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Personnel de mission diplomatique et droit au double pécule de vacances

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 1er septembre 2020, R.G. 18/770/A

Mis en ligne le vendredi 12 février 2021


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 1er septembre 2020, R.G. 18/770/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 1er septembre 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles fait droit à la demande de membres du personnel d’une mission diplomatique en Belgique d’un Etat étranger membre de l’Union européenne, concluant à l’application de la législation belge en matière de vacances annuelles et allouant, en conséquence, un double pécule de vacances à ceux-ci, dans les limites des règles de la prescription.

Les faits

Un Etat étranger, membre de l’Union européenne et disposant en Belgique d’une mission diplomatique ainsi que d’une représentation permanente auprès de l’Union européenne, a été attrait devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles par plusieurs dizaines de travailleurs à son service.

Dans l’espèce commentée, il s’agit d’un travailleur de nationalité de l’Etat accréditant, résidant de façon permanente en Belgique, où il est né. Il est lié par un contrat à durée indéterminée avec l’Etat étranger depuis 2001.

L’Etat étranger ne paie pas les doubles pécules de vacances à ses employés et cette situation a amené le Président de la Commission des bons offices du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale à intervenir auprès de l’Ambassade en 2014. Il était précisé que, pour tous les employés déclarés à la sécurité sociale belge, la réglementation en matière de vacances annuelles s’applique, dès lors les doubles pécules de vacances sont dus aux employés et doivent être déclarés à l’O.N.S.S. comme tels. Après un rappel, il fut répondu que des démarches étaient entreprises afin que les départements compétents puissent autoriser le paiement du double pécule, calculé selon les normes imposées par la législation belge.

L’échange de correspondance entre les parties se poursuivit, l’Etat intervenant via son Ministère des affaires étrangères.

La réponse apportée fut d’inclure le double pécule de vacances dans la rémunération. Cette position entraîna la réaction du Président de la Commission des bons offices, qui rappela qu’il s’agissait de deux obligations distinctes, le paiement du double pécule de vacances ne pouvant entraîner une diminution de la rémunération du travailleur telle qu’elle figure dans le contrat de travail.

Vu que la situation restait bloquée, le demandeur, en la présente cause (avec 67 autres membres du personnel), introduisit la procédure devant le tribunal du travail.

Objet de la demande

Il s’agit, pour le demandeur, d’obtenir la régularisation en argent des illégalités commises par l’Etat étranger en matière de double pécule de vacances. Deux périodes sont envisagées séparément, étant d’une part la période depuis l’entrée en service jusque l’année qui précède l’année de vacances 2015 (le demandeur faisant état d’une infraction et estimant qu’il y a unité d’intention) et d’autre part la période à partir de l’année de vacances 2015 (période pour laquelle les fiches de paie font état d’un double pécule de vacances, mais celui-ci n’est en réalité pas payé, puisqu’au lieu de payer le complément qu’il constitue, l’employeur a considéré que la rémunération convenue l’incluait).

Quant au défendeur, il soulève un déclinatoire de compétence tiré de l’immunité de juridiction, qui rendrait l’action irrecevable. Il fait état d’une décision rendue par les juridictions internes de son Etat, dont il considère qu’elle a autorité de chose jugée et que, celle-ci s’étant prononcée sur la question (négativement), l’action ensuite introduite en Belgique serait irrecevable.

Il conclut ensuite au non-fondement, estimant que les lois coordonnées du 28 juin 1971 relatives aux vacances annuelles ne sont pas applicables au personnel d’une mission diplomatique, les pouvoirs publics étrangers devant être assimilés aux pouvoirs publics belges, et que le demandeur n’entre pas dans le champ d’application application matériel de la législation relative aux vacances annuelles car il n’est pas assujetti à la sécurité sociale belge (le choix ayant été fait pour lui d’un assujettissement à la sécurité sociale étrangère). A titre infiniment subsidiaire, il considère qu’à partir de l’année 2015, le travailleur a marqué accord sur la nouvelle formule salariale, étant un accord tacite, puisqu’il y a eu absence de contestation avant l’intentement de la procédure. Le défendeur invoque encore d’autres arguments tirés de la prescription et de l’absence d’infraction imputable, invoquant encore, au cas où une infraction serait retenue, qu’il s’agit d’une infraction instantanée.

La décision du tribunal

Le tribunal examine en premier lieu le déclinatoire de compétence tiré de l’immunité de juridiction, rappelant la distinction entre actes de souveraineté et actes de gestion. Il constate que, dans le cadre de la procédure, le défendeur n’a pas soulevé le déclinatoire de compétence in limine litis, n’ayant invoqué l’immunité de juridiction que dans des conclusions après réouverture des débats. Le tribunal considère dès lors qu’il a renoncé à cette immunité.

