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Aggravation des séquelles d’un accident du travail dans le secteur public : point de départ de la rente majorée

Commentaire de Cass., 22 juin 2020, n° S.18.0017.F

Mis en ligne le vendredi 13 novembre 2020


Cour de cassation, 22 juin 2020, n° S.18.0017.F

Terra Laboris

Aggravation des séquelles d’un accident du travail dans le secteur public : point de départ de la rente majorée

Par arrêt du 22 juin 2020, la Cour de cassation rejette un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège du 4 mars 2016, qui avait conclu à l’inconstitutionnalité de l’article 16 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 fixant la date de prise d’effet de la révision des indemnités en cas d’aggravation.

Rétroactes

Suite à un accident du travail survenu en 2004 (consolidé avec un taux d’I.P.P. de 6% en juin 2008), une action en révision fut introduite en 2011. L’expert judiciaire désigné porta l’incapacité permanente à 10% à partir du 1er juin 2010, cette date étant la consolidation de l’aggravation. Il admit également une incapacité temporaire pour la période précédente.

L’employeur public (administration communale) interjeta appel du jugement ayant fixé les séquelles conformément aux conclusions du rapport d’expertise.

La décision de la cour du travail

La cour dut trancher la date de prise de cours des effets de la révision. En vertu de l’arrêté royal du 13 juin 1970 (applicable en l’espèce), la date de prise de cours doit être fixée au premier jour du mois suivant l’introduction de la demande. Ceci entraînait le report du point de départ du paiement de la date majorée au 1er avril 2011 (au lieu du 1er juin 2010).

La victime de l’accident considérait que cette disposition a un caractère discriminatoire par rapport au secteur privé. Rappelant que, dans celui-ci, la révision prend effet à la date de la survenance de l’aggravation constatée par l’expert, elle concluait à l’absence de justification raisonnable de la disposition applicable dans le secteur public.

La discussion portait, plus généralement, sur la justification de deux régimes d’indemnisation, question sur laquelle la Cour constitutionnelle s’est prononcée à diverses reprises. L’administration communale renvoyait à un arrêt du 20 février 2002 (C. const., 20 février 2002, n° 40/2002), qui avait admis la possibilité d’une différence de traitement, à la condition d’une justification objective et raisonnable, la victime renvoyant quant à elle à un autre arrêt du 8 mai 2001 (C. const., 8 mai 2001, n° 64/2001), qui avait conclu que ni la nature statutaire de la relation de travail ni le caractère général des missions de l’employeur ne justifient une telle différence de traitement.

La cour du travail réexposa, ainsi, que les différences dans les deux régimes avaient donné lieu à diverses interventions de la Cour constitutionnelle. Ainsi, elle avait jugé sur la question de la prise de cours des intérêts moratoires (C. const., 8 mai 2002, n° 82/2002) que, si des différences objectives peuvent justifier un traitement différent des deux catégories de travailleurs, pour autant – cependant – que chaque règle soit conforme à la logique du système auquel elle appartient, la fixation du point de départ déterminée à l’article 20bis de la loi du 3 juillet 1967 ne se justifie pas, ni eu égard à la nature statutaire du lieu qui unit les parties, ni à la nature d’intérêt général des tâches effectuées, ni encore vu la procédure d’indemnisation spécifique dans le secteur public. La cour applique cet enseignement à la date de prise de cours des indemnités en cas de révision. Il y a, dès lors, inconstitutionnalité de l’article 16 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970.

La Commune se pourvut en cassation.

Le pourvoi

Le pourvoi contient trois moyens.

Le premier considère qu’il y a violation de l’article 72 de la loi du 10 avril 1971 (secteur privé) et de l’article 16 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 (secteur public), dans la mesure où la date de prise de cours des indemnités suite à la révision du taux d’incapacité dépend de la date de l’introduction de la demande. Il n’y a dès lors pas de différence de traitement entre les deux régimes.

Le deuxième moyen, développé à titre subsidiaire dans l’hypothèse où existe une différence de traitement entre les régimes d’indemnisation dans le secteur privé et le secteur public concernant la date de prise de cours des indemnités suite à la révision du taux d’incapacité permanente, part de l’hypothèse que la révision de l’indemnisation dans le secteur privé prenne cours à dater de la survenance de l’aggravation (et non à dater du jour de l’introduction de la demande). La différence de traitement est fondée sur un critère objectif, étant la nature de l’employeur, qui, dans un cas, est une personne privée et, dans l’autre, une personne publique. Le moyen développe l’argument relatif à la nature statutaire du lien qui unit les parties, l’existence de tâches d’intérêt général et la procédure spécifique d’indemnisation dans le secteur public. La différence de traitement est en conséquence objectivement et raisonnablement justifiée par la logique du système de réparation des accidents du travail dans le secteur public et l’article 16 de l’arrêté royal ne peut être inconstitutionnel.

