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Etendue du devoir d’information et d’assistance de la caisse d’assurances sociales

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 16 juin 2020, R.G. 2019/AN/108

Mis en ligne le lundi 30 novembre 2020


Cour du travail de Liège (division Namur), 16 juin 2020, R.G. 2019/AN/108

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 juin 2020, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle que le devoir d’information et d’assistance de la caisse d’assurances sociales prévu par l’arrêté royal n° 38 suppose qu’elle ait été interrogée par le travailleur indépendant sur un point précis relatif à ses droits et obligations.

Les faits

Un travailleur indépendant affilié auprès d’une caisse d’assurances sociales depuis 1987 constitue avec son épouse une société d’activités de conseils et de management. Ils détiennent respectivement 50% et 49% des parts, la dernière part restante étant attribuée à un tiers. Le mari est administrateur statutaire pour une durée de 6 ans et son mandat peut être rémunéré. Après quelques mois, il abandonne sa collaboration avec une autre société, pour laquelle un partenariat avait été conclu. Une convention de rupture est signée.

Il demande à la caisse de procéder à une déclaration de cessation d’activité, ce que celle-ci refuse vu son mandat dans la société constituée avec son épouse. Quelques mois plus tard, un extrait du procès-verbal de l’assemblée générale des associés est déposé au Moniteur belge pour publication. Ce procès-verbal contient une décision relative au mandat, mandat exercé à titre gratuit. Il est prévu que cette gratuité démarre au jour de la constitution de la société. Quelques mois plus tard, l’intéressé démissionne et cette décision est également déposée au Moniteur belge.

La caisse demande alors à l’I.N.A.S.T.I. de procéder à une enquête. L’I.N.A.S.T.I. répond que l’intéressé est le seul administrateur et – jusqu’à preuve du contraire – associé actif. L’I.N.A.S.T.I. précise que la gratuité en droit du mandat ne peut être acceptée avant la date de dépôt de la décision de l’assemblée générale au Moniteur. La caisse établit cependant une attestation de fin d’activité à une date antérieure.

Des discussions interviennent alors en ce qui concerne les arriérés de cotisations dus. La procédure de paiement est enclenchée et le conseil de l’intéressé conteste par divers courriers. En fin de compte, un dernier rappel est envoyé par la caisse plusieurs années plus tard, le montant, augmenté des frais et intérêts, étant alors de plus de 20.000 euros. Une sommation avant contrainte est adressée par l’huissier. La contrainte est notifiée et un recours est introduit en vue d’annuler celle-ci.

L’objet de la demande

Dans le recours contre la contrainte, l’intéressé et la société demandent au tribunal de dire pour droit qu’il n’y a plus de cotisations sociales dues ou – à tout le moins – que la caisse soit condamnée à des dommages et intérêts équivalents.

Le tribunal a déclaré le recours recevable et non fondé, confirmant la contrainte. La condamnation intervient solidairement à l’encontre du gérant et de la société. Le tribunal considère encore qu’aucune faute ne peut être imputée à la caisse.

L’appel

La réformation du jugement est demandée par les deux parties demanderesses originaires, qui persistent à solliciter l’annulation de la contrainte, considérant qu’il n’y a plus de cotisations dues. A titre subsidiaire, ils admettent un trimestre et, à titre plus subsidiaire encore, ils font valoir des erreurs commises par la caisse dans la gestion du dossier ayant entraîné un dommage. Les conséquences de celui-ci doivent être réparées par l’octroi de dommages et intérêts.

Quant à leurs moyens, les appelants font valoir que le mandat était gratuit tant en droit qu’en fait, que les statuts ont été corrigés en ce sens par un acte déposé au greffe le 28 novembre 2011, rétroagissant au 1er février, date de la constitution, et que c’est l’épouse qui gérait en fait la société. Le mandat est, à titre subsidiaire, à considérer comme gratuit en droit à partir de la publication officielle au Moniteur. Pour ce qui est de la thèse défendue plus subsidiairement, ils estiment qu’il y eu faute dans la gestion du dossier, la caisse n’ayant pas attiré directement leur attention sur les conséquences d’une absence de démission et ayant entretenu une confusion quant à la situation de l’intéressé. Si la caisse avait pris position immédiatement sur son statut, l’intéressé y aurait mis fin plus tôt.

Pour la caisse, il y a lieu de faire application de la présomption de l’article 38, § 1er, alinéa 2, de l’arrêté royal n° 38. Une décision de l’organe ne peut être prise en considération avec un effet rétroactif et l’acte initial (acte de constitution) prévoit la possibilité de rémunérer les administrateurs, ce qui n’a été corrigé qu’ultérieurement. La qualité d’administrateur a été maintenue jusqu’en février 2012 et la caisse rappelle encore qu’il y a solidarité entre l’indépendant et la société. Pour ce qui est de l’attestation délivrée actant la fin d’activité bien plus tôt, soit au 4 mars 2011, elle fait valoir qu’il s’agit uniquement d’une attestation destinée à la mutualité. Elle sollicite dès lors la confirmation du jugement.

La décision de la cour

Après le rappel des principes généraux en matière d’assujettissement, et notamment la définition de l’activité professionnelle, la cour reprend l’évolution de la jurisprudence relative à la présomption légale, étant l’arrêt de la Cour de cassation du 24 septembre 1979 (Cass., 24 septembre 1979, Pas., 1980, I, p. 504) et l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 novembre 2004 (C. const., 3 novembre 2004, n° 176/2004).

La présomption, initialement irréfragable, peut actuellement être renversée et de la jurisprudence est également invoquée à cet égard pour ce qui est du mode de renversement.

