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Charge psychosociale : mesures à prendre par l’employeur dans le cadre de la loi du 4 août 1996

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 mai 2020, R.G. 2020/AB/407

Mis en ligne le vendredi 26 février 2021


Cour du travail de Bruxelles, 26 mai 2020, R.G. 2020/AB/407

Terra Laboris

Dans un arrêt du 26 mai 2020, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé les obligations de l’employeur, en application de la loi du 4 aout 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, dès lors qu’il est informé de l’existence d’une charge psychosociale affectant un travailleur de l’entreprise.

Les faits

Une employée, au service d’une administration communale depuis 1982, preste en qualité d’auxiliaire administrative. Au fil du temps, ses fonctions se précisent. Elle est en fin de compte chargée de l’animation de l’école des devoirs, offrant un soutien scolaire aux enfants de l’enseignement primaire après les heures de cours. En décembre 2012, lors d’une réunion, l’intéressée fait un malaise suite à un incident survenu au cours de la discussion. Elle est ensuite absente pour raisons médicales.

Son conseil prend contact avec l’administration communale, faisant état d’une situation de harcèlement vécue par sa cliente, et demande qu’une attitude respectueuse soit adoptée envers elle à l’avenir.

Une médiation est proposée, mais la travailleuse la refuse, demandant à être transférée à un autre poste. Elle est reçue par le responsable du Service Mobilité interne aux fins de réaliser un bilan de compétences. A cette occasion, l’intéressée exprime son choix d’être affectée à un projet pédagogique qu’elle propose et fait comprendre qu’elle ne souhaite aucune autre fonction administrative. Elle est alors reçue par la coordinatrice pédagogique du Service de l’Instruction publique. Ce service étant complet, il lui est proposé, par la suite, un poste de formatrice pour l’animation d’un atelier d’alphabétisation (service de la cohésion sociale), ce qu’elle refuse, au motif qu’elle ne se sentirait pas à l’aise dans ces fonctions.

Son incapacité de travail étant alors de longue durée (supérieure à six mois), une procédure de licenciement est entamée et il lui est notifié par la Commune qu’elle envisage la rupture du contrat. Une audition lui est proposée avec le bourgmestre, la secrétaire communale et la responsable RH.

Son conseil réinterpelle alors la Commune, considérant que la décision de licenciement trouve sa cause exclusive dans les faits ci-dessus et insiste sur les évaluations (excellentes) de l’intéressée par sa ligne hiérarchique depuis plusieurs années, ce qui devrait amener l’employeur à ne pas la licencier. Il insiste dans ce courrier sur les obligations de la Commune en vertu de la loi du 4 août 1996, étant que l’employeur doit prendre l’ensemble des mesures qui s’imposent pour éviter que des faits de harcèlement ne puissent se perpétuer au sein du personnel. Il estime que rien n’a été fait.

Une plainte est alors déposée (plainte formelle) contre une collègue, supérieure hiérarchique directe, avec qui les incidents sont survenus. Cette plainte est déposée auprès du service externe en prévention. La Commune en est informée. Le conseil de l’intéressée reprend l’initiative d’un contact avec l’employeur, quelques semaines plus tard, signalant que sa cliente n’est plus en incapacité de travail, et ce suite à la décision du médecin-conseil de sa mutuelle. Il précise que des réserves doivent être faites pour ce qui est de la reprise, étant qu’elle ne peut réintégrer en l’état le service dans lequel elle effectuait ses prestations de travail et qu’elle doit être vue par le médecin du travail. Ce dernier recommande, dans sa fiche d’évaluation de santé, une mutation définitive vers une fonction en dehors du service de la jeunesse. Il prône également la prolongation de la prise en charge par la mutuelle, au motif qu’une procédure serait en cours pour trouver une nouvelle fonction au sein de la Commune.

La situation va encore évoluer, une audition étant en fin de compte organisée en présence des responsables de l’administration.

Après celle-ci, le Collège des Bourgmestre et Échevins décide de mettre fin au contrat de travail, l’absence au travail perturbant gravement l’organisation du service. Ce licenciement intervient avec préavis à prester.

Après la fin de celui-ci, une procédure est introduite aux fins d’obtenir la condamnation de la Commune à une indemnité de protection équivalente à six mois de rémunération brute, ainsi que (à titre subsidiaire) à la même somme au titre de licenciement abusif. La travailleuse sollicite également des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi suite au harcèlement et l’absence de mesures prises conformément à la loi du 4 août 1996 et sollicite de ce chef un montant de l’ordre de 27.000 euros.

La décision du tribunal

Le tribunal rend son jugement le 30 mars 2017, reconnaissant le droit pour l’intéressée au paiement d’une indemnité forfaitaire de six mois de rémunération sur la base de l’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996. Il la déboute du surplus de sa demande.

La Commune interjette appel.

