Terralaboris asbl

Procédure contre un Etat étranger : modalités de signification de l’acte introductif

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 1er septembre 2020, R.G. 19/2.204/A

Mis en ligne le vendredi 29 janvier 2021


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 1er septembre 2020, R.G. 19/2.204/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 1er septembre 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle que, à défaut d’entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004, qui a codifié les règles de la coutume internationale à cet égard, la signification (ou la notification) d’un acte introductif d’instance à un Etat étranger est effectuée par communication adressée par les voies diplomatiques au Ministère des affaires étrangères de l’Etat concerné ou par tout autre moyen accepté par celui-ci, si la loi de l’Etat du for ne s‘y oppose pas.

Les faits

Un employé local engagé par une ambassade étrangère à Bruxelles preste en qualité de chauffeur depuis juin 2013. Il reçoit un avertissement un an plus tard.

A la mi-2017, la Commission des bons offices, qui relève de la Direction générale du contrôle des lois sociales du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, interroge la mission quant à la durée du travail et à l’établissement du règlement de travail. Quasi-concomitamment, l’intéressé reçoit un deuxième avertissement, relatif à son comportement, considéré violent et « injuriant » lors de discussions relatives à sa tâche de travail et à l’organisation des vacances annuelles. Cet avertissement est signifié par huissier de justice et l’intéressé le conteste.

Il est licencié cinq mois plus tard, étant dispensé de toute prestation pendant la durée du préavis.

L’ambassade est interpellée vu le non-paiement de l’indemnité compensatoire de préavis.

L’ancien employé demande également communication des motifs concrets du licenciement, conformément aux articles 3 et 4 de la C.C.T. n° 109.

L’ambassade y répond longuement, faisant état d’une réorganisation vu son déménagement (ce qui entraîne la diminution du nombre de chauffeurs et le fait que seuls deux emplacements de stationnement existent dans les nouveaux locaux…). Lui est également reproché son comportement par le passé.

La rupture étant contestée par l’employé, une citation est signifiée à l’Etat accréditant.

Le tribunal est ainsi saisi d’une question de régularité de la signification d’abord et du fond du licenciement ensuite.

La décision du tribunal

Le mode de signification de la citation introductive d’instance est examiné, l’Etat étranger tirant de celui-ci un argument de prescription. La signification est intervenue par huissier de justice à la Direction du protocole du Ministère des affaires étrangères. La partie défenderesse fait grief au demandeur de ne pas déposer la preuve de l’envoi par recommandé de cette citation, concluant ainsi au non-respect du délai annal. Le travailleur considère sur cette question que le délai de l’article 15 de la loi relative aux contrats de travail est respecté, en vertu de la théorie de la double date, selon laquelle il faut prendre en compte la date à laquelle l’huissier a déposé l’envoi recommandé à la poste.

Le tribunal suit la position du travailleur, renvoyant notamment à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 12 septembre 2007, J.T.T., 2008, p. 95) ainsi qu’à la doctrine de F. BOUQUELLE et A. FRY (F. BOUQUELLE et A. FRY, « Actions en justice contre des sujets de droit international public », Droit du travail tous azimuts, C.U.P., Larcier, 2016, pp. 986 et s.).

Il rappelle les règles de droit international public, dont notamment la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’Etat étranger des actes judiciaires et extra-judiciaires en matière civile ou commerciale ainsi que les règles établies par la coutume de droit international (des conventions bilatérales pouvant également avoir été conclues). Sur celle-ci, il souligne que, dans un arrêt du 20 décembre 2016 (C. trav. Bruxelles, 20 décembre 2016, R.G. 2014/AB/632), la Cour du travail de Bruxelles s’était fondée sur l’article 6 de la C.E.D.H., à savoir sur le droit à un procès équitable, pour considérer que le juge est tenu de reconnaître la validité de la signification d’une citation conforme aux règles de la coutume internationale, codifiées par la Convention des Nations Unies (Convention du 2 décembre 2004), tout en rappelant que, faute d’un nombre suffisant d’Etats signataires, cette Convention n’est pas encore entrée en vigueur.

Le tribunal reprend le mécanisme de la signification de la citation par la voie diplomatique, qui dissocie dans le temps l’envoi de la citation par le demandeur et sa réception effective par le défendeur. Renvoyant à la jurisprudence et à la doctrine citées ci-dessus, il conclut qu’il faut tenir compte de la date d’envoi pour apprécier l’interruption du délai de citation, et plus précisément la date à laquelle l’huissier a déposé l’envoi recommandé à la poste.

Il constate encore, sur l’effet interruptif de la citation, que l’Etat étranger n’a pas adhéré à la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 et qu’aucun arrangement particulier n’est intervenu entre la Belgique et lui. En conséquence, il y a lieu d’appliquer les règles de la coutume internationale.

