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Exposition au benzène : conditions d’indemnisation dans le secteur des maladies professionnelles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 mai 2020, R.G. 2018/AB/375

Mis en ligne le lundi 16 novembre 2020


Cour du travail de Bruxelles, 13 mai 2020, R.G. 2018/AB/375

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 mai 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, dans le secteur privé, les travailleurs exposés au benzène ou à des produits contenant du benzène bénéficient d’une présomption d’exposition au risque, s’agissant de professions réputées nocives.

Les faits

Un chercheur et analyste en milieu médical (clinique universitaire) est atteint d’une grave maladie (un type de leucémie). Il a été exposé à des produits chimiques, étant le benzène notamment, exposition pendant une période où les sécurités relatives à ce produit n’étaient pas définies. Cette exposition est un facteur inducteur bien connu de la maladie, selon le rapport d’un hématologue.

L’intéressé introduit une demande d’indemnisation auprès de FEDRIS (à l’époque F.M.P.) pour une maladie de la liste. Un refus lui a été notifié au motif de l’absence d’exposition au risque de la maladie.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail, qui a considéré celui-ci irrecevable pour tardiveté, par jugement du 20 février 2018.

Appel est interjeté.

L’arrêt de la cour

La première question, relative à la recevabilité, porte sur le respect par l’institution de sécurité sociale des obligations de la Charte de l’assuré social, étant que la décision notifiée ne contenait pas les mentions de l’article 14, mentions que la cour reprend (au nombre de six) ainsi que la sanction légale, étant que, si la décision ne contient pas ces mentions, le délai de recours ne commence par à courir.

Seule est déposée au dossier la preuve d’un envoi recommandé, mais il n’est pas acquis aux débats que les mentions de la Charte figuraient dans la notification. La cour constate que les mentions ne figurent en effet pas sur la décision elle-même, celle-ci n’étant pas accompagnée d’annexes. Si la preuve par présomption est admise, les éléments du dossier ne peuvent suffire à établir leur existence. Le délai de recours n’a dès lors, pour la cour, pas commencé à courir. La décision, notifiée le 14 août 2015, ne fait pas obstacle à l’introduction de la demande le 18 juillet 2017.

Quant au fond, la cour rappelle les trois conditions requises pour pouvoir prétendre à une indemnisation dans le cadre de la loi du 3 juillet 1970, étant que (i) le travailleur doit présenter une maladie, (ii) il doit avoir été exposé au risque de celle-ci par l’exercice de sa profession et (iii) un lien de causalité doit exister entre l’exposition au risque et la maladie.

C’est la question de l’exposition au risque qui est débattue en l’espèce, la cour rappelant que l’article 32, alinéa 1er, des lois coordonnées,dispose que la réparation est due lorsqu’il y a eu exposition au risque professionnel de la maladie. La définition du risque professionnel est donnée au 2e alinéa, étant que l’exposition à l’influence nocive doit être inhérente à l’exercice de la profession et être nettement plus grande que celle subie par la population en général et dans la mesure où l’exposition constitue dans les groupes de personnes exposées selon les connaissances médicales généralement admises la cause prépondérante de la maladie.

La preuve doit être apportée par le demandeur, mais la loi prévoit, pour les maladies de la liste, une présomption d’exposition lorsque la victime a effectué un travail dans les industries ou professions énumérées à l’arrêté royal du 6 février 2007 (arrêté royal fixant la liste des industries, professions ou catégories d’entreprises dans lesquelles la victime d’une maladie professionnelle est présumée avoir été exposée au risque de cette maladie). La présomption est réfragable. L’exposition au benzène et aux produits contenant du benzène est visée. Dès lors, il y a présomption d’exposition. FEDRIS ne renverse pas celle-ci, ne donnant, d’ailleurs – selon ce que relève la cour – aucune explication quant au motif du refus d’indemnisation.

Le dossier étant documenté sur le plan médical par le demandeur (appelant) et aucune contestation médicale sérieuse n’ayant été opposée, la cour fait droit à une demande d’expertise, après avoir constaté que, sur ce point, il est acquis que l’intéressé a été exposé au risque de la maladie professionnelle (la mesure d’expertise ne devant pas porter sur cet aspect).

En conséquence, et la maladie et l’exposition au risque sont acquises. Il faut cependant que soit admis le lien causal et, s’agissant d’une maladie de la liste, celui-ci est également présumé, la présomption étant ici irréfragable (article 32, alinéa 1er, de la loi). Le travailleur n’a aucune preuve à apporter sur cette question, FEDRIS ne le pouvant davantage, vu que la preuve du contraire ne peut être admise.

Les conditions légales sont dès lors remplies et la cour désigne un expert, à qui il confie comme mission de préciser si l’incapacité de travail est la conséquence de la maladie, de déterminer le taux d’I.P. (tenant compte de l’incapacité physiologique et des facteurs socio-économiques) et de dire s’il y a lieu de prévoir l’indemnisation de frais médicaux, pharmaceutiques et hospitaliers et, dans l’affirmative, d’en préciser la nature.

Intérêt de la décision

Sur le fond de la demande, le point important tranché par la cour concerne l’exposition au risque, celle-ci ayant été contestée par FEDRIS (qui n’a – ainsi que le relève l’arrêt – nullement documenté son point de vue à cet égard).

La cour vérifie si les conditions d’indemnisation sont remplies, s’agissant d’une demande d’indemnisation dans le secteur privé pour une maladie figurant sur la liste. Après avoir rappelé que le demandeur a une obligation de preuve de l’exposition au risque, la cour constate qu’il est dispensé de celle-ci, en l’espèce eu égard à la profession exercée, profession considérée comme présumée nocive et reprise dans un arrêté royal du 6 février 2007. L’exposition est, pour les professions visées, présumée de manière réfragable.

La dispense de preuve allège dès lors les obligations du demandeur en réparation.

La question est spécifique au secteur privé, puisque, dans le secteur public, existe une présomption d’exposition au risque, qui vaut non seulement pour les maladies de la liste mais également pour les maladies « hors liste ».

Rappelons que, dans ce secteur, deux importants arrêts ont été rendus par la Cour de cassation récemment. Le premier, en date du 4 avril 2016 (Cass., 4 avril 2016, n° S.14.0039.F), a jugé que, dans le secteur public, la référence (traditionnelle) à l’article 32 des lois coordonnées du secteur privé n’a pas lieu d’être. Le second, du 10 décembre 2018 (Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.0001.F), a dit pour droit que la présomption d’exposition au risque professionnel du secteur public s’applique aussi aux maladies « hors liste ».

La présomption est réfragable.

L’on peut encore renvoyer à un arrêt rendu par la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 19 octobre 2017, R.G. 2016/AL/410), où la cour a jugé qu’il appartient à l’organisme employeur de renverser l’exposition au risque. Seul celui-ci peut le faire et non le service médical. Il s’agissait en l’espèce d’un litige opposant un demandeur en réparation au C.P.A.S., litige dans lequel FEDRIS est intervenu. L’impossibilité pour lui de renverser la présomption légale avait été constatée par le tribunal du travail dans son jugement du 15 avril 2016 et, FEDRIS ayant interjeté appel, la cour du travail a confirmé l’impossibilité pour lui de ce faire.


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