Pour ce qui est de la décision étrangère, il examine, conformément à l’article 23 du Code judiciaire, s’il y avait entre les deux causes identité d’objet, de cause et de parties, ce qui n’est pas le cas. La demande est dès lors recevable.

Le tribunal vérifie ensuite la loi applicable aux relations contractuelles, le Règlement CE n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 19 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles réglant la question pour les contrats conclus à partir du 18 décembre 2009 et la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles pour les contrats conclus entre le 1er janvier 1988 et le 17 décembre 2009.

Les parties peuvent choisir le droit applicable au contrat de travail et, si elles ne l’ont pas fait, celui-ci est régi par la loi du pays dans lequel (ou, à défaut, à partir duquel) le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail (ou encore, à défaut, la loi applicable sera celle du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur).

Le tribunal examine ensuite les principes applicables aux vacances annuelles et aux pécules de vacances en droit européen et en droit national. Il y a en l’espèce un désaccord entre les parties quant à la loi applicable au contrat, l’employé demandant l’application de la loi belge et le défendeur celle de sa loi nationale. Le contrat prévoit que les dispositions en matière de sécurité et de prévoyance sociale applicables sont celles de la législation sociale nationale. Pour ce qui est de la loi applicable au contrat, le tribunal constate que le choix des parties n’est pas formulé clairement, puisque tant la législation belge que la réglementation étrangère peuvent trouver à s’appliquer, selon les termes du contrat. Ce choix ne résulte pas davantage des circonstances de la cause. A défaut de choix, le tribunal renvoie à la Convention de Rome en son article 6.2, selon lequel le contrat de travail est régi par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Il s’agit de la loi belge et la loi sur les vacances annuelles trouve donc à s’appliquer, même si les parties ont fait le choix de l’assujettissement à la sécurité sociale étrangère. Le fait que le travailleur ait opté pour celle-ci est indifférent, puisqu’elle n’inclut pas la question des vacances annuelles.

La cour renvoie encore à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 18 juin 2013, J.T.T., 2013, p. 425) rendu dans une affaire opposant une travailleuse occupée en Belgique pour le compte d’un employeur anglais. Celle-ci était affiliée à la sécurité sociale anglaise et les parties avaient choisi d’appliquer la loi anglaise à leurs relations contractuelles. La cour a appliqué les dispositions du droit belge relatives aux vacances annuelles, dans la mesure où elles sont plus favorables que celles du droit anglais, choisi par les parties.

Le droit au double pécule de vacances est dès lors reconnu.

Reste cependant la question de la prescription, étant qu’il y a lieu de déterminer si le non-paiement constitue une infraction instantanée ou une infraction continuée. Il s’agit ici de retenir une unité d’intention dans le chef de l’employeur. Le tribunal va constater que l’omission de payer les pécules perdure depuis le début des relations contractuelles. L’élément matériel est dès lors établi, de même que l’élément moral, qui se déduit de la seule circonstance que le fait a été matériellement commis.

Cependant, l’intention délictueuse unique ne peut être déduite de la seule succession interrompue des faits et le tribunal fait grief au demandeur de ne pas établir l’unité d’intention permettant de considérer que les différentes infractions constituent une même fait, les éléments de la cause ne permettant pas de constater que l’Etat étranger a agi dans le but unique de transgresser les dispositions impératives du droit social belge.

L’action est dès lors prescrite pour la période antérieure au 22 décembre 2012. Pour la période ultérieure, elle est déclarée fondée, étant sursis à statuer sur le montant définitivement dû.

Le tribunal condamne dès lors l’Etat étranger au paiement de 1 euro provisionnel.

Intérêt de la décision

De nombreux points de droit sont soulevés dans cette affaire, certains étant assez généralement rencontrés (immunité de juridiction, nature de l’infraction, règles de prescription applicables). C’est, cependant, sur un point précis que le jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles du 1er septembre 2020 est important, étant la distinction à faire entre la loi applicable aux relations contractuelles, dans le cadre de la Convention de Rome du 19 juin 1980 et du Règlement CE n° 592/2008, dit « Rome I », selon que les parties ont ou non fait choix d’une loi applicable aux contrats de travail. Le tribunal a rappelé le principe, qui est qu’elles peuvent choisir celui-ci et que seules existent deux restrictions à la liberté de choix, étant les dispositions impératives et les lois de police. Au cas où ce choix n’a pas été fait, des critères de rattachement sont prévus, étant en premier lieu celui du lieu de l’exécution habituelle du contrat de travail.

Le tribunal rappelle encore que le choix de la sécurité sociale applicable n’implique pas que soit visé le choix de la loi du contrat de travail.

Enfin, en ce qui concerne la matière des vacances annuelles, le tribunal a fait un rappel de leur place en droit européen, étant que cette matière fait partie du droit du travail, étant inscrite dans la Directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. Cette matière n’est pas visée par le Règlement n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, non plus que par le Règlement antérieur n° 1408/71.


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