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Refus du port du masque au travail et motif grave

Commentaire de Trib. trav. Anvers (div. Hasselt), 8 juillet 2020, R.G. 20/521/A

Mis en ligne le vendredi 26 février 2021


Tribunal du travail d’Anvers (division Hasselt), 8 juillet 2020, R.G. 20/521/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 8 juillet 2020, le Tribunal du travail d’Anvers (division Hasselt) a fait droit à la demande introduite par une entreprise d’autorisation de licencier un candidat aux élections sociales 2020 pour motif grave, l’un des faits reprochés étant le refus du port du masque imposé par l’employeur en mai 2020.

Les faits

Une société introduit une demande d’autorisation de licencier un ouvrier, dans le courant du mois de mai 2020, devant le Tribunal du travail d’Anvers (division Hasselt). Celui-ci a été présenté comme candidat aux élections sociales de l’année 2020, pour le C.P.P.T. Les faits sur lesquels l’employeur se fonde consistent dans la dégradation de matériel de l’entreprise et le refus de l’intéressé de porter le masque imposé par l’employeur dans le cadre des mesures liées à la crise sanitaire. Celui-ci a en effet rendu le port du masque obligatoire, et ce aux fins de garantir la sécurité des travailleurs, l’intéressé étant occupé comme opérateur sur une chaîne de production. Pour l’employeur, le refus de porter le masque porte atteinte à la sécurité du travailleur lui-même ainsi qu’à celle de ses collègues, comportement jugé inacceptable. L’employeur précise que des incidents ont également opposé l’intéressé à sa hiérarchie, par le passé.

La procédure a dès lors été entamée et les parties ont plaidé devant le tribunal, aucune conciliation n’ayant pu intervenir dans le cadre de la phase préliminaire de la procédure.

La décision du tribunal

Après avoir conclu à la régularité de la procédure introduite eu égard au prescrit des articles 4, 5, 6 et 7 de la loi du 19 mars 1991, le tribunal examine le motif grave invoqué.

Il fait une première remarque, quant au motif grave pouvant être imputé à un travailleur protégé au sens de la loi du 19 mars 1991, relevant que, dans les travaux préparatoires, il a été clairement dit qu’il n’y a pas de distinction à opérer, en matière de motif grave, selon que le travailleur est protégé (soit travailleur effectif, soit candidat) ou non (renvoyant à l’Exposé des motifs, Sénat, 1990-91, 1105-1). L’appréciation du juge qui examine le motif grave imputé à un travailleur protégé ne peut dès lors être ni plus stricte ni plus souple.

Le tribunal rappelle, ainsi, les principes en la matière, dont notamment celui qui veut que toute faute ou tout manquement ne constitue pas nécessairement un motif grave, cette faute ou ce manquement devant atteindre un degré de gravité tel qu’il ruine la confiance dans le chef du co-contractant. Le motif grave doit avoir pour effet de rendre la relation de travail immédiatement impossible. Dès lors que tel n’est pas le cas, le juge conclura que les fautes ou manquements invoqués ne constituent pas un motif grave (avec renvoi ici Cass., 12 janvier 1981, n° 74/347). Sur le plan de la preuve, il rappelle encore la règle selon laquelle, en cas de doute sur l’existence de la faute invoquée, celui-ci joue en faveur du travailleur.

En l’espèce, le tribunal constate qu’il doit répondre à deux questions : la première porte sur la preuve des motifs invoqués et la seconde est de savoir si, ces motifs étant établis, ils sont suffisamment graves pour annihiler le rapport de confiance entre les parties et justifier le licenciement immédiat.

Il examine dès lors les éléments apportés par l’employeur, qui sont au nombre de trois. Il s’agit d’abord de photos d’un écran. Il s’agit d’un écran endommagé par le travailleur quelque temps avant la demande d’autorisation de licencier et le tribunal retient cet élément. L’employeur produit également des photos prises par des caméras. Celles-ci ont été placées dans le respect de la C.C.T. n° 68 et les images sont explicites quant aux faits reprochés (étant un coup donné à l’écran en cause). Vient également appuyer la demande de la société la déclaration d’un collègue à qui l’intéressé avait relaté les faits en cause, les minimisant cependant. Il ressort de ces éléments que les faits reprochés au titre de dégradation de matériel sont établis.