La décision de la cour

La cour examine dans un premier temps le poste relatif à l’indemnité de protection. Après un rappel important des principes, elle conclut, reprenant le déroulement des faits, que la Commune apporte à suffisance de droit la preuve du fait que les motifs du licenciement sont étrangers au dépôt de la plainte pour harcèlement (en réalité deux plaintes, l’intéressée ayant également déposé plainte contre une autre collègue). Le motif de la rupture est admis comme étant la perturbation sérieuse de l’organisation du service.

Dans la foulée, elle rejette la demande de licenciement abusif.

Elle examine ensuite la question des dommages et intérêts postulés, au motif de l’absence de mesures en application de la loi du 4 août 1996. Elle reprend l’article 5 de la loi, étant que tout employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires afin de promouvoir le bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail. Il s’agit des mesures relatives à la charge psychosociale occasionnée par le travail. Par charge de nature psychosociale, est visée toute charge qui trouve son origine dans l’exécution du travail ou qui survient à l’occasion de cette exécution et qui a des conséquences dommageables sur la santé physique ou mentale de la personne. Sont visées, outre les phénomènes de harcèlement moral ou sexuel et de violence au travail, les situations de stress ou de conflit caractérisées par une souffrance relationnelle au travail.

Après avoir repris la définition du harcèlement moral, la cour rappelle que, lorsque des actes de ce type sont portés à sa connaissance, l’employeur doit prendre les mesures appropriées, étant notamment d’assurer l’accueil et le conseil aux personnes qui déclarent en être l’objet.

L’employeur doit en outre informer la personne qui a déposé plainte (ainsi que celle qui est mise en cause) des mesures individuelles qu’il envisage de prendre à la suite de l’avis du conseiller en prévention. Il a en outre à répondre de l’adéquation – ou, le cas échéant, de l’absence – des mesures prises.

A défaut, la responsabilité de l’employeur peut être engagée, le manquement pouvant en effet donner lieu à une indemnisation ou à la résolution judiciaire du contrat, ou encore à un constat d’acte équipollent à rupture dans le chef de l’employeur. Le travailleur doit, pour obtenir cette indemnisation, non seulement démontrer une faute, mais prouver le préjudice subi et établir un lien de causalité.

En l’espèce, la cour confirme le jugement (qui a rejeté ce chef de demande), reprenant l’historique des mesures qui ont été prises par la Commune sur le plan collectif et individuel. Il s’agit, outre l’instauration en 1980 d’un service interne pour la prévention et la protection au travail, de celle d’un comité de concertation de base pour ces questions et de la désignation d’un service externe. Des communications aux travailleurs sont en outre régulièrement faites, par voie d’affichage et notes de service.

Pour ce qui est du cas précis de l’intéressée, la Commune a donné une suite adéquate à la plainte. Dès que celle-ci a été déposée – même si une réponse immédiate n’a pas été apportée au courrier de l’avocat –, des réunions ont été tenues, une médiation a été proposée, l’intéressée a été reçue au Service Mobilité interne de même que par la responsable du Service de l’Instruction publique. Un nouveau poste lui a été proposé, poste qu’elle a refusé. Enfin elle a été reçue par le responsable d’un autre service vers lequel elle avait été dirigée, mais celui-ci a considéré qu’elle ne correspondait au profil recherché. Pour ce qui est de la reprise du travail, celle-ci est intervenue normalement et le préavis a été effectué dans des conditions compatibles avec l’avis du médecin du travail.

Il ressort, pour la cour, de l’ensemble de ces éléments que les mesures adéquates ont été prises.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est l’occasion de rappeler que, en application de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, l’employeur doit prendre des mesures lorsqu’il est informé de la souffrance au travail d’un travailleur.

La cour a repris les principes déjà dégagés par cette juridiction (autrement composée) dans un arrêt du 17 décembre 2013 (C. trav. Bruxelles, 17 décembre 2013, R.G. 2013/AB/530).

La cour du travail y avait prononcé la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de la société qui occupait le demandeur. Elle a considéré que, en outre, existaient des manquements en matière de bien-être au travail, des faits ayant été pointés, faits qui, s’ils ne permettaient pas de présumer l’existence d’un harcèlement au travail, constituaient une charge psychosociale importante du fait de la modification de la fonction de l’intéressé et de sa position hiérarchique. L’employeur avait été informé de la souffrance au travail ressentie par celui-ci du fait de cette charge psychosociale importante, mais ne lui avait pas assuré l’accueil et le conseil requis et n’avait pas davantage pris de mesures pour y remédier, s’étant contenté de nier le problème. Pour la cour du travail, la société avait ainsi failli à ses obligations imposées par les articles 32quater et 32septies de la loi du 4 août 1996. Sur le plan de l’indemnisation, elle avait retenu un dommage de l’ordre de 237.000 euros pour la perte de l’emploi et de 2.500 au titre de dommage moral.


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