L’avis de réception figure dûment au dossier et la prescription a été valablement interrompue.

Relevons qu’à cet égard, subsistait encore un désaccord, étant que le courrier de l’ambassade notifiant la fin du contrat de travail datait du 30 janvier 2018, prévoyant un préavis prenant cours le 5 février 2018, et que la date retenue par l’employeur était précisément celle de la notification de la rupture, alors que l’intéressé retenait la date de fin du préavis, ce qui était d’ailleurs conforme aux documents sociaux. C’est cette dernière qui est admise.

Venant au fond du litige, le tribunal examine successivement le droit du demandeur à une indemnité complémentaire de préavis (40 jours de rémunération) et son droit à une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

Pour le complément de préavis, il s’agit d’un contrat qui a pris cours avant le 1er janvier 2014 et un premier délai doit être pris en compte sur la base de l’ancienneté acquise au 31 décembre 2013 (40 jours en l’espèce) et, pour ce qui est du second délai, le préavis figure à l’article 37/2 de la loi du 3 juillet 1978 (15 semaines). Le délai de préavis notifié est dès lors insuffisant et l’intéressé doit se voir allouer le complément de 40 jours de rémunération.

Pour ce qui est du licenciement manifestement déraisonnable, le tribunal rappelle longuement les principes de la C.C.T. n° 109, et ce à partir des motifs invoqués, qui sont la réorganisation de l’entreprise et le comportement du travailleur.

Le premier motif est rapidement examiné, dans la mesure où il n’est pas étayé. Quant au second, figurent au dossier les deux avertissements ci-dessus (juillet 2014 et août 2017), dont le premier n’est pas précis et le second est contesté. Sur ce dernier, le tribunal constate que, si un règlement de travail avait existé au sein de l’entreprise, l’incident à la base de l’avertissement ne se serait pas produit (vacances annuelles). Figurent également deux questions de roulage, étant, en juillet 2014, un procès-verbal pour non-respect de feu rouge, grief que le tribunal considère comme trop ancien, et une sanction administrative communale pour infraction en matière de stationnement. La responsabilité du demandeur n’étant pas établie dans cette sanction, le tribunal conclut que ce fait ne l’est pas davantage.

La conclusion dégagée est que la demande est fondée, pour les deux indemnités.

Un dernier point à régler est la question des dépens et de l’indemnité de procédure, le travailleur ayant fixé l’indemnité à 3.000 euros, vu le montant de la demande (qui se situe entre 10.000 et 20.000 euros) et le caractère manifestement déraisonnable de la situation ainsi que la complexité de l’affaire résultant du comportement de l’Etat étranger. Cette demande est accueillie. Le tribunal déplore l’absence de réaction au courrier de l’organisation syndicale, qui a obligé le travailleur à introduire une procédure en justice, et retient également le caractère particulièrement complexe de la cause.

Intérêt de la décision

Ce jugement est un nouveau cas d’application des règles de la C.C.T. n° 109, les motifs concrets du licenciement ayant été donnés dans le délai légal et l’analyse de ceux-ci ayant permis de conclure que les faits n’étaient pas établis.

C’est cependant sur la question de la signification à destination de l’Etat étranger que le jugement rendu le 1er septembre 2020 est important. Il rappelle les règles en la matière, étant la « double date ».

L’action en justice étant soumise à la prescription annale de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978, le demandeur doit établir qu’il a interrompu cette prescription dans le délai. S’agissant d’un Etat étranger, il y a lieu de se référer aux règles de droit international public, dont notamment la Convention de La Haye du 15 novembre 1965, les conventions bilatérales entre les Etats et les règles établies par la coutume de droit international.

A défaut d’entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004, qui a codifié les règles de la coutume internationale, le tribunal s’inspire néanmoins de celle-ci, qui, en son article 22, prévoit les modes de signification ou de notification d’une assignation (ou de toute autre pièce) instituant une procédure contre un Etat étranger. Dès lors que n’existe pas de convention internationale applicable liant l’Etat du for et l’Etat concerné ou un arrangement particulier sur la question, la signification (ou la notification) intervient par communication adressée par les voies diplomatiques au Ministère des affaires étrangères de l’Etat concerné ou par tout autre moyen accepté par l’Etat concerné si la loi de l’Etat du for ne s’y oppose pas.

L’application de ces règles aboutit à retenir comme date d’interruption du délai de prescription celle à laquelle l’huissier instrumentant, qui signifie la citation par la voie diplomatique, a déposé l’envoi recommandé à la poste. Il y aura ainsi une « double date », étant celle du dépôt de l’envoi recommandé et celle de la réception par le Ministère des affaires étrangères de l’Etat concerné. C’est la première qui est à retenir comme date interruptive de prescription.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be