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Cotisation de responsabilisation : la Cour constitutionnelle interrogée

Commentaire de C. trav. Mons, 19 février 2020, R.G. 2016/AM/410

Mis en ligne le vendredi 15 janvier 2021


Cour du travail de Mons, 19 février 2020, R.G. 2016/AM/410

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 février 2020, la Cour du travail de Mons interroge la Cour constitutionnelle, lui posant cinq questions relatives à la cotisation de responsabilisation mise à charge des employeurs ayant recouru au chômage économique.

Eléments de la cause

L’O.N.S.S. poursuit la condamnation d’une société sidérurgique de la région du Centre au paiement d’une somme de près de 6.700.000 euros au titre de cotisations de responsabilisation.

Les activités de la société ont été mises à l’arrêt en novembre 2008, suite à l’effondrement du marché de l’acier à ce moment, et la société a eu recours au chômage économique de façon continue, introduisant d’ailleurs une demande de chômage économique de longue durée auprès du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale.

Il fut décidé deux ans plus tard de maintenir les installations en état de marche. L’année suivante, la société a été reprise par un grand groupe, mais elle s’est vue contrainte de notifier un projet de licenciement collectif l’année suivante (2012). Des conventions collectives de travail ont été signées, dans le cadre de la procédure de licenciement collectif, reprenant les modalités et conditions de licenciement de l’ensemble du personnel. La société a été reconnue entreprise en restructuration, et ce jusqu’à la mi-2014. Elle a encore recouru au chômage économique afin d’être autorisée à licencier. Ces licenciements sont intervenus en deux temps, pour les prépensionnés d’abord et les non prépensionnés ensuite.

C’est alors que l’O.N.S.S. a adressé à la société un avis de débit pour l’année 2012. La société a contesté, vu le caractère rétroactif et, selon elle, discriminatoire de l’avis de débit.

Une procédure a dès lors été initiée devant le Tribunal du travail du Hainaut (division de Charleroi), qui, par jugement du 23 juin 2016, a déclaré la demande de l’O.N.S.S. recevable et fondée.

Appel est dès lors interjeté par la société.

Position des parties devant la cour

Position de la société

La société se fonde essentiellement sur le caractère rétroactif de la loi ayant introduit la cotisation de responsabilisation. La loi du 28 décembre 2011 portant des dispositions diverses est en effet entrée en vigueur le 1er juillet 2012. Les formules et paramètres n’ont cependant été fixés que dans la loi du 30 juillet 2013 portant des dispositions diverses, celle-ci état entrée en vigueur le 1er août 2013.

Pour la société, dès lors, la cotisation ne peut être réclamée qu’aux employeurs ayant recouru au chômage économique en 2013. Pour la société il y a violation des articles 10 et 11 de la Constitution, pris isolément et/ou en combinaison avec les articles 170 à 172 de celle-ci et/ou les principes généraux de droit de non-rétroactivité et de sécurité juridique, ainsi que de l’article 7 de la C.E.D.H. (qui interdit la rétroactivité de la loi pénale).

Subsidiairement, il y a violation de l’article 16 de la Constitution lu isolément ou avec l’article 1er du Premier protocole additionnel à la C.E.D.H.

Plus subsidiairement encore, la société conteste la formule de calcul, qui est contraire aux principes d’égalité et de non-discrimination. La formule avait été fixée pour les employeurs de la construction dès la loi du 28 décembre 2011 mais non pour les autres, de telle sorte que ces derniers ne connaissaient pas les conséquences de leurs actes au moment où ils les posaient en 2012.

Position de l’O.N.S.S.

Quant à l’O.N.S.S., il estime qu’il n’y a pas de problème de rétroactivité, la loi du 30 juillet 2013 se limitant à déterminer la formule et les paramètres permettant de calculer la cotisation elle-même.

Il rappelle également qu’un arrêt a été rendu par la Cour constitutionnelle le 19 juillet 2018 (C. const., 19 juillet 2018, n° 100/2018), qui a considéré que l’article 38, § 3sexies, de la loi du 29 juin 1981 (texte de base qui a été modifié par la loi du 28 décembre 2011 et par celle du 30 juillet 2013) ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes de non-rétroactivité des lois et de sécurité juridique.

