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Secteur AMI : obligation d’information d’une modification des revenus du ménage

Commentaire de C. trav. Mons, 15 janvier 2020, R.G. 2018/AM/364

Mis en ligne le lundi 28 décembre 2020


Cour du travail de Mons, 15 janvier 2020, R.G. 2018/AM/364

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 janvier 2020, la Cour du travail de Mons, tout en renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question, rappelle l’obligation d’information préalable de l’assuré social, en cas de modification des revenus du ménage (épouse également invalide et autorisée à prester dans le cadre d’un mi-temps médical), et les limites de l’obligation d’information mise par la Charte de l’assuré social à charge de l’institution de sécurité sociale.

Les faits

Un assuré social a été reconnu en état d’incapacité de travail par son organisme assureur AMI en octobre 2012. Son épouse était, pour sa part, indemnisée depuis avril 2010 et obtint, en 2013, l’autorisation de travailler à mi-temps, autorisation donnée par le médecin-conseil. Il fut considéré par l’organisme assureur, plusieurs mois plus tard, que le conjoint ne pouvait plus bénéficier du taux de personne à charge pour les mois couverts par le mi-temps médical. Une décision fut ainsi notifiée, demandant le remboursement d’un indu de l’ordre de 4.800 euros. Elle prévoit que, vu les revenus bruts du conjoint (supérieurs au plafond légal), l’indemnisation devait intervenir, pour ce qui le concerne, au taux titulaire cohabitant (article 225 de l’arrêté royal d’exécution de la loi coordonnée le 14 juillet 1994).

Une demande fut adressée en vue d’obtenir la renonciation à l’indu et cette demande fut rejetée, au motif du dépassement du seuil des revenus admis par l’arrêté royal du 15 janvier 2014.

Un recours fut alors introduit devant le Tribunal du travail du Hainaut (division de Charleroi), qui confirma la décision administrative (en réalité deux décisions, l’une de l’organisme assureur et l’autre de l’I.N.A.M.I.).

Appel fut dès lors interjeté.

Position des parties devant la cour

L’appelant se fonde essentiellement sur des fautes successives commises par l’organisme assureur ainsi que son manquement au devoir d’information et de minutie, son couple étant indemnisé par la même mutuelle. Il considère que l’organisme assureur aurait dû avoir un comportement réactif et proactif et l’informer d’initiative des conséquences d’une demande de reprise du travail de son épouse sur ses indemnités. Il fait également valoir des erreurs au niveau des conseils donnés en ce qui concerne les chances de succès d’un recours judiciaire.

Par ailleurs, l’I.N.A.M.I. et l’organisme assureur, qui sollicitent tous deux la confirmation du jugement, font grief à l’appelant de ne pas établir qu’il aurait informé l’organisme assureur de la reprise d’une activité dans le chef de son épouse, l’organisme assureur précisant les obligations figurant sur les formulaires C225, parmi lesquelles figure l’engagement du titulaire d’informer immédiatement la mutuelle de toute modification pouvant intervenir dans la composition du ménage ou dans les revenus des personnes avec lesquelles il y a cohabitation. Il précise n’avoir eu connaissance de l’exercice du travail à temps partiel médical que lors de la remise, pour la première fois, du formulaire C225 de l’époux. Pour ce qui est de l’information, il fait valoir qu’il n’y a pas eu de demande particulière lui adressée concernant le dossier et qu’il n’avait aucune obligation de donner d’initiative des compléments d’information. Il conteste toute faute dans son chef.

La décision de la cour

Les principes rappelés, dans le cadre des références applicables, sont d’une part les règles de l’article 225, § 1er, de l’arrêté royal d’exécution de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et d’autre part les obligations d’information et de conseil des institutions de sécurité sociale figurant aux articles 3 et 4 de la Charte (avec les dispositions suivantes : articles 5 et 6, qui prévoient l’obligation de réorientation ainsi qu’un devoir général de lisibilité dans la rédaction des décisions).

Renvoi est fait à l’arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 23 novembre 2009 (Cass., 23 novembre 2009, n° S.07.0115.F), selon lequel les institutions de sécurité sociale sont tenues de fournir à l’assuré social qui en fait la demande écrite toutes informations utiles et de lui communiquer d’initiative tout complément d’information nécessaire à l’examen de sa demande ou au maintien de ses droits. La Cour a précisé qu’il ne s’ensuit pas que l’obligation pour l’institution de sécurité sociale de communiquer d’initiative à l’assuré social un complément d’information est subordonnée à la condition qu’il ait préalablement fait une demande par écrit relative à cette information concernant ses droits et obligations.

