Terralaboris asbl

L’article 4 de la loi du 27 février 1987 (prévoyant des conditions de nationalité pour l’octroi des allocations pour personnes handicapées) est-il compatible avec les normes internationales applicables en Belgique ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 septembre 2007, R.G. 48.340

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 10 septembre 2007, R.G. n° 48.340

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un arrêt du 10 septembre 2007, la cour du travail de Bruxelles a jugé que la jurisprudence de la Cour européenne sur la question ne peut être appliquée systématiquement.

Les faits

Monsieur B. de nationalité congolaise, inscrit au registre des étrangers depuis 2001, bénéficie d’une aide du CPAS de sa commune. Il introduit une demande d’allocations aux personnes handicapées, demande qui est rejetée au motif qu’il ne remplit pas la condition de nationalité prévue à l’article 4 de la loi du 27 février 1987.

La position du premier juge

Le premier juge se fonde sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et en particulier sur l’arrêt Koua Poirrez c/ France (arrêt n° 40.892/98) et considère que la condition de nationalité doit être écartée.
Le tribunal du travail annule ainsi la décision administrative et invite l’Etat belge à reprendre l’instruction de la demande d’allocation en n’y opposant plus de condition de nationalité..

La position des parties en appel

L’Etat belge interjette appel et considère que les circonstances de fait de la présente cause ne sont pas comparables avec celle de l’affaire Koua Poirrez, où la Cour européenne avait retenu un lien particulièrement fort avec la France, l’intéressé étant ressortissant ivoirien, fils adoptif d’un ressortissant français. Il avait d’ailleurs fait une demande de nationalité (déclarée irrecevable) et n’avait pu bénéficier de l’évolution plus favorable de la législation française concernant l’acquisition de la nationalité, et ce aux diverses phases de traitement de son dossier.

En ce qui concerne Monsieur B., son séjour en Belgique est, par contre, limité, celui-ci y résidant depuis plus de trois ans lors de la demande et ne se référant à aucun autre lien fort avec la Belgique, liens familiaux ou autres.

Se fondant en outre sur la circonstance que la législation en cause dans l’affaire Koua Poirrez était différente de la législation applicable en l’espèce, l’Etat soutient que cet arrêt de la Cour européenne ne peut avoir la portée générale que le tribunal lui a donnée.

En outre, la Cour constitutionnelle a considéré dans un arrêt du 22 octobre 2003 (arrêt n° 130/2003) qu’en prévoyant des conditions à l’octroi des allocations, l’article 4 de la loi du 27 février 1987 ne viole pas les principes constitutionnels d’égalité et de non discrimination en établissant une différence entre les personnes pouvant se prévaloir du statut de réfugié et les autres, se trouvant en situation de séjour régulier en Belgique.

Dans un 2e arrêt, du 19 mai 2004 (arrêt n° 92/2004), la Cour constitutionnelle a également retenu dans l’espèce qui lui était soumise une différence importante avec le cas Koua Poirrez, s’agissant, certes, d’un étranger en séjour légal à qui une allocation d’aide aux personnes handicapées était refusée en raison de sa nationalité, mais pouvant – s’il se voyait privé d’allocation aux personnes handicapées – revendiquer le cas échéant le bénéficie d’une aide sociale qui prendrait son handicap en considération. En conséquence, la Cour constitutionnelle a déclaré dans cet arrêt que l’article 4 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec son article 191, de même qu’avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 1er du premier Protocole additionnel à cette Convention.

L’Etat belge conclut que l’article 4 ne viole aucun des principes et dispositions ci-dessus. A titre subsidiaire, il demande qu’une nouvelle question préjudicielle soit posée à la Cour constitutionnelle.

Monsieur B. soutient, quant à lui, vu l’enseignement de l’affaire Koua Poirrez, que le droit à l’allocation aux personnes handicapées est de nature patrimoniale au sens de l’article 1er du premier Protocole additionnel de la Convention européenne et est donc soumis au régime de non discrimination prévu à l’article 14 de celle-ci, en sorte que seules des considérations très fortes pourraient justifier une différence de traitement, considérations qui ont été retenues comme inexistantes par le premier juge.

Il se réfère, par ailleurs, à la législation française et conclut qu’elle présente les mêmes caractéristiques que le droit belge à savoir qu’elle est un régime résiduaire, subordonné à des conditions médicales.

Sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 mai 2004, il relève que cet arrêt n’a pas procédé à un contrôle de conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme et qu’il y a lieu de vérifier si l’aide sociale à laquelle peut prétendre une personne handicapée ne constitue pas un régime résiduaire beaucoup moins favorable que celui des allocations pour personnes handicapées. Enfin, il se fonde sur l’autorité de la chose interprétée : selon lui, les arrêts de la Cour européenne, même s’il n’ont pas autorité « erga omnes », dégagent une interprétation qui s’incorpore aux dispositions des décisions nationales.

