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Rémunération de base pour l’indemnité compensatoire de préavis : évaluation au titre d’avantage de toute nature de voyages offerts par la société

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 mars 2020, R.G. 2017/AB/406

Mis en ligne le jeudi 10 décembre 2020


Cour du travail de Bruxelles, 10 mars 2020, R.G. 2017/AB/406

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 mars 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que des voyages organisés par l’employeur pour récompenser le personnel, dynamiser les équipes, stimuler la motivation des travailleurs, etc., ont un caractère rémunératoire et doivent être pris en compte dans la rémunération de base servant au calcul de l’indemnité compensatoire de préavis.

Les faits

Un employé a été engagé en 2011 par une société de recrutement et de placement de personnel. Il était chargé de trouver, de rencontrer ainsi que de proposer des candidats aux clients de la société, qui cherchaient à engager des travailleurs de leur profil. Il s’agissait d’un chasseur de têtes.

Il est tombé en incapacité de travail en janvier 2013, soit près de 15 mois après son engagement. Il a été licencié rapidement, moyennant paiement d’une indemnité de rupture de 3 mois.

Une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, l’intéressé demandant le paiement d’une commission, d’un complément d’indemnité compensatoire de préavis, ainsi que d’une indemnité d’éviction.

Le jugement rendu par le tribunal a considéré la demande partiellement fondée, octroyant un léger ajustement d’indemnité compensatoire de préavis, des intérêts sur des montants déjà versés et autorisant, comme l’intéressé l’avait demandé, la capitalisation des intérêts.

Il interjette appel devant la cour.

La société introduit un appel incident, sur l’ajustement de l’indemnité compensatoire de préavis.

La décision de la cour

La cour examine successivement la question des arriérés de rémunération, celle du complément d’indemnité compensatoire de préavis, ainsi qu’une demande d’indemnité d’éviction.

Pour ce qui est des arriérés de rémunération, il s’agit essentiellement de commissions et, celles-ci étant prévues par un plan de commissionnement, la cour constate qu’un tel plan n’a pas été déposé pour l’année 2012, non plus que 2013. Les commissions étant payées à la fin du mois afférent à l’entrée en service des candidats placés chez les clients, la cour constate pour la période réclamée l’absence d’un droit fondé sur des dispositions légales ou contractuelles – voire sur un usage – à obtenir celles-ci.

Sur la rémunération de base, les parties sont opposées quant à l’assiette de calcul. La cour renvoie ici à l’article 39, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, devant être pris en compte, outre la rémunération en cours, les avantages acquis en vertu du contrat.

L’intéressé incluait déjà la commission ci-dessus – à laquelle il n’a pas droit – et la cour retient dès lors que son calcul doit être revu à la baisse eu égard à ce qu’elle a décidé quant à celle-ci.

Deux avantages en nature font débat.

Le véhicule, d’abord, la cour rappelant que l’utilisation du véhicule de société à des fins privés est un avantage acquis et que celui-ci doit être évalué à concurrence de sa valeur réelle et non de la valeur convenue ou déclarée fiscalement. Dans la mesure où l’évaluation ne peut être réalisée avec précision, étant qu’il faut déterminer l’économie objective concrète que représente cet usage et non le prix de revient du véhicule pour l’employeur, la cour rappelle que la jurisprudence procède selon la méthode de l’évaluation forfaitaire. En l’occurrence, il s’agit d’un véhicule Audi A6 avec carte d’essence internationale de maximum 100 euros par mois. Le montant retenu est de 400 euros.

Mais c’est un second avantage qui donne lieu à une discussion moins fréquente, étant que l’intéressé prend en considération, dans les ratios de base, la valeur d’un voyage organisé à Marrakech par la société. Il estime que cet avantage doit être pris en compte, à concurrence de 1.791 euros.

La cour relève qu’il s’agit d’un voyage collectif proposé à l’ensemble du personnel, le voyage étant une récompense de la productivité du personnel. L’examen du programme fait apparaître qu’il ne comportait en effet aucune activité strictement professionnelle et que l’on ne peut pas le qualifier de voyage strictement privé, les partenaires des travailleurs n’y ayant pas été conviés. Le programme – d’agrément – a été choisi par l’employeur dans un objectif professionnel (« team building »).

