datant de 2008, la cour considère cependant qu’il y a lieu d’appliquer la réglementation dans sa mouture existant depuis le 1er octobre 2016 (date d’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 11 septembre ci-dessus). Elle considère en effet que, si les lois ne disposent que pour l’avenir et n’ont pas d’effet rétroactif (ceci visant également les arrêtés réglementaires), les effets de l’admissibilité se sont prolongés sous l’empire de l’arrêté royal du 11 septembre 2016, puisque la remise en cause de cette décision s’étend jusqu’au 18 janvier 2017 (date de la décision d’exclusion et de récupération) ou, à tout le moins, jusqu’au 31 décembre 2016.

La cour du travail renvoie à divers arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 28 novembre 1996, n° S.96.0039.F, selon lequel la loi nouvelle s’applique non seulement aux situations qui naissent à partir de son entrée en vigueur mais aussi aux effets futurs de situations nées sous le régime de la loi antérieure qui se produisent ou se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits irrévocablement fixés).

Il découle, pour la cour du travail, de la jurisprudence de la Cour de cassation que, inversement, la loi nouvelle ne peut être appliquée aux situations qui ont épuisé tous leurs effets au temps de la loi ancienne. Elle considère dès lors que, pour ce qui est des périodes d’occupation en Belgique, celles-ci doivent être d’un minimum de trois mois, alors qu’en l’espèce, elles ont été bien inférieures.

Pour ce qui est par ailleurs des prestations à l’étranger, la cour rappelle qu’une convention internationale est nécessaire. Celle-ci existe, s’agissant de la Convention signée le 27 février 1968 entre l’Algérie et la Belgique. Elle pose comme condition qu’est admise l’occupation dans tout Etat du monde, mais à la condition que cette occupation, si elle avait été effectuée en Belgique, aurait été considérée comme un travail salarié assujetti à la sécurité sociale ou que le travail presté dans le pays dont le demandeur est originaire ait été assujetti dans ce pays. En outre, des périodes de travail salarié (dont la durée n’est pas précisée) doivent avoir été accomplies en Belgique postérieurement aux prestations à l’étranger et avant la demande d’octroi des allocations de chômage.

Examinant les éléments de l’espèce, la cour constate des anomalies dans les documents produits et retient notamment l’absence d’attestation de la C.N.A.S. pour confirmer le jugement.

Intérêt de la décision

Les données de fait en cette affaire ont amené tant le tribunal que la cour du travail à confirmer la décision de l’ONEm. La preuve des prestations à l’étranger n’était en effet pas rapportée à suffisance de droit.

Si la cour ne réserve pas de développements à la réalité des prestations effectuées en Belgique (qui n’a pas fait l’objet de discussions), elle estime cependant pouvoir appliquer à une décision de 2008 (rendue à partir des conditions d’admissibilité fixées à l’époque) des conditions plus sévères mises huit ans plus tard, étant l’exigence d’un minimum de prestations sur le territoire belge en qualité de salarié pendant une période de trois mois. L’absence de précision quant à une durée minimale dans la version antérieure du texte amenait ainsi à retenir des périodes d’occupation très courtes, ce qui a amené à une modification du texte.

A la lecture de cet arrêt, se pose la question du bien-fondé de l’application de conditions nouvelles, en vigueur depuis 2016, à une décision d’admissibilité prise huit ans auparavant alors que toutes les conditions légales requises étaient à ce moment remplies.

Cette manière de voir est manifestement source d’insécurité juridique. Si le droit aux allocations de chômage n’était pas irrévocablement fixé vu la possibilité pour l’ONEm de procéder à la revision du dossier, les conditions d’admissibilité ont été considérées comme étant remplies selon l’examen fait lors de l’introduction de la demande. C’est en fin de compte suite à un réexamen du dossier initial que le droit a été remis en question. Ceci n’est à notre estime nullement de nature à entraîner une application rétroactive de la loi nouvelle.


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