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Accident du travail : la subrogation de l’organisme assureur A.M.I. inclut-elle l’intérêt légal sur les montants payés ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 février 2020, R.G. 2013/AB/717

Mis en ligne le lundi 14 décembre 2020


Cour du travail de Bruxelles, 17 février 2020, R.G. 2013/AB/717

Terra Laboris

Dans un arrêt du 17 février 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la modification légale intervenue par la loi du 8 juin 2008 en ce qui concerne le paiement de frais médicaux (et assimilés) par l’organisme assureur, dans l’attente de la prise en charge par le débiteur de la réparation en accident du travail, la procédure introduite visant le paiement de l’intérêt légal sur ceux-ci.

Rétroactes

Le litige oppose FEDRIS à un organisme assureur A.M.I. Il s’agit de la prise en charge de débours suite à un accident du travail survenu le 21 décembre 1962. L’organisme assureur auquel l’intéressé était affilié est intervenu aux fins de payer des frais médicaux consécutifs à l’accident. Des demandes ont été adressées au Fonds des Accidents du Travail (actuellement FEDRIS), qui en a remboursé une part à l’organisme assureur pendant une période entre 1997 et 2004. En mars 2003, ce dernier adressa un courrier recommandé mettant le F.A.T. en demeure de payer un montant de l’ordre de 3.300 euros au titre d’intérêts sur ses débours. Une lettre recommandée interruptive de prescription fut alors envoyée en juin 2004.

En mai 2015, une procédure fut initiée à l’initiative de l’organisme assureur contre le F.A.T. Celle-ci a pour objet de réclamer le paiement d’un montant de l’ordre de 8.700 euros au titre d’intérêts légaux sur les montants en cause, intérêts calculés à partir d’une date moyenne. Il s’agit des intérêts sur trois paiements globaux réclamés pendant la période ci-dessus.

Le Tribunal du travail (néerlandophone) de Bruxelles se prononça par jugement du 10 janvier 2013, accueillant la demande et condamna le F.A.T. à payer ces intérêts.

Appel fut interjeté après signification de la décision avec commandement de payer. La totalité de la condamnation fut exécutée, étant les intérêts légaux réclamés par citation, les intérêts judiciaires courant sur ceux-ci et les dépens.

Les arrêts de la cour

La cour du travail a rendu deux arrêts.

L’arrêt du 20 octobre 2014

Cet arrêt reçoit l’appel et le déclare partiellement fondé, concluant, pour une partie de la demande, à la prescription. L’arrêt ordonne une réouverture des débats aux fins de permettre à l’organisme assureur de chiffrer sa demande avec précision.

L’arrêt du 17 février 2020

La cour reprend, dans celui-ci, la position des parties après l’arrêt interlocutoire. La mise à jour des intérêts légaux est intervenue et la cour acte que FEDRIS (qui s’est substitué entre-temps au Fonds des Accidents du Travail en vertu de la loi du 16 août 2016) a introduit un appel incident, demandant de déclarer l’action originaire irrecevable ou, à tout le moins, non fondée et de condamner l’organisme assureur au remboursement des sommes qui ont été payées en exécution du jugement du 10 janvier 2013.

La cour en vient ensuite au mécanisme de la subrogation de l’organisme assureur A.M.I. aux droits de la victime de l’accident du travail. Les frais médicaux ont été avancés par l’organisme assureur, qui les a réclamés à FEDRIS sur la base de l’article 136, § 2, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994.

La subrogation dont question dans cette disposition implique que l’organisme assureur peut réclamer non seulement les frais qu’il a avancés, mais également les intérêts légaux dont FEDRIS est redevable à la victime de l’accident du travail, sur pied de l’article 42, 3e alinéa, de la loi du 10 avril 1971 (la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 1990, n° 7195).

Elle passe ensuite à l’examen de l’article 42, alinéa 3, de la loi, constatant que l’organisme assureur réclame l’intérêt légal à partir de la date à laquelle il a fait l’avance des frais médicaux jusqu’à celle du remboursement par FEDRIS.

Intervient ici le renvoi à l’arrêt de la Cour de cassation du 19 février 2007 (S.06.0003.N), dont elle reprend le dispositif.

La Cour de cassation y a en effet rappelé la règle selon laquelle, en vertu de l’article 42, alinéa 3, les indemnités prévues par la loi portent intérêt de plein droit à partir de leur exigibilité. Il s’agit d’une dérogation à l’article 1153, alinéa 3, du Code civil.

Par le terme « indemnités » (« uitkeringen »), le législateur a visé toutes les sommes dues en vertu de la loi, quel que soit le débiteur. Les intérêts litigieux sont également dus de plein droit depuis la date du paiement sur les indemnités couvrant les frais médicaux (et assimilés) payées par l’organisme assureur en application de l’article 41, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971, lorsque celui-ci réclame le remboursement de ces indemnités à l’assureur-loi ou, le cas échéant, au demandeur.

La cour applique cette jurisprudence (rappelant le texte de l’article 42, alinéa 3, tel qu’applicable avant sa modification par une loi du 8 juin 2008). A l’époque des faits, il disposait que les indemnités visées par la loi donnent lieu à l’intérêt de plein droit à partir de leur exigibilité. La modification légale a eu pour effet de restreindre la portée de cette disposition, qui prévoit désormais que les indemnités prévues par cet article portent intérêt de plein droit à partir de leur exigibilité. Les deux alinéas précédents de l’article 42 visent les indemnités temporaires ainsi que les allocations annuelles, les arrérages de rentes et les autres allocations.

L’intérêt reste dès lors dû, conformément au texte applicable à l’époque.

Reste une question mineure à débattre dans le cadre des décomptes et la cour ordonne une réouverture des débats quant à ce.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait référence à la modification de l’article 42 de la loi du 10 avril 1971 par une loi du 8 juin 2008 portant des dispositions diverses.

Cette modification législative est intervenue après un arrêt de la Cour de cassation du 19 février 2007 (Cass., 19 février 2007, n° S.06.0003.N), rejetant un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Gand (section de Bruges) du 10 février 2005.

La Cour de cassation avait, dans cet arrêt – également rappelé par la cour du travail dans ses motifs –, considéré que le terme « indemnités » utilisé à l’article 42 couvrait toutes les sommes dues en vertu de la loi, et ce quel que soit par ailleurs le débiteur. Il s’agissait en l’espèce – comme dans l’affaire tranchée par la Cour du travail de Bruxelles – de frais médicaux, pharmaceutiques, chirurgicaux et hospitaliers. Ceux-ci avaient – comme ici – été avancés par l’organisme assureur en application de l’article 41, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971.

Confirmation avait été donnée par la Cour suprême que l’intérêt légal était dû sur ceux-ci dans le cadre du mécanisme de l’article 42 de la loi du 10 avril 1971, dont elle rappela également qu’il constitue une dérogation à l’article 1153, alinéa 3, du Code civil.

Depuis la modification législative introduite par la loi du 8 juin 2008, ceci ne vaut plus que pour les indemnités et allocations visées aux deux premiers alinéas de l’article 42.

Il y a dès lors une restriction à la notion d’indemnités au sens de cette disposition.


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