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AMI : récupération d’indu et principe non bis in idem

Commentaire de C. trav. Mons, 23 janvier 2020, R.G. 2019/AM/9

Mis en ligne le lundi 28 décembre 2020


Cour du travail de Mons, 23 janvier 2020, R.G. 2019/AM/9

Terra Laboris

Dans un arrêt du 23 janvier 2020, la Cour du travail de Mons rappelle la distinction à faire entre une sanction administrative (ayant un caractère pénal au sens de la C.E.D.H.) et la récupération d’indu : si la règle non bis in idem s’applique dans le premier cas, elle ne vaut pas dans le second.

Les faits

Alors qu’il était reconnu en incapacité de travail depuis 2014, un assuré social a poursuivi une activité de vente de stupéfiants pendant plusieurs mois, jusqu’à une perquisition à son domicile.

Il a reconnu les faits et une procédure pénale a été enclenchée. Parallèlement, l’I.N.A.M.I. a constaté qu’il avait commis plusieurs infractions à la réglementation, étant (i) d’avoir repris une activité sans autorisation du médecin-conseil et sans en avoir informé l’organisme assureur, (ii) de ne pas avoir déclaré des revenus et (iii) d’voir fait usage d’un faux document (étant la feuille de renseignements).

Une condamnation a été prononcée par le tribunal correctionnel. L’U.N.M.S. a, ensuite, introduit une procédure en récupération devant le tribunal du travail, demande à laquelle il a été fait droit par un jugement du 10 décembre 2018. Le premier juge a considéré que la récupération ne constituait pas une sanction pénale, non plus qu’une sanction administrative, de telle sorte que le principe non bis in idem n’était pas applicable.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour reprend les conditions de la reconnaissance de l’incapacité de travail, telles que fixées par l’article 100, § 1er, alinéa 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, rappelant que la première de celles-ci est la cessation d’activité. Si les notions d’« activité », de « travail » et d’« activité professionnelle » ne sont pas définies dans la loi, la jurisprudence en a dessiné les contours. L’activité est toute occupation orientée vers la production de biens et/ou de services, qui procurera un profit économique, de manière directe ou indirecte, pour soi-même ou pour autrui. Il est indifférent qu’elle soit occasionnelle (voire même exceptionnelle), de minime importance ou même faiblement rémunérée.

La Cour de cassation avait, dans un arrêt du 18 mai 1992 (Cass., 18 mai 1992, n° 7.823), défini le travail comme toute activité à caractère productif effectuée dans le cadre de relations sociales, même si elle est accomplie sans rémunération, au titre de service d’amis. La cour relève « une très grande analogie » entre les deux notions.

En ce qui concerne la possibilité de reprise d’une activité pendant l’incapacité de travail, la cour en rappelle les conditions, dont l’exigence de la reconnaissance de la réduction de capacité de 50% au moins.

En l’espèce, il y avait bien activité non autorisée exercée dès le premier jour de l’incapacité et il y a lieu à récupération.

L’intéressé considère que, le tribunal correctionnel ayant retenu une période infractionnelle déterminée, il ne peut, en AMI, être demandé la récupération au-delà de celle-ci, cette sanction administrative ne pouvant être appliquée, vu le principe non bis in idem.

La cour rappelle l’arrêt ZOLOTOUKHINE (Cr.E.D.H. (Grande chambre), 10 février 2009, Req. n° 14.939/03, ZOLOTOUKHINE c/ RUSSIE), où le principe a été énoncé : nul ne pouvant être poursuivi ou puni une seconde fois en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif « conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ».

Ceci est applicable aux sanctions administratives qui ne consistent pas en des amendes ou des majorations de perceptions financières obligatoires mais en la privation du droit à bénéficier d’avantages pécuniaires de l’autorité publique. La sanction doit cependant revêtir certaines caractéristiques, selon la Cour constitutionnelle (C. const., 19 octobre 2013, n° 181/2013), étant qu’elle doit frapper la généralité des contrevenants tout en visant à prévenir la réitération du comportement et qu’elle présente un aspect clairement punitif plutôt qu’indemnitaire.

