Terralaboris asbl

Indemnité versée lors d’une rupture pour force majeure médicale : cumul avec indemnités de mutuelle ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 mars 2020, R.G. 2019/AL/255

Mis en ligne le vendredi 12 février 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 9 mars 2020, R.G. 2019/AL/255

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 mars 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) conclut à l’absence d’interdiction de cumul entre une indemnité versée lors de la rupture d’un contrat de travail pour force majeure médicale et les indemnités AMI dès lors que cette indemnité peut être considérée comme un témoignage de reconnaissance.

Les faits

Un employé au service d’une A.S.B.L. depuis de longues années tombe en incapacité de travail en 2011. Les prestations de travail ont été très prenantes et son état de santé s’est détérioré au fil du temps (problèmes cardiaques, lombaires, etc.).

Il a pu reprendre le travail dans le cadre d’un mi-temps médical mais, en 2014, son état de santé s’est aggravé et il est retombé en incapacité de travail en 2015. Il a subi plusieurs interventions chirurgicales. A la fin de l’année 2015, le médecin du travail a considéré qu’il était inapte définitivement à son poste.

Une transaction est alors signée avec son employeur, qui admet l’inaptitude définitive au travail et confirme ne pas être en mesure de fournir un poste adapté. Il y a dès lors force majeure médicale, que l’intéressé s’engage à ne pas contester. Sur le plan financier, une indemnité de départ lui est versée, d’un montant de l’ordre de 33.500 euros, dont à déduire les retenues sociales et fiscales. La convention précise que cette indemnité a fait l’objet de discussions entre les parties et que, moyennant l’exécution de la convention elle-même, l’intéressé se déclare rempli de ses droits et renonce à toute action ou autre demande à l’encontre de l’A.S.B.L.

Après la rupture, l’intéressé continue à être indemnisé dans le cadre du secteur AMI. En mai 2016, son organisme assureur lui notifie cependant une demande de remboursement de 8.350 euros, dans la mesure où il aurait perçu une indemnité de rupture, celle-ci n’étant pas cumulable avec les prestations AMI. Les paiements sont alors interrompus jusqu’à une date censée correspondre à la fin de la période couverte par cette indemnité.

Une procédure est introduite et, dans le cadre de celle-ci, la mutuelle forme une demande reconventionnelle en paiement d’un indu.

Le tribunal rejette la demande du travailleur, accueillant parallèlement celle de l’organisme assureur. Pour le premier juge, il s’agit d’une rupture de contrat d’un commun accord, étant une hypothèse visée à l’article 103, § 1er, 3°, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Il n’y a dès lors pas de cumul possible.

Position des parties devant la cour

Pour le travailleur, il ne s’agit pas d’une indemnité de rupture non plus que de rémunération au sens de l’article 103, § 1er, 1° et 3°. Il y a rupture pour force majeure et non d’un commun accord. Il demande à être rétabli dans ses droits et, à titre très subsidiaire, sollicite une expertise médicale concernant la réalité de la force majeure.

Quant à l’organisme assureur, il soutient que la ratio legis de l’article 103 de la loi coordonnée est d’exclure le bénéficiaire de prestations AMI du droit aux indemnités d’incapacité de travail, et ce pour la période pendant laquelle il peut prétendre à un revenu professionnel ou – plus exactement – à un revenu auquel il a droit en raison de l’exécution d’un contrat de travail. Ceci couvre les indemnités de rupture et toute prime de départ accordée à la fin du contrat. La qualification de la rupture ne lui est pas opposable et, par ailleurs, l’incapacité définitive n’est pas établie. Il n’y a dès lors pas de force majeure médicale. Le montant versé remplace une indemnité compensatoire de préavis et celle-ci n’est pas cumulable. A titre subsidiaire, la mutuelle plaide qu’il s’agissait en tout état de cause une rémunération exigible en vertu de la convention de transaction, rappelant que l’employeur a procédé aux retenues sociales et fiscales.

Position du Ministère public

Pour le Ministère public, il n’y a pas de rupture d’un commun accord mais l’indemnité perçue doit être considérée comme de la rémunération, et ce vu la définition large donnée à celle-ci par la Cour de cassation.

La décision de la cour

Pour la cour, il faut d’abord qualifier la somme perçue à la rupture, et ce au regard de l’article 103, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Celui-ci concerne l’interdiction de cumul, soit (1°) si le travailleur a perçu une rémunération (cette notion étant celle de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération), soit (…) (3°) s’il a perçu une indemnité due à la suite de la rupture irrégulière du contrat de travail ou de la cessation du contrat d’un commun accord (ou encore une indemnité en compensation du licenciement – article 7, § 1er, alinéa 3, ZF, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs).

