Terralaboris asbl

L’anatocisme (ou capitalisation des intérêts) peut-il être appliqué aux prestations de sécurité sociale ?

Commentaire de C. trav. Brux., 6 novembre 2006, R.G. 48.659

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 6 novembre 2006, R.G. 48.659

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un arrêt du 6 novembre 2006, la cour du travail de Bruxelles se prononce pour l’affirmative : l’article 1154 du Code civil peut être appliqué aux intérêts légaux dus sur les prestations de sécurité sociale.

Les faits de la cause

Dans un premier arrêt du 6 janvier 2003, la cour du travail de Bruxelles a condamné l’Etat belge à payer à Monsieur X une allocation d’intégration en catégorie 1 à partir du 1er février 1997 et en catégorie 2 à partir du 1er septembre 2001.

En mars 2003, l’Etat belge a notifié une décision procédant à l’exécution de l’arrêt. La même année, un décompte des arriérés pour la période de février 1997 à mars 2003 a été notifié et l’Etat belge a procédé au paiement de ceux-ci.

En octobre 2005, Monsieur X a été informé qu’il avait droit à un montant d’intérêts légaux calculés sur les allocations payées en 2003 et il en a reçu paiement en novembre 2005.

La décision du tribunal

Le tribunal a rejeté la demande de Monsieur X, qui réclamait les intérêts de retard calculés sur les intérêts de retard, concernant les indemnités.
Il a interjeté appel.

La décision de la Cour

La cour relève que, en réclamant les intérêts sur les intérêts, Monsieur X demande l’anatocisme, c’est-à-dire la capitalisation des intérêts échus de capitaux, de manière que les intérêts capitalisés portent des intérêts à leur tour.

En ce qui concerne les principes applicables à l’anatocisme, la cour précise que :

  • L’article 1154 du Code civil règle l’anatocisme en ce qui concerne les capitaux. Cette disposition la soumet à plusieurs conditions, restreignant ainsi la possibilité de capitaliser les intérêts échus de capitaux.
  • En dehors de son champ d’application, la capitalisation des intérêts est possible sans limite.

Quant à l’application de l’article 1154 du Code civil aux prestations de sécurité sociale, la cour considère que, même si cette disposition figure dans le titre consacré aux obligations conventionnelles, elle s’applique cependant aussi :

  • aux intérêts de retard dus en vertu de la loi, la cour citant en ce sens deux arrêts de la Cour de cassation des 13 avril 1987et 16 décembre 2002.
  • à des dettes de somme d’origine légale, telles que les dettes de prestations de sécurité sociale. La cour rappelle à cet égard que l’article 1153 du Code civil, qui est inscrit au même titre et qui régit également les intérêts moratoires, s’applique aussi aux dettes légales telles que les prestations de sécurité sociale.

Aussi, la cour conclut-elle que l’article 1154 du Code civil et les restrictions de l’anatocisme qu’il contient, s’appliquent aux intérêts de retard dus en vertu de la loi, calculés sur les dettes de prestations de sécurité sociale .

Ayant admis que les intérêts dus par l’Etat belge sur les allocations de handicapé de Monsieur X sont régis par l’article 1154 du Code civil, la cour examine alors si les conditions de l’anatocisme selon cette disposition sont remplies.

Elle précise à cet effet les conditions fixées par cette disposition, à savoir que :

  • Les intérêts échus de la dette produisent des intérêts « ou par sommation judiciaire ou par une convention spéciale ». Une requête, une citation ou des conclusions sont des sommations judiciaires.
  • Cette sommation judiciaire doit spécialement attirer l’attention du débiteur sur la capitalisation des intérêts échus.

Il ne suffit pas que des intérêts judiciaires soient demandés. Il faut que la sommation indique que ce sont les intérêts sur les intérêts qui sont demandés, ou encore la capitalisation des intérêts.

La cour relève ainsi que l’article 1154 du Code civil a pour objet d’éviter l’accroissement trop rapide de la dette, préservant le débiteur de son imprévoyance en obligeant le créancier qui entend obtenir les intérêts sur les intérêts à attirer spécialement l’attention du débiteur.

En l’espèce, la cour constate toutefois que Monsieur X n’a pas fait de sommation judiciaire, qui attire spécialement l’attention de l’Etat belge sur la capitalisation des intérêts, n’ayant demandé que des intérêts judiciaires. Il ne peut par conséquent obtenir les intérêts sur les intérêts.

Intérêt de la décision

Cette décision a le mérite de clarifier les principes applicables en matière d’anatocisme, rappelant que :

  • L’article 1154 du Code civil apporte en réalité des restrictions à l’anatocisme, réglementant son usage pour préserver le débiteur de l’usure qui pourrait résulter de l’accroissement de la dette en raison de la capitalisation des intérêts. En dehors de son champ d’application, l’anatocisme est donc autorisé sans aucune limite.
  • La Cour de cassation a décidé que l’article 1154 du Code civil s’applique aussi aux intérêts de retard dus en vertu de la loi par deux arrêts des 13 avril 1987 et 16 décembre 2002 qui concernaient une indemnité de protection d’un travailleur protégé et une indemnité de préavis.

En ce qui concerne la question plus controversée de son application aux prestations de sécurité sociale, la cour ne suit pas le même raisonnement qu’elle a adopté dans un arrêt du 16 février 2006, chambre autrement composée.

Dans ce précédent arrêt, la cour avait écarté la capitalisation des intérêts en matière de sécurité sociale, considérant principalement que :

  • L’article 1154 du Code civil ne s’appliquerait qu’aux obligations conventionnelles, ce qui exclurait les prestations de sécurité sociale.
  • La Charte de l’assuré social consacre plusieurs dispositions aux intérêts judiciaires dus sur les prestations de sécurité sociale mais aucune disposition n’a été prise en matière d’anatocisme.
    Dans son arrêt du 6 novembre 2006, la cour se prononce donc en sens contraire relevant que même si l’article 1154 du Code civil est inscrit au titre consacré aux obligations conventionnelles, il en va de même pour l’article 1153 du Code civil, qui régit également les intérêts moratoires et qui trouve à s’appliquer pour les prestations de sécurité sociale suivant la jurisprudence antérieure à la Charte de l’assuré social.
    Cet arrêt rejoint le commentaire critique de Jean-François NEVEN dans les Chroniques de droit social sous l’arrêt de la cour du 16 février 2006 (Chron. Dr. Soc., 2006, p.552- 555).

Il est en intéressant de relever que, pour ce qui concerne le point précis de la Charte de l’assuré sociale qui ne prévoit pas le mécanisme de l’anatocisme, l’auteur précise que cette question soulevée par la cour dans son arrêt du 16 février 2006 n’est pas décisive, dans la mesure où « il n’a, en effet, jamais été dans les intentions des auteurs de la Charte de l’assuré social de régler toutes les questions posées par l’octroi des prestations de sécurité sociale de sorte que pour les questions qu’elle ne règle pas, la Charte n’exclut pas qu’il soit fait application du droit commun ». On peut encore relever une autre erreur de raisonnement de la cour puisque, comme précisé dans l’arrêt du 6 novembre 2006, si l’article 1154 du Code civil ne trouve pas à s’appliquer, on doit considérer que l’anatocisme n’est soumis à aucune restriction.

Force est donc de constater que ce dernier arrêt du 16 novembre 2006 est important, en ce qu’il apporte les éclaircissements nécessaires sur l’application de l’anatocisme aux prestations de sécurité sociale.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be