Un troisième moyen est présenté à titre encore plus subsidiaire, celui-ci faisant grief à la cour du travail de ne pas avoir déterminé légalement le point de départ de l’indemnisation en suite de l’action en révision au moment de la survenance de l’aggravation.

La décision de la Cour

Sur le premier moyen, rappelant l’article 72 de la loi du 10 avril 1971, la Cour de cassation énonce que, conformément au droit commun de la réparation des dommages, les indemnités d’incapacité permanente révisées sont dues à partir de la consolidation de l’incapacité de travail modifiée. Dès lors, le premier moyen est rejeté, au motif qu’il manque en droit, dans la mesure où il soutient que les indemnités révisées sont dues au plus tôt à partir de l’introduction de la demande en révision.

Sur le deuxième moyen, la Cour considère que la logique respective des deux systèmes de réparation des dommages résultant des accidents du travail ne justifie pas de reporter dans le secteur public soumis aux articles 11 et 16 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 la prise de cours des indemnités révisées en fonction de l’aggravation ou de l’atténuation de l’incapacité de travail jusqu’à l’introduction de la demande en révision, alors que, dans le secteur privé, ces indemnités sont dues conformément au droit commun à partir de la consolidation de l’incapacité modifiée. La différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée, ni par la nature généralement statutaire du lien qui unit les parties, ni par la circonstance que le travailleur du secteur public effectue des tâches d’intérêt général, ni encore par le fait qu’il conserve après l’accident l’exercice de fonctions ainsi que les avantages pécuniaires correspondants, ni encore par la procédure d’indemnisation. La différence de traitement est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

La Cour rejette également le troisième moyen, constatant, à partir des énonciations de l’arrêt de la cour du travail, que l’article 16 a été écarté en tant qu’il déroge au droit commun de la réparation des dommages appliqué en matière d’accidents du travail dans le secteur privé, faisant ainsi une exacte application de l’article 159 de la Constitution.

Intérêt de la décision

La Cour de cassation rappelle d’abord, dans cet important arrêt, la règle applicable dans le secteur privé : la demande en révision des indemnités, visée à l’article 72 de la loi du 10 avril 1971 et fondée sur une modification de la perte de capacité de travail peut être introduite dans les trois ans suivant la date de l’homologation ou de l’entérinement de l’accord entre les parties ou de la décision ou de la notification visée à l’article 24, ou encore de la date de l’accident. Les indemnités d’incapacité permanente révisées sont dues, conformément au droit commun de la réparation des dommages, à partir de la consolidation de l’incapacité de travail modifiée. Il n’y a pas de règle selon laquelle les indemnités révisées seraient dues au plus tôt à partir de l’introduction de la demande en révision. Le droit aux allocations majorées peut dès lors exister pour une période antérieure à l’introduction de la demande. Les conditions de validité de la demande en révision sont dès lors indépendantes du point de départ du droit aux allocations majorées. L’action peut en effet être introduite dans les trois ans et aboutir au constat de la consolidation de l’incapacité de travail modifiée antérieurement à l’introduction de la demande. De même, celle-ci peut être postérieure.

Par ailleurs, quant à la question spécifique du point de départ dans le secteur public, la Cour de cassation – qui suit donc la position de la Cour du travail de Liège – constate une différence de traitement dans les deux systèmes d’indemnisation, différence qui aboutit à préjudicier la victime, puisque le taux révisé de l’incapacité permanente de travail sera fixé d’office par rapport à la date d’introduction de la demande. S’est ainsi posée la question de la constitutionnalité de cette disposition et, s’appuyant sur les critères généralement retenus par la Cour constitutionnelle dans les divers arrêts rendus quant aux distinctions entre les deux régimes, la Cour de cassation conclut à l’absence de justification raisonnable de la différence constatée. L’on notera que, si les critères généraux sont la nature statutaire du lien entre les parties, l’existence de tâches d’intérêt général et la spécificité de la procédure d’indemnisation dans le secteur public, la Cour de cassation retient également comme élément spécifique au secteur public la circonstance que la victime conserve en règle après l’accident l’exercice de fonctions ainsi que les avantages pécuniaires correspondants.

L’on peut encore ajouter, outre les arrêts de la Cour constitutionnelle repris dans l’arrêt de la Cour du travail de Liège du 4 mars 2016 (C. trav. Liège, div. Liège, 4 mars 2016, R.G. 2014/AL/518 – précédemment commenté) que la Cour constitutionnelle avait encore été saisie d’une question de rémunération de base, celle-ci ayant donné lieu à un arrêt du 21 janvier 2016 (C. const., 21 janvier 2016, n° 9/2016). Interrogée sur la question du plafond, qui diffère dans les deux secteurs, elle avait conclu que le législateur n’avait pas voulu une simple extension des règles du secteur privé au secteur public eu égard au caractère propre à chaque secteur.


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