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Etudiant et droit au revenu d’intégration sociale : petit rappel

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 15 juillet 2020, R.G. 20/970/A

Mis en ligne le vendredi 29 janvier 2021


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 15 juillet 2020, R.G. 20/970/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 15 juillet 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle qu’en matière de C.P.A.S., le recours aux débiteurs d’aliments est une faculté et que la disposition au travail est une question concrète, à examiner à partir d’une série de paramètres : situation réelle du demandeur, âge, formation, difficultés personnelles, etc.

Les faits

Un étudiant, de nationalité française, suit des cours de troisième bac de kinésithérapie à l’ULB. Il a bénéficié d’une bourse de l’Etat français jusqu’au 30 juin 2019 et a effectué un job d’été pour financer ses études. Il n’a pu reprendre un job d’étudiant, ayant atteint son quota annuel de 475 heures et ayant par ailleurs des stages à assumer. Il s’est adressé au C.P.A.S. d’Anderlecht le 16 septembre 2019 ne pouvant compter sur ses parents. Après les décisions que rendra ce Centre, il percevra une bourse de la Communauté française de Belgique.

Une première décision a été prise le 5 décembre 2019, refusant le revenu d’intégration sociale, au motif qu’il avait quitté le domicile parental pour s’installer en cohabitation. Il lui est exposé qu’il peut faire valoir l’intervention de ses débiteurs d’aliments et travailler via des jobs d’étudiant.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail, celle-ci étant étendue à une autre décision du C.P.A.S. du 12 mai 2020, octroyant par la suite un revenu d’intégration sociale au taux cohabitant (l’intéressé partage en effet son logement, étant en colocation avec cinq autres personnes). Il sollicite de bénéficier du taux isolé à partir de la demande, étant le 16 septembre 2019.

La décision du tribunal

Après avoir rappelé les conditions d’octroi du revenu d’intégration sociale, le tribunal rappelle l’étendue de sa saisine, étant qu’il doit statuer sur le recours en tenant compte des faits qui se sont produits depuis la décision et qui exercent une influence sur le litige. Il reprend ensuite et successivement chacun des éléments du dossier pouvant avoir une incidence sur le droit au RIS.

Le montant de la bourse est négligé, s’agissant d’une bourse d’études octroyée par les Communautés (art. 22, § 1er, g), de l’arrêté royal du 11 juillet 2002).

Le demandeur a effectué des jobs d’étudiant, ce qui n’est pas contesté. La disposition au travail est une notion relative qui doit être comprise de manière raisonnable et qui s’illustre par une bonne volonté à accepter de travailler, par une attitude ouverte, à l’insertion professionnelle (5e feuillet du jugement). Il ne s’agit pas d’une obligation de résultat mais de moyens, étant que le demandeur du revenu d’intégration sociale doit adopter un comportement de nature à lui permettre de subvenir à ses besoins par son travail. Reprenant une abondante jurisprudence, le tribunal rappelle les critères à apprécier : la situation concrète du demandeur, son âge, sa formation, ses difficultés personnelles, sa (mé)connaissance des langues nationales, ses aptitudes et aspirations, la charge d’enfants, etc.

Quant aux conditions que doivent remplir les études pour constituer un motif d’équité dispensant de l’obligation de disposition au travail, il s’agit pour l’étudiant (i) de démontrer des formes d’aptitude et d’assiduité aux études, (ii) de suivre une formation de nature à lui ouvrir le marché du travail ou à faciliter son insertion dans la vie active et (iii) d’être disposé à effectuer un travail dans les limites de ce qui est compatible avec la poursuite des études.

Sur la question du recours aux débiteurs d’aliments, le tribunal rappelle qu’il s’agit d’une faculté et que l’intervention du Centre ne peut être refusée que s’il y a eu analyse de la situation du bénéficiaire et examen de la faisabilité d’un recours contre ces derniers. En outre, celui-ci doit avoir été informé préalablement de la nécessité de démarches en ce sens et le C.P.A.S. est tenu de constater un manquement dans son chef. Toutes conditions non remplies en l’espèce.

Le droit au revenu d’intégration sociale doit dès lors être accordé depuis la demande.