La décision de la cour

La cour fait un rappel très fouillé de l’évolution des dispositions applicables en matière de cotisation spéciale de responsabilisation. Elle remonte à la loi du 12 juillet 2000, rappelant encore que cette cotisation, en cas de chômage économique, était prévue à l’article 38, § 3sexies, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés.

Des modifications du texte sont intervenues au fil de temps et la Cour rappelle que, contrairement aux lois précédentes, la loi du 28 décembre 2011 ne précise aucune année d’application et/ou de référence, la formule applicable aux entrepreneurs de la construction ayant cependant été maintenue.

La cour conclut que la loi du 30 juillet 2013 est rétroactive, cette rétroactivité ne pouvant être justifiée. La loi du 28 décembre 2011 fixe en effet le principe de la débition de la cotisation, mais les éléments essentiels permettant de la calculer font défaut. La réclamation de celle-ci ne peut intervenir tant qu’une disposition ne prévoit pas son montant.

L’obligation concrète de paiement est dès lors née lors de l’entrée en vigueur de la loi du 30 juillet 2013. La cour constate que celle-ci change l’élément central de l’obligation, qui était, dans la loi du 28 décembre 2011, l’année pour laquelle les jours de chômage sont déclarés. Ceci a été modifié dans la loi du 30 juillet 2013, le système visant à réclamer la cotisation de l’année X aux employeurs qui ont déclaré des jours de chômage économique durant l’année X-1.

Sur la justification de la rétroactivité, la cour rejette l’argument de l’O.N.S.S. selon lequel il s’agirait de l’intérêt du financement de la sécurité sociale. La cour constate que l’Office reste en défaut d’évoquer l’existence « fût-ce d’un arrêt » de la Cour constitutionnelle qui aurait jugé de la sorte, à savoir que l’intérêt du financement de la sécurité sociale permettrait au législateur d’instaurer une cotisation avec effet rétroactif.

La cour passe encore en revue la position des autorités publiques qui ont été amenées à se prononcer sur la cotisation, à savoir le C.N.T. et le Conseil d’Etat, et examine la portée de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 juillet 2018, auquel elle réserve un examen critique. Elle conclut qu’il y a lieu de saisir une nouvelle fois la haute juridiction en lui posant plusieurs questions.

Elle constate en effet que la Cour constitutionnelle n’a pas été interrogée sur la rétroactivité du champ d’application de la loi du 30 juillet 2013 et que se pose la question de savoir si cette cotisation de responsabilisation présente ou non un caractère pénal (ce que défend la société). Elle saisit également la Cour constitutionnelle à propos du mode de calcul, étant de savoir si ce mode de calcul progressif fixé par la loi du 30 juillet 2013 porte une atteinte déraisonnable à la situation patrimoniale individuelle des employeurs concernés, si cette formule n’est pas contraire aux principes d’égalité et de non-discrimination et si elle n’induit pas une différence de traitement non justifiable entre les employeurs (employeurs du régime général et entreprises de la construction). Enfin, elle s’interroge sur le point de savoir si la possibilité prévue par la loi du 30 juillet 2013 pour les entreprises en difficulté d’obtenir la réduction de moitié de la cotisation n’est pas contraire aux principes d’égalité et de non-discrimination dès lors que cette faveur est refusée aux entreprises en restructuration.

C’est dès lors un total de cinq questions préjudicielles dont la Cour constitutionnelle se trouve ainsi saisie.

Intérêt de la décision

L’on suivra avec grand intérêt les suites qui seront réservées à ces questions préjudicielles par la Cour constitutionnelle. Elle a déjà statué, par l’arrêt du 19 juillet 2018, qui est longuement analysé par la Cour du travail de Mons dans son arrêt, concluant au caractère non rétroactif de la mesure. Les questions posées par la cour sont affinées par rapport à celle formulée par le Tribunal du travail de Bruxelles dans son jugement du 24 février 2016 (Trib. trav. Bruxelles, 24 février 2016, R.G. 14/3.736/A – précédemment commenté), qui a donné lieu à l’arrêt du 19 juillet 2018. Les questions formulées par la Cour du travail de Mons dans son arrêt du 19 février 2020 visent, en sus, le caractère d’impôt de la mesure, ainsi que l’analyse de la formule, formule progressive et exponentielle pour le calcul de la cotisation.


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