Le tribunal en vient ensuite au refus de porter le masque et constate que figurent au dossier de l’employeur des déclarations de témoins ainsi que des emails échangés entre deux membres de la ligne hiérarchique. Le travailleur s’opposant à la prise en compte de ces courriels au motif que leurs signataires sont des membres de la direction, le tribunal rejette cet argument, au motif qu’ils ont été rédigés in tempore non suspecto et qu’ils étaient destinés à un usage interne, n’étant pas échangés « pour les besoins de la cause ». Il y a lieu, pour le tribunal, de retenir leur caractère objectif et authentique.

Les faits sont dès lors considérés comme établis.

Quant à la question de savoir s’ils sont graves et peuvent être invoqués comme motif grave, le tribunal retient, pour la destruction de l’écran, qu’il s’agit d’un manquement à l’article 17 de la loi relative aux contrats de travail, dont le texte est repris. Cet article, qui impose au travailleur d’exécuter son travail avec soin et probité, n’exige pas que le comportement du travailleur soit intentionnel. En l’espèce, il constate que le comportement reproché en lui-même est constitutif de motif grave, et ce d’autant plus que l’intéressé avait des ouvriers sous ses ordres.

Pour ce qui est du masque, le refus de le porter est également considéré comme un motif grave, le tribunal soulignant la gravité de la situation due à la pandémie et les efforts qui, en conséquence, ont été exigés de chacun.

L’activité de l’employeur (industrie alimentaire) exige d’autant plus une hygiène stricte et le respect de conditions de sécurité, dans un souci de protection non seulement du consommateur mais également des travailleurs occupés dans l’entreprise. Le tribunal retient encore que, lorsque l’employeur a imposé le masque, les obligations de distanciation sociale ne pouvaient être respectées – ou ne pouvaient l’être que très difficilement.

Il s’agit en outre d’un manquement aux obligations figurant dans le règlement de travail, obligations relatives à l’hygiène et aux normes de sécurité. Le motif grave est dès lors fondé, dans la mesure où le travailleur a mis en cause non seulement sa propre sécurité, mais également celle de ses collègues.

Le tribunal accueille, en conséquence, la demande de l’employeur, autorisant le licenciement motif grave.

Intérêt de la décision

Sur le premier motif, relatif à la dégradation de matériel, la décision rendue est classique, tant pour ce qui est des règles de preuve que du fond, un manquement étant constaté à l’article 17 de la loi du 3 juillet 1978 et aucune contestation sérieuse n’ayant été élevée dans le cours de la procédure par le travailleur quant à l’absence de gravité de la faute commise.

C’est cependant le second motif qui est neuf dans la jurisprudence. Le refus de l’instruction donnée par l’employeur est examiné à partir de la question de sécurité, étant la mise en danger du travailleur lui-même ainsi que de ses collègues, la nature de l’activité de l’entreprise ayant en outre été relevée par le tribunal. Ce deuxième fait présente, sur le plan du motif grave, deux aspects, étant d’une part le refus (volontaire) d’ordre et, d’autre part, un manquement aux règles de sécurité dans l’entreprise. Le caractère licite de l’ordre donné par l’employeur n’est nullement contesté, non plus que contestable, et il s’inscrit dans les obligations contractuelles. C’est donc assez logiquement que l’impossibilité de la poursuite de la relation de travail a été constatée.

Rappelons sur la question que le Conseil d’Etat a rendu un arrêt le 5 août 2020 (C.E., 5 août 2020, n° 248.124), dans lequel il a notamment jugé que l’obligation de porter le masque en certaines circonstances se fonde sur des préconisations scientifiques et que l’atteinte alléguée au ‘droit de vivre ensemble’ n’était pas démontrée. Il a en conséquence refusé la suspension de l’arrêté ministériel du 30 juin 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du virus.


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