Pour la cour du travail, qui renvoie à un arrêt du 9 septembre 2008 (C. trav. Bruxelles, 9 septembre 2008, J.T.T., 2009, p. 10), les voyages offerts par l’employeur, principalement destinés à la détente et pendant lesquels peu de temps est consacré à des réunions de travail, voyages déterminés en fonction des résultats de l’entreprise, sont des avantages rémunératoires qui doivent intervenir dans le calcul de l’indemnité de préavis. Il s’agit d’un moyen de récompenser la productivité du personnel (« incentive »).

Quant à l’appréciation sur le plan financier, il faut tenir compte à la fois du caractère professionnel (récompense pour les résultats, motivation, dynamisation des équipes) et d’agrément (présence ou non des conjoints, faculté d’y participer, activités conviviales). Dans un autre arrêt du 24 octobre 2006 (C. trav. Bruxelles, 24 octobre 2006, R.G. 46.843, inédit), la cour avait considéré que, s’agissant à la fois d’une dépense en vue de stimuler les affaires et d’une gratification offerte aux personnes, 50% de la valeur objective pouvaient être pris en compte au niveau de la valeur réelle dans le cadre de la fixation de la rémunération de base.

Les conditions du voyage sont dès lors examinées et la cour confirme la décision du premier juge à cet égard, qui a également retenu 50% de la valeur objective du voyage. Le montant avancé par l’employé est cependant réduit, puisque le coût objectif n’est pas celui que celui-ci avait présenté.

Après avoir réexaminé la hauteur du préavis (le licenciement étant intervenu en février 2013) et ayant confirmé que les données de l’espèce aboutissaient à un préavis de 3 mois, la cour en vient au dernier chef de demande, qui est relatif à une indemnité d’éviction. Elle renvoie à l’article 101 de la loi du 3 juillet 1978 et rappelle, en résumé des exigences légales, que cinq conditions doivent être remplies, étant (i) d’avoir été occupé en qualité de représentant de commerce, (ii) d’avoir été en service depuis au moins un an au moment de la rupture, (iii) d’avoir apporté une clientèle, (iv) d’avoir été licencié sans motif grave ou d’avoir démissionné pour motif grave et (v) d’avoir subi un préjudice en raison de la rupture du contrat.

Ceci impose qu’en premier lieu soit vérifiée la condition de la qualité de représentant de commerce, celui-ci devant (i) prospecter et visiter une clientèle, (ii) négocier ou conclure des affaires avec celle-ci, (iii) agir sous l’autorité, pour le compte et au nom du commettant et (iv) exercer cette activité à titre principal.

En tant que chasseur de têtes, l’intéressé devait entendre les besoins des clients en personnel, rechercher des candidats et les présenter aux clients. La cour relève que l’intéressé rencontrait davantage de candidats que de clients et que, s’il rencontrait également des clients potentiels, ceci ne constituait pas sa tâche principale.

Il ressort également que le travail effectué (encodage des données de clients potentiels sans contacts directs, recherche et rencontre des candidats, organisation des rencontres entre candidats et clients) était quasi-exclusivement réalisé depuis les bureaux de la société. L’activité principale exercée n’était dès lors pas la visite et la prospection de la clientèle en vue de la négociation et de la conclusion d’affaires. Le poste est dès lors rejeté.

Intérêt de la décision

Cet arrêt s’est penché sur la question des voyages de société, organisés par l’employeur et destinés à « récompenser » le personnel ainsi qu’à accroître sa motivation et à dynamiser les équipes. La cour retient que le voyage en cause était un pur voyage d’agrément, sans aucune activité professionnelle imposée au cours de celui-ci. Etant cependant décidé et organisé par l’employeur, ce voyage présente un caractère professionnel, ainsi que l’a rappelé la cour du travail dans deux arrêts précédents des 24 octobre 2006 et 9 septembre 2008. L’on notera que la jurisprudence sur la question est assez rare, aucune autre décision n’ayant été portée à notre connaissance.

Outre la prise en compte du voyage en lui-même en tant qu’élément rémunératoire, l’arrêt du 10 mars 2020 confirme l’évaluation qui avait été faite de cet avantage (50%) déjà retenu dans la jurisprudence invoquée.


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