L’appelant s’étant refusé à donner une qualification précise à la somme en cause, aucune qualification n’est pour la cour dès lors exclue. La question posée est de savoir ce qu’il en est, dans la mesure où la qualification de cette somme d’argent est une question de fait.

Elle reprend les hypothèses de l’article 103, § 1er, 3°. Ce point est relatif aux indemnités. Sont visées l’indemnité due à la suite de la rupture irrégulière du contrat de travail, l’indemnité perçue en cas de rupture unilatérale d’un contrat d’un délégué du personnel, l’indemnité due à la suite d’une rupture d’un commun accord, et encore l’indemnité en compensation du licenciement ci-dessus.

Est visée en l’espèce la rupture d’un commun accord.

Pour la cour, il ne s’agit pas de ce type de rupture conventionnelle, les éléments du dossier démontrant la situation médicale de l’intéressé, qui a débouché sur la reconnaissance d’une force majeure médicale. L’article 103, § 1er, 3°, de la loi ne peut dès lors, pour la cour, s’appliquer.

Reste la même disposition en son 1°, qui vise l’interdiction de cumul avec une rémunération.

La cour rappelle que, saisie d’un dommage moral (accordé à des travailleurs ayant volontairement renoncé à leur emploi dans le cadre d’une restructuration pour préserver d’autres postes), la Cour de cassation a conclu, dans son arrêt du 13 septembre 2010 (Cass., 13 septembre 2010, n° S.09.0076.F), que ladite indemnité venait réparer le dommage subi par les travailleurs et était la conséquence de leur engagement. La Cour a donné ici une interprétation large de la rémunération en tant que somme versé au travailleur en raison de son engagement.

La cour du travail poursuit que, dans la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 5 janvier 2009, n° S.08.0064.N), sont cependant exclues les gratifications. Pour la cour, c’est bien le cas en l’espèce : la somme litigieuse était bien une gratification. L’employeur savait qu’il n’était redevable d’aucune indemnité compensatoire de préavis, s’agissant d’une rupture pour force majeure. Il a fait le choix de verser une somme à ce travailleur à la fin du contrat de travail. Est d’ailleurs précisé que ce montant a été versé au titre de reconnaissance d’environ 30 ans passés (bénévolat compris) au sein de la fondation employeur. La partie intimée ne peut dès lors être suivie lorsqu’elle a considéré que c’est en raison du travail effectué que l’indemnité litigieuse a été payée. La cour précise encore qu’il s’agit d’un témoignage de reconnaissance et que cette indemnité n’est en aucune façon un avantage découlant du travail effectué en raison de l’engagement.

Quant aux retenues sociales et fiscales, il s’agit pour la cour d’une « maladresse » et celle-ci est impuissante à modifier la nature du paiement effectué.

En conséquence, la cour conclut que les retenues ont été pratiquées à tort par l’organisme assureur et que le paiement des indemnités est tenu de se poursuivre.

Intérêt de la décision

La cour du travail fait ici application des règles anti-cumul de la loi du 14 juillet 1994, s’agissant de rémunérations perçues ou d’indemnités versées à la rupture du contrat.

Pour ce qui est de la rupture, deux modes sont essentiellement visés dans la loi, étant la rupture irrégulière du contrat de travail, qui donne lieu au paiement d’une indemnité de rupture, et l’indemnité qui serait convenue entre les parties à l’occasion de la rupture du contrat d’un commun accord.

D’autres hypothèses sont visées, non rencontrées en l’espèce.

Il faut bien constater, avec la cour, que l’on ne se trouve stricto sensu dans aucune des deux hypothèses visées, la rupture du contrat n’étant pas irrégulière (la force majeure médicale n’étant pas utilement contestée par la mutuelle) et les parties ne pouvant être considérées comme ayant rompu le contrat d’un commun accord.

Il s’agit, dès lors, pour la cour d’admettre le paiement d’une « gratification » à l’occasion d’une rupture pour force majeure médicale.

La qualification donnée par les parties ainsi que les explications fournies quant au caractère de gratification (reconnaissance de l’employeur pour l’investissement exceptionnel du travailleur dans sa fonction, tant en durée que pour ce qui est des efforts fournis) ont ici été retenues, aucune contestation n’ayant pu être développée quant à la force majeure médicale elle-même, vu le dossier.

L’on notera cependant que, si la somme versée avait pu être retenue comme ayant été payée en raison de l’engagement ou en contrepartie du travail fourni, la solution dégagée serait tout autre.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be