La position de la Cour

La Cour considère que la nationalité (ou plutôt « l’origine nationale ») ne figure dans la Convention européenne comme critère de distinction prohibé que parmi d’autres, dans une liste exemplative, de même que la Constitution belge retient une affirmation tout à fait ouverte de ce principe. Elle en déduit que, pour les divers textes tant nationaux qu’internationaux, la discrimination prohibée ne résulte pas du simple critère matériel de la distinction opérée mais de son caractère injustifié.

La Cour retiendra notamment que, pour la Cour européenne, le droit au « respect des biens » garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel de la Convention européenne peut se rapporter à un droit à des prestations sociales. Ainsi, l’interdiction de discrimination sur la base de l’origine nationale s’oppose au refus de prestations sociales à partir d’un critère de nationalité, dès lors que les prestations ont été acquises sur la base de contributions à la sécurité sociale, elles-mêmes applicables sans aucune considération de nationalité, ou encore, si les prestations en cause – même non liées à des contributions – sont un élément essentiel de la protection sociale et la Cour se réfère ici, à titre d’exemple, aux soins de santé.

Quant à la question de savoir si ce raisonnement doit conduire, dans l’entendement de la Cour européenne, à une égalité absolue, sans aucune distinction dans l’octroi de toutes allocations sociales, la Cour du travail est d’avis que les états membres peuvent réserver certaines prestations à des personnes qui présentent un lien suffisant avec le pays concerné, pour autant que ceci ne compromette pas le droit fondamental des personnes exclues de mener une vie conforme à la dignité humaine, que cela ne spolie pas ces personnes des droits constitués sur la base de contributions qu’elles auraient faites au régime de sécurité sociale et qu’il ne s’agisse pas de prestations qui sont un élément essentiel de la protection sociale des résidents (référence étant ici encore faite aux soins de santé).

Elle procède, alors, à un examen comparatif des conditions prévues par le droit français pour bénéficier de l’allocation en cause dans l’affaire Koua Poirrez (retenant d’ailleurs que le droit français a été modifié suite à l’intentement du recours à Strasbourg) et le droit belge, qui constitue, par contre, un régime d’assistance distinct de la sécurité sociale. Elle rappelle que l’allocation de remplacement de revenu est du même montant avant enquête sur les ressources que le revenu d’intégration sociale, qui peut être accordé même à des personnes remplissant les critères d’incapacité de travail pour percevoir des allocations pour personnes handicapées. En outre, si le demandeur le justifie, l’équivalent de l’allocation d’intégration peut être sollicité au titre d’aide sociale.

Elle en conclut que du point de vue de l’Etat, couvrir le risque social des adultes handicapés en allouant des allocations spécifiques à charge de l’Etat fédéral ou par le recours au revenu d’intégration sociale et de l’aide sociale (Fonds des communes et Etat fédéral) est un choix de politique budgétaire.

Enfin, elle va également retenir un argument du peu d’attaches du demandeur avec la Belgique.

Intérêt de la décision

La décision ramasse les diverses argumentations sur la question, contenues dans cet important arrêt de la Cour européenne qu’est l’affaire Koua Poirrez d’une part et les décisions de la Cour constitutionnelle, rendues sur la constitutionalité des textes internes de l’autre. Après avoir relevé que les garanties de protection sont de même nature, la Cour analyse les droits de la personne handicapée de nationalité étrangère aux allocations prévues par la loi du 27 février 1987 et conclut que, des droits équivalents existant dans le régime résiduaire du revenu d’intégration sociale et de l’aide sociale, contrairement à la situation française au moment de l’intentement de l’affaire jugée par la Cour européenne, il n’y a pas de discrimination prohibée.

Note ultérieure

Relevons que, dans un arrêt du 12 décembre 2007 (C.A., 12 décembre 2007, arrêt n° 153/2007), la Cour constitutionnelle a apporté des précisions quant à sa jurisprudence antérieure, précisant qu’il y a une violation des articles 10 et 11 de la Constitution (en combinaison avec son article 191) ainsi que des articles 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et 1er du Premier Protocole additionnel en ce que l’article 4 de la loi du 27 février 1987 exclut du bénéfice des allocations l’étranger inscrit au registre de la population par suite d’une autorisation d’établissement dans le Royaume, la Cour considérant qu’il n’est pas raisonnablement justifié de l’exclure dans ces conditions, l’étranger présentant, dans cette hypothèse, des liens suffisants avec la Belgique.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be