Ont été admises à ce titre les sanctions en matière de chômage (articles 153 à 155 de l’arrêté royal organique), consistant en une exclusion (temporaire ou définitive). De même, l’exclusion comparable en AMI (arrêté royal du 10 janvier 1969) consistant en une exclusion.

Cependant, il s’agit ici non d’une sanction mais d’une récupération d’indu. L’assuré social ne remplissait pas les critères d’intervention de l’assurance maladie-invalidité, de telle sorte que ce n’est pas une sanction qui lui a été infligée, mais une récupération de sommes indues du fait que les conditions d’indemnisation ne sont pas réunies.

La cour rappelle encore que les organismes assureurs ne sont pas habilités à prendre des sanctions, celles-ci étant réservées à l’I.N.A.M.I.

L’intéressé fait encore valoir qu’il n’a pas été soumis à un examen médical et qu’il n’y a pas eu de décision du médecin-conseil concluant à la fin de la reconnaissance de l’incapacité. La cour rappelle à cet égard que, pour bénéficier des dispositions de l’article 100, § 2, il faut préalablement remplir les conditions de l’article 100, § 1er, étant qu’il doit avoir été reconnu en incapacité (et dès lors remplir les conditions d’octroi) et que sa capacité de travail est restée réduite d’au moins 50% du point de vue médical. Cette hypothèse – qui permet la limitation de la récupération – n’est pas rencontrée en l’espèce.

Le jugement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

La cour rappelle ici que l’activité et le travail dans les dispositions examinées sont des notions dont le contenu est analogue. Par ailleurs, il n’est plus contesté que l’activité vise toute occupation, même non professionnelle, et même exercée à titre occasionnel ou encore exceptionnel. La notion est dès lors extrêmement large et, dans cet arrêt, la cour confirme le champ d’application à une activité illégale ayant d’ailleurs abouti à une condamnation par le tribunal correctionnel.

En l’occurrence, la cour a rejeté les arguments de l’appelant relatifs à une reprise d’un travail non autorisé, dans la mesure où l’activité était déjà (et toujours) exercée lorsqu’il est tombé en incapacité de travail. Il ne pouvait dès lors avoir cessé toute activité.

Sur la notion, l’on peut renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 20 juin 2013 (C. trav. Bruxelles, 20 juin 2013, R.G. 2011/AB/813 – précédemment commenté), qui a lui-même cité la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 23 avril 1990 (Cass., 23 avril 1990, n° 8.720-8.854), la Cour suprême a rappelé que le terme « activité » ne doit pas être limité à un travail ou à une activité professionnelle, mais qu’il vise toute activité à caractère productif par laquelle l’assuré augmente son patrimoine. L’arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles concernait un administrateur de société exerçant via une autre société créée par des tiers et dont les actions avaient été, dès la création, converties en titres au porteur et détenues par l’intéressé lui-même (et sa compagne). D’autres montages de même nature avaient également été constatés.

L’autre point important de l’arrêt de la Cour du travail de Mons est la distinction opérée entre la sanction (sanction administrative, mais pouvant avoir un caractère pénal au sens de la jurisprudence de la Cr.E.D.H.) et la récupération d’indu. La notion de non bis in idem et son application en droit de la sécurité sociale ont amené des discussions quant aux conditions d’application de la règle elle-même, s’agissant de viser des faits identiques ou substantiellement identiques. La Cour de cassation s’est prononcée sur la question dans un arrêt du 24 avril 2015 (Cass., 24 avril 2015, n° F.14.0045.N), jugeant qu’il faut entendre par là l’ensemble de circonstances de fait concrètes, relatives à un même suspect, qui sont indissociablement liées en temps et lieu.

Dans son arrêt du 19 décembre 2013 cité par la cour du travail (C. const., 19 décembre 2013, n° 181/2013), la Cour constitutionnelle avait quant à elle posé le principe que l’article 233 du Code pénal social, interprété comme imposant au juge pénal de prononcer la sanction qu’il prévoit à l’encontre de prévenus qui ont déjà subi une sanction administrative présentant un caractère répressif prédominant pour des faits identiques à ceux qui sont à l’origine des poursuites ou qui sont en substance les mêmes, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe non bis in idem, avec l’article 4 du Septième Protocole additionnel à la C.E.D.H. et avec l’article 14, § 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.


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