Pour ce qui est du taux, le tribunal reprend l’évolution des règles en matière de cohabitation/co-location. Il revient aux sources, étant l’arrêt de la Cour de cassation (arrêt de principe) du 8 octobre 1984 (Cass., 8 octobre 1984, Chron. D. S., 1985, p. 110 et obs. H. FUNCK). Cet arrêt a été rendu en matière de minimum de moyens d’existence et la Cour suprême y a défini la cohabitation par deux notions de fait, étant le fait de vivre sous le même toit et le fait de régler principalement en commun les questions ménagères.

L’importante évolution des règles depuis les derniers arrêts de la Cour de cassation en matière de chômage est également reprise. Le tribunal s’attarde à la notion de « principalement », qui suppose un certain stade de communauté et de partage des tâches et frais ménagers que constitue le tout-venant de l’existence de la vie quotidienne : habillement, entretien, nourriture, repas. L’idée de base est la communauté de vie devant exister entre les personnes. Celle-ci doit être constatée, au-delà de l’avantage financier qui résulte du partage de certains éléments du logement. Il s’agit du partage des tâches de la vie quotidienne. Pour ce qui est des espaces partagés, certaines décisions ont retenu sur cette question que, vu l’existence d’espaces privatifs, il n’y a pas vie sous le même toit, opinion reprise en doctrine (le tribunal citant M. BERNARD, obs. sous Cass., 9 octobre 2017, J.T., 2018, p. 140).

En l’espèce, il est acquis aux débats que les personnes partageant la même adresse vivent indépendamment les uns des autres et n’ont en commun que le loyer. Le tribunal rappelle que, dans le cadre de l’enquête sociale, le C.P.A.S. devait réunir un faisceau d’éléments suffisamment probants et que celui-ci n’établit nullement qu’il y aurait une véritable communauté de vie se traduisant par le partage des tâches de la vie quotidienne.

Il retient dès lors que doit être admis un revenu d’intégration sociale au taux isolé.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles a rappelé les obligations du C.P.A.S. dans le cadre de l’instruction d’une demande de revenu d’intégration sociale, s’agissant en l’espèce d’un étudiant. Celui-ci doit remplir les conditions d’octroi fixées à l’article 3 de la loi du 26 mai 2002, parmi lesquelles l’absence de ressources suffisantes et l’impossibilité de s’en procurer ainsi que la disposition au travail, sauf empêchement pour des raisons de santé ou d’équité.

La disposition au travail par le passé n’est pas contestée, l’intéressé établissant par ailleurs à suffisance un ensemble de circonstances de nature à prouver qu’il n’a pas de ressources suffisantes et qu’il lui est impossible de s’en procurer pendant la période litigieuse.

Même si celle-ci débute avant la crise sanitaire, l’on constate que le recours a été introduit au début de l’année académique et qu’un des motifs était la charge de stages plus importante, ainsi que d’autres obligations liées aux études.

Le tribunal rappelle les critères habituellement retenus en ce qui concerne le projet de l’étudiant, étant que les études poursuivies doivent ou lui ouvrir le marché du travail ou faciliter son insertion dans la vie active. Les développements faits quant aux critères d’appréciation de la disposition au travail reflètent les exigences de la jurisprudence actuelle, étant qu’une série de paramètres doivent être pris en compte, paramètres liés essentiellement à la personne et aux possibilités du demandeur de revenu d’intégration sociale. Il ne s’agit pas d’une obligation générale abstraite ni d’une obligation de résultat. Est encore rappelé que la charge de la preuve de cette disposition au travail incombe au demandeur du droit à l’intégration sociale.

A diverses reprises, le tribunal insiste sur les obligations du C.P.A.S., notamment dans le cadre de l’enquête sociale, pour ce qui est de la possibilité du recours aux débiteurs d’aliments, recours qui peut être introduit par le demandeur ou par le C.P.A.S. en son nom. Le Centre peut également récupérer auprès de ceux-ci des montants avancés. Vu la situation concrète, le recours aux débiteurs alimentaires étant tout à fait aléatoire, cette voie ne devait pas être poursuivie.

Enfin, après avoir conclu à la réunion des conditions d’octroi, le tribunal a fait une juste application des règles développées dans la jurisprudence récente en ce qui concerne la co-location/cohabitation, étant l’exigence d’une véritable communauté de vie. Il a rappelé – ce qui n’est plus contesté à cet égard – que la seule économie d’échelle qui permet un avantage financier ne suffit pas, faisant application à la matière du RIS de la jurisprudence rendue en chômage et confirmant ainsi le caractère transversal de la notion dans les diverses branches de la sécurité sociale.


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