En l’espèce, reprenant l’évolution des événements, la cour constate en premier lieu que la société ne pouvait être considérée comme société dormante et que la présomption d’assujettissement n’est pas renversée. Il en découle que les cotisations sont dues jusqu’au premier trimestre 2012, le jugement devant être confirmé sur ce point.

La cour entame ensuite l’examen de la demande concernant la mise en cause de la responsabilité de la caisse.

Les principes sont le renvoi à l’article 1382 du Code civil, ainsi que les obligations mises à charge des caisses d’assurances par l’arrêté royal du 27 juillet 1967 (arrêté royal n° 38). Son article 20 prévoit un devoir d’information et d’assistance à l’égard des affiliés en ce qui concerne leurs droits et obligations dans le cadre du statut social des indépendants. L’article 42 de l’arrêté royal d’exécution du 19 décembre 1967 prévoit que, dans le courant du premier mois de chaque trimestre civil, la caisse d’assurances sociales fait connaître à l’assujetti, au moyen d’un avis d’échéance, le montant de la cotisation provisoire due. Celle-ci doit être payée le dernier jour du trimestre auquel elle se rapporte.

En ce qui concerne l’éventuelle faute découlant de l’absence d’information quant aux conséquences d’une non-démission, la cour rappelle que le gérant a déclaré cesser son activité d’indépendant le 10 février 2011 (et ce suite à la faillite d’une société avec laquelle il était en partenariat), sans mentionner cependant qu’il restait administrateur de la société également appelante. Ceci a entraîné le refus de la clôture de l’assujettissement vu la persistance de l’exercice d’un mandat. Dans la mesure où la caisse n’a pas été interrogée sur un point précis, elle ne pouvait suggérer au gérant de démissionner de son activité de gérant, et ce dans le but d’éviter le paiement des cotisations. Pour la cour, il n’y a ici aucune faute dans son chef.

Sur le point de savoir, cependant, si la caisse a commis une faute en n’ayant pas pris immédiatement position sur son statut, ce qui l’aurait décidé à mettre fin à celui-ci plus tôt, la cour constate qu’elle n’a pas continué à réclamer les cotisations d’indépendant pour les trimestres après la déclaration de cessation d’activité. Elle estime que ceci est une erreur, puisque la caisse n’acceptait pas cette cessation. Pour sa part, en envoyant les deux actes au Moniteur belge, l’intéressé indiquait qu’il était au courant que sa situation n’était pas régularisée. En outre, une attestation a été rédigée par la caisse en mars 2012, actant une affiliation depuis 1987 jusqu’au 4 mars 2011. Ceci a également été de nature à induire l’intéressé en erreur quant à la régularisation de sa situation, ceci suite au dépôt des deux actes de l’assemblée générale au Moniteur belge.

Cependant, quelques semaines plus tard, la caisse a sollicité une enquête auprès de l’I.N.A.S.T.I. et le gérant en a été informé. Après la conclusion de l’enquête de l’I.N.A.S.T.I. (qui a elle-même pris environ 8 mois et a conclu à l’arrêt de l’activité d’indépendant en février 2012), il a fallu 6 mois à la caisse pour transmettre cette décision à l’intéressé et joindre l’avis de régularisation. Entre-temps, n’avaient été adressés que des rappels pour les cotisations du premier trimestre 2011. La cour acte encore que l’intéressé a réagi immédiatement pour contester et qu’il a persisté dans sa position.

Il y a dès lors une faute, retenue par la cour, qui consiste dans le fait que la caisse n’a pas transmis la réponse de l’I.N.A.S.T.I. dans un délai raisonnable et qu’elle n’a pas davantage répondu de manière circonstanciée aux différents courriers et rappels de l’avocat. Il y a également un lien de causalité entre la faute et le dommage, celui-ci consistant dans le paiement de majorations. La cour réforme dès lors le jugement sur ce point.

Elle compense par ailleurs les dépens des deux instances, chacune des parties ayant succombé dans leurs prétentions.

Intérêt de la décision

La cour rappelle très utilement l’article 20 de l’arrêté royal du 27 juillet 1967. Les caisses d’assurances ont un devoir d’information et d’assistance envers leurs affiliés en ce qui concerne leurs droits et obligations dans le cadre du statut social des indépendants et des réglementations connexes. Il s’agit d’une obligation libellée en des termes très généraux, ne se limitant pas à une information mais également à une « assistance », dont le contenu n’est pas précisé. Rappelons que la Charte de l’assuré social contient quant à elle une obligation à charge des institutions sociales d’information et de conseil.

En l’espèce, il était reproché à la caisse – ce que la cour n’a pas retenu – une absence d’information d’office des conséquences du maintien de la qualité d’administrateur et associé actif. La cour rappelle à très juste titre qu’à défaut pour la caisse d’avoir été interrogée par le demandeur sur ses droits et obligations dans ce cadre (en ce compris l’incidence d’une démission éventuelle), elle n’a commis aucune faute en ne prenant pas l’initiative d’attirer l’attention du travailleur indépendant sur sa situation.

Par contre, lui est reproché un retard dans la transmission des résultats de l’enquête de l’I.N.A.S.T.I. ainsi qu’une absence de réponse circonstanciée au courrier de contestation de l’intéressé via son conseil.

La cour retient, sur le plan du dommage, essentiellement les effets du retard apporté à l’envoi de l’avis de régularisation et condamne la caisse à prendre en charge au titre des dommages et intérêts l’effet de l’écoulement du temps sur les majorations trimestrielles dues. Elle ne suit dès lors pas la position de l’intéressé, qui souhaitait que ce dommage soit fixé aux cotisations elles-mêmes, et ce à défaut d’avoir retenu d’autres fautes (correspondantes) dans le chef de la caisse.


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