Il découle de cette jurisprudence une obligation de réactivité et de proactivité, la cour du travail précisant que le rôle des institutions est de faire en sorte que les assurés sociaux puissent obtenir les prestations sociales auxquelles ils ont légalement droit et que celles-ci ne peuvent rester passives face à une information qu’elles reçoivent ou en présence d’un dossier incomplet. Il s’agit, selon les propres termes de l’arrêt, de la logique de « l’administration active », qui doit jouer un rôle actif dans le traitement des dossiers. Cette obligation a cependant des limites et l’assuré social ne peut se retrancher derrière elle pour s’abstenir de s’informer sur la portée de ses propres droits et obligations.

La question est dès lors de déterminer si l’organisme assureur a commis une erreur imputable à lui-même, erreur à l’origine de la décision qui devait être rectifiée.

La cour retient que l’assuré social est certes de bonne foi, puisqu’il a cru que la remise mensuelle par son épouse de ses attestations de salaire à leur mutuelle commune ferait que la situation était connue. Cependant, pèse sur l’assuré social un engagement personnel d’informer immédiatement sa mutualité, en ce qui concerne son propre dossier, dès lors que, comme en l’espèce, des éléments nouveaux seraient intervenus, modifiant les revenus des personnes avec lesquelles il cohabite. Il ne peut être fait grief à la mutuelle de ne pas avoir vérifié l’information figurant dans le dossier de l’épouse pour pallier l’absence d’information de l’assuré social lui-même. Reste également à déterminer si le gestionnaire aurait pu connaître l’identité de l’époux lorsqu’il gérait les informations transmises par l’épouse.

Il n’y a, dès lors, pas d’erreur commise par l’organisme assureur, puisque c’est lors de la remise du premier formulaire de C225 que la situation a été découverte.

Par ailleurs, l’I.N.A.M.I. ayant refusé de renoncer à l’indu, la cour du travail rappelle que le critère en la matière est le caractère digne d’intérêt du cas. Celui-ci s’apprécie en principe sur la base des revenus du ménage de l’assuré social déterminés par arrêté royal (arrêté royal du 15 janvier 2014). Les décisions prises par l’I.N.A.M.I. sur la question relèvent, selon la doctrine, de son pouvoir discrétionnaire. Il n’y a pas de droit subjectif à une renonciation à la récupération.

Il s’ensuit que le contrôle judiciaire est restreint, étant limité à un contrôle de légalité interne et externe de la décision.

Les revenus fixés par l’arrêté étant en l’espèce dépassés, la cour conclut que c’est à bon droit que l’I.N.A.M.I. a rejeté la demande. Cette décision n’est par ailleurs pas entachée d’un vice de légalité interne ou externe et la cour rejette le chef de demande.

Elle confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Mons examine les obligations à charge des deux parties. Il s’agit d’une part de l’obligation pour le bénéficiaire d’indemnités d’informer d’initiative de toute modification de la situation, soit dans son ménage, soit dans les revenus à prendre en compte, susceptible d’avoir une incidence sur les indemnités perçues. Quant à l’institution de sécurité sociale, de l’autre, lui est imposée une obligation d’information et de conseil, selon les règles développées par la jurisprudence à partir du texte de la Charte de l’assuré social.

Comme rappelé par la cour, l’obligation d’information et de conseil a des limites et la doctrine a eu l’occasion d’en préciser les contours. Celle-ci a en effet conclu sur la question que l’organisme assureur n’a pas à aller chercher dans le dossier du conjoint l’information requise, et ce afin de pallier l’absence d’information qu’aurait dû donner l’assuré social d’initiative. Il n’appartient pas à l’organisme assureur de procéder spontanément à la comparaison des déclarations faites par les membres d’un même ménage, car l’obligation préalable d’information repose sur l’assuré social lui-même (M. DUMONT, J.-F. FUNCK, D. CREIT et J.-F. NEVEN, « La responsabilité des institutions de sécurité sociale », in Regards croisés sur la sécurité sociale, C.U.P., Anthémis, 2012, p. 216).

Cette obligation ne doit dès lors pas être négligée, puisqu’elle n’est pas, à défaut d’avoir été respectée, susceptible de mettre en cause la responsabilité de l’institution de sécurité sociale